La nuit porte-t-elle conseil ? Est-elle capable de transformer nos rêves en réalité ? Depuis l’Empire romain, le pouvoir éclaire les rues urbaines, y compris en période de pleine lune, pour que ses gardes et ses vigilants citoyens ne soient pas pris au dépourvu par quelque insomniaque aux intentions tout sauf pacifiques. Portes verrouillées, alarmes anti-intrusion, yeux électroniques haut perchés, patrouilles armées et éclairage de nuit semblent ainsi à même de garantir aux puissants et à leurs larbins un sommeil apparemment bien mérité. Mais voilà, tout ne peut pas être aussi rose au royaume de la domination. Il n’en faut parfois même pas beaucoup pour que leur doux songe d’une servitude volontaire totale ne se transforme en cauchemar assuré : il suffit en fait que surgissent des individus -ce petit élément irréductible à la gestion de masse- armés de désirs singuliers et de franche détermination. De désirs de destruction et d’une détermination à même de franchir les obstacles placés sur leur route, comme ce lundi 28 janvier nous en apporte la nouvelle.
Dimanche soir vers 19h, un incendie s’est déclaré dans la résidence du sous-préfet de Pontivy (Morbihan). Il s’agit non pas d’un de ces court-circuits derrière lesquels l’Etat entend masquer le fait que des malotrus puissent vouloir attaquer les institutions laïques ou religieuses, mais bien d’un incendie volontaire. Oui oui, jusque dans le salon même des appartements officiels du Môssieur à la casquette brodée d’or. A la nuit tombée, des individus ont en effet fracturé les portes-arrières de la sous-préfecture, puis se sont rendus directement sur place, où plusieurs molotovs ont été jetés, lançant les flammes à l’assaut du lieu sacré du pouvoir. C’est le prompt retour chez lui du délégué-en-chef du ministère de l’Intérieur qui a permis de limiter les dégâts en alertant les pompiers, selon sa collègue procureure de la République de Lorient, qui a ouvert une enquête criminelle pour « dégradation d’un bien par un moyen dangereux pour les personnes commise en raison de la qualité de personne dépositaire de l’autorité publique utilisatrice du bien ». Rien que ça.
Un peu plus tard dans la nuit, vers 2h30 du matin à l’autre bout du pays, les pompiers sont cette fois arrivés trop tard : le rez-de-chaussée du porte-parole régional de l’Etat, celui de la radio France Bleu, a été incendié à Grenoble (Isère). Là encore, des individus ont fracturé la porte arrière de service, avant de lancer leurs flammes en deux points distincts à l’intérieur, contre les bureaux des journaflics (plus précisément le poste de travail du rédacteur en chef) et contre le comptoir d’accueil de la radio. Quant à la suite, voici l’avis d’expert du directeur d’antenne : « Au rez-de-chaussée, là où le cœur de la radio battait jour et nuit, il ne reste rien. L’ensemble des studios et salles de travail a été totalement ravagé. Les ordinateurs, les télévisions, les imprimantes et photocopieuses, ainsi que tout le matériel permettant aux journalistes et animateurs de travailler au quotidien, ne sont plus que d’informes masses de plastique fondu. Les faux plafonds ont été détruits et les murs sont couverts de suie. » La propagande d’Etat de France Bleu Isère s’est tue une bonne partie de la journée, avant de reprendre péniblement du service chez leurs collègues de France 3 Alpes. Selon les premières estimations, il y aurait trois à six mois de travaux pour remettre les locaux en état, notamment à cause du système électrique entièrement à refaire.
La nuit porte-t-elle conseil ? Est-elle capable de transformer nos rêves en réalité ? En tout cas, malgré les dispositifs de l’Etat pour protéger ses bâtiments, une sous-préfecture ici ou un studio de radio là, il semble bien que jusqu’au centre des villes, elle puisse encore sourire aux cueilleurs d’étoiles. A toutes celles et ceux qui n’entendent ni subir sans rendre de coups ni se résigner au monde de l’autorité ; à tous ces individus qui frappent le pouvoir où et quand il ne les attend pas. Quant aux cris d’orfraie venus des autorités de tous bords pour vilipender une liberté en acte qui s’est une nouvelle fois défait avec audace d’une structure policière, comment ne pas se souvenir des mots d’un autre amant lucide de la liberté ? « Au mains de l’État, la force s’appelle droit. Aux mains de l’individu, elle se nomme crime »…
[Reçu par mail, 29.01.2019]