Bonne lecture
________________________________________
Pour commencer, une bonne nouvelle, puisqu’il nous a semblé que le Salon a vu sa fréquentation augmenter en nombre comme en diversité. Toutefois nous soutenons toujours qu’un couplage avec le Salon libertaire de Paris sous la forme d’une alternance d’un an sur deux au mois de mai serait une meilleure solution à la fois pour une visibilité périodique plus marquée et une estimation plus raisonnable de nos « forces productives » (éditeurs comme organisateurs). Cela allégerait d’une part la charge logistique pour votre collectif lui permettant peut être de mieux se centrer sur les aspects politiques du salon, nous y revenons de suite, d’autre part cela permettrait aussi de demander aux éditeurs de préciser à l’avance et de mieux présenter leurs propositions de débat. En outre cette alternance des dates marquerait une complémentarité, au moins de fait entre les deux salons que nous pensons bénéfique.
Passons à la mauvaise nouvelle : la censure du débat d’A.Escudero sur le livre La reproduction artificielle de l’humain qui déjà donne un sacré coup de canif pour ne pas dire de poignard à l’idée de diversité que nous avancions plus haut.
Comment éviter que se reproduise ce genre de situation puisqu’il semble évident que ce n’est pas là une question rhétorique. Comme nous le disions en préambule, il y a un travail et des choix à faire en amont. Soit il vous faut accepter toutes les propositions de débats des éditeurs en leur faisant confiance. Et c’est apparemment ce que vous avez fait présentement et alors il faut en assumer le risque. Soit vous assumez une pré-censure en fonction du contenu d’un livre que vous avez lu préalablement ou alors en fonction de vos préjugés politiques. Il semble en l’occurrence que le livre n’avait été lu que par deux personnes du collectif, d’ailleurs en désaccord sur leur appréciation réciproque mais que les préjugés politiques avaient déjà libre cours (« je ne l’ai pas lu mais j’ai une copine qui me dit que … et je lui fais confiance », sic). Il semble donc que malgré toute cette indécision interne vous ayez finalement fait confiance à l’éditeur … ou alors que vous ayez décidé de privilégier la liberté de débattre. En tout cas, sans ce travail en amont, il s’avérait difficile de savoir si cela valait la peine de maintenir un débat dans un contexte tendu non seulement par la pression de certains groupes militants sur ce thème de la PMA/GPA mais aussi par son orchestration politique et médiatique à partir des manifestations autour du mariage pour tous. Ce travail en amont n’est pas un travail simplement technique puisque de fait, maintenir ce débat était, dans ce contexte justement, une prise de position politique, que vous le vouliez ou non. En tout cas, si vous ne l’avez pas perçue comme telle, les perturbateurs ne se sont pas fait faute de le voir ainsi !
Le descriptif d’annonce d’un débat ne peut pas être une simple accroche pour intéresser le lecteur, une simple formalité technique. Auteurs et éditeurs politiques n’écrivent pas et ne publient pas sans formuler des thèses. Il faut donc que les organisateurs y soient attentifs afin de fixer les limites de la liberté d’expression non pas dans l’absolu mais par rapport au caractère de la manifestation. Il y a un moment où la position de la neutralité n’est plus tenable soit parce que l’éditeur ou le livre ne rentre pas politiquement dans le cadre du salon soit parce qu’une tendance ou un courant se met à imposer son filtre particulier qui va définir de l’extérieur le cadre de la manifestation en question.
Revenons au concrets de l’événement : si certains ont vu dans le descriptif du débat de la provocation, autant savoir qu’il est très proche de la 4ème de couverture du livre et finit sur un slogan (provocateur !?) qui figure bien dans le livre : “la PMA, ni pour les homos, ni pour les hétéros !”. On ne peut pas dire que l’auteur et son éditeur ont caché leur position. Donc les choses étaient claires de leur côté, alors pourquoi faire les étonnés ? En tout cas vous étiez forcément alertés par la rumeur qui courrait déjà depuis quelques jours (nous en avons d’ailleurs nous-mêmes été avertis plusieurs jours à l’avance) d’une possible action contre la tenue du débat d’Escudero. Maintenir le débat envers et contre tout était donc en soi une prise de position politique sur l’intérêt intrinsèque du débat. Elle nous est apparue comme une décision courageuse et cohérente qui aurait peut être nécessité une discussion préalable du collectif et même une discussion avec l’auteur sur ses intentions voire son état d’esprit, afin de savoir si son but principal était de choquer comme la phrase d’annonce le laisse supposer ou de discuter sur le fond et au-delà des slogans à l’emporte-pièce qui caricaturent plus qu’ils ne synthétisent la pensée d’un auteur. Et enfin, le principe du débat étant définitivement retenu, s’assurer que les conditions soient réunies pour que le débat ait bien lieu et garantir l’intégrité physique des personnes mises en cause mais néanmoins invitées. On ne peut certes pas tout prévoir à l’avance et le pire n’est jamais certain mais le fait est que faute de cela vous vous êtes retrouvés dans l’urgence à parer au plus pressé. C’est sous la menace, de la part de la sécurité incendie, d’appeler les flics qu’a été prise, par vous, la décision d’annuler le débat, et ce après à peine ¼ d’heure de blocage vu une intensité de violence dans la salle qui n’avait pas besoin de s’exprimer physiquement pour être remarquée. Forts de ce qu’ils percevaient comme une première victoire facile, les perturbateurs ont alors poursuivi l’invité à la table de son éditeur. Faisant donc la loi dans le salon le groupe s’est montré violent verbalement et physiquement (même si ce dernier aspect a été limité par un barrage protecteur). Il ne manquait que le goudron et les plumes ainsi que l’autodafé pour nous rappeler des souvenirs historiques de sinistre mémoire, souvenirs que les perturbateurs semblent ignorer, eux qui nient l’Histoire en traitant indistinctement tous leurs opposants de fascistes, sans connaître donc le sens du mot et qui pensent que rien (pas même le mouvement féministe et encore moins des figures historiques comme Emma Goldmann ou Alexandra Kollontaï) n’a existé avant eux.
Il a donc fallu, à quelques uns, faire barrage de protection et subir sans trop broncher les insultes provenant de visages déformés par la haine dont les seuls arguments à nous opposer étaient ceux de leur victimisation (« nos vies », « on nous tue ») comme si Escudero et nous étions leurs bourreaux ! Comme si leur souffrance était supérieure ou plus radicale que celle des chômeurs en fin de droit, des sans-papiers, des yézidis ou tout simplement de personnes qui ont perdu un être cher comme l’actualité la plus récente nous le montre encore.
Que se serait-il passé si nous et quelques autres individus décidés plus quelques personnes interloquées dont une de la librairie se fera d’ailleurs traitée de bourgeoise à cause sans doute de son habillement « classique », n’avions pas défendu la table qui faisait rempart ? Il n’y aurait eu que J-Pierre et Gérard pour faire face ?
Et ne parlons pas de certaines interventions à contre-sens prenant complètement J-P et Gérard à contre-pied, l’une demandant l’exclusion des perturbateurs qui devenaient Escudero et ses éditeurs pourtant invités.
L’idée d’une situation où toutes les tendances se disant libertaires peuvent cohabiter a, de fait, volé en éclats. Cela avait déjà été le cas pour les « 20 ans », mais à la différence près que le rapport de force s’est inversé. À l’époque les particularismes radicaux essayaient de pénétrer les milieux et organisations libertaires, aujourd’hui les libertaires « politiques » sont à la remorque d’un milieu multiforme dont le point de convergence est d’ériger le privé au rang de politique, mais contrairement aux années de révolte contre l’ordre établi, (1960-70), c’est aujourd’hui à l’instigation et sous les mots d’ordre des grandes institutions capitalistes comme la Commission européenne que cela s’effectue. Le célèbre « laissez faire, laissez passer » du libéralisme s’est propagé à tout le libertarisme qu’il soit de droite (dans le monde anglo-saxon) ou de gauche (en Europe). Si on redescend des hautes sphères du pouvoir jusqu’au milieu libertaire, la stratégie des particularistes y est claire : le mettre devant le fait accompli. Cela va de tracts ou de textes dont l’orthographe est genrisée sans demander leur avis aux auteurs jusqu’au fait de tracer les nouvelles lignes amis-ennemis et donc de décider qui est libertaire non pas en fonction de références théoriques ou historiques ou encore du parcours militant de telle ou telle personne mais à partir d’un positionnement par rapport à des préférences sexuelles ou d’intérêt ou de goût érigées en marqueurs de la lutte contre les dominations. D’où la peur d’être exclu de la part de ceux qui subissent ça et qui se demandent comment arriver à faire tenir ensemble position politique et militante classique et position post-moderne ; une peur redoublée par la crainte d’une fracture générationnelle souvent mise en avant par les particularistes (« vieux cons d’intellos hétéros », « hommes aux cheveux gris » lit-on sur le défouloir du net, diatribes contre les hommes de plus de 35 ans à une AG à NDDL).
Leur action coup de poing à l’intérieur d’un espace libertaire pour censurer une parole qui n’avait rien de fasciste mais seulement, qu’on soit d’accord avec ou non est une autre histoire, le tort de déplaire à ces nouveaux ayatollahs a montré a contrario les limites de la bienveillance à leur égard qui dure depuis longtemps dans les milieux libertaires. Il faut bien prendre en compte qu’un tel précédent, s’il n’est pas clairement dénoncé, laisse la porte ouverte à toutes les pressions et à d’autres actions coup de poing que va-t-il se passer pour Michéa ou si éventuellement PMO s’invitait ou était invité ? C’est d’ailleurs pour cela que l’on a participé depuis à un appel contre la censure en milieu libertaire.
Déjà, après la tentative de putsch, des 20 ans de la librairie, le collectif a laissé filer la situation, ne voulant pas faire plus de vagues. Il n’empêche : on trouve très facilement les textes des assaillants de l’époque sur internet (http://1libertaire.free.fr/DossierLaGryffe.html) alors qu’il faut chercher au CDL la réponse du collectif de la librairie.
Aujourd’hui, ce n’est pas le propre de la seule Gryffe et du Salon que d’avoir à faire à ce genre de situation. Les libertaires se retrouvent coincés dans leurs propres contradictions. Contradictions consistant à accepter tout et son contraire, de la féministe pro prostitution un jour à celle contre le lendemain, de l’antispéciste d’un côté au mangeur de saucisses de l’autre (voir St Imier), etc. Tous les organisateurs de ces événements pensent cela tenable parce qu’ils sont encore dans la perspective oecuméniste du grand mouvement libertaire. Ils se retrouvent donc à la merci de la bonne volonté des fractionnistes et ces fractionnistes peuvent se démultiplier à partir du moment où toute « victime » peut se présenter comme libertaire ou révolutionnaire sans en avoir la moindre culture ou idéal. En fait, beaucoup de libertaires semblent procèder comme les comptables du PIB qui ajoutent les plus et les moins pour augmenter le taux de croissance ! Plus on engrange de « victimes » plus on est gros et plus on est fort !
Or les divergences sont bien réelles et les incompatibilités ne peuvent être masquées plus longtemps quand finalement c’est au niveau de l’ensemble des rapports sociaux que les débats sont portés et que la marmite bouillonne. Alors l’implosion n’est pas loin comme dans un reflet des problèmes dans la société actuelle. On vient d’en avoir deux exemples avec le départ de la Coordination lesbienne en France (CLF) de l’inter LGBT d’une part et l’impossibilité pour Marie-Jo Bonnet de maintenir sa conférence sur les homosexuelles à Ravensbruck au centre LGBT de Paris.
Nous sommes donc bien à l’heure des confrontations d’idées et des prises de position, sinon la même situation risque de se reproduire mais sous une forme radicalisée.
La riposte à chaud de J-Pierre par rapport à l’attitude de la CGA Lyon nous est apparue comme un premier signe de cette nécessité.
Gzavier et JW pour Temps critiques, le 15/01/2015