Du 8 au 28 janvier 1883 se déroule à Lyon le procès de 66 anarchistes. Leur crime ? « avoir (…) été affiliés ou fait acte d’affiliation à une société internationale, ayant pour but de provoquer à la suspension du travail, à l’abolition du droit de propriété, de la famille, de la patrie, de la religion, et d’avoir ainsi commis un attentat contre la paix publique. » (1)C’est l’un des premiers « procès spectacles » de la justice contre l’anarchisme, annonciateur d’une répression judiciaire sans pareille.
En 1878, une grève dure éclate à Montceau les mines(Bourgogne). Les gendarmes interviennent, les affrontements sont violents. En août 1882, de nouvelles émeutes de mineurs ont lieu à Montceau-les-Mines.
En juin, puis en août 1882, à Montceau-les-Mines, la bande noire commet ses premiers attentats contre des vitrines catholiques et bourgeoises.
À Lyon, dans la nuit du 22 octobre 1882, deux détonations, suivies d’une formidable explosion, éclatent dans le restaurant du théâtre Bellecour dit « L’Assommoir ». L’anarchiste Antoine Cyvoct est soupçonné d’en être l’auteur
Le 23 octobre 1882, un autre attentat a lieu au bureau de recrutement militaire de La Vitrolerie
Au début de l’année 1881 se forme la Fédération révolutionnaire de la région de l’Est, regroupant les militants révolutionnaires de cette région. Les anarchistes dominent très largement cette Fédération, qui tente de participer à la reconstruction de la première Internationale
Dans la région lyonnaise, le mouvement anarchiste naissant jouit d’un développement très important. Des groupes se créent et de multiples périodiques anarchistes voient le jour au début des années 1880 : Le Droit social, L’Étendard révolutionnaire, La Lutte,
Et c’est le 19 janvier que les prévenus liront devant le Tribunal correctionnel de Lyon la déclaration suivante, devenue aujourd’hui texte primordial de référence :
« Ce qu’est l’anarchie, ce que sont les anarchistes, nous allons le dire :
Les anarchistes, Messieurs, sont des citoyens qui, dans un siècle où l’on prêche partout la liberté des opinions, ont cru de leur devoir de se recommander de la liberté illimitée.
Oui, Messieurs, nous sommes, de par le monde, quelques milliers, quelques millions peut-être – car nous n’avons d’autre mérite que de dire tout haut ce que la foule pense tout bas- nous sommes quelques milliers de travailleurs qui revendiquons la liberté absolue, rien que la liberté, toute la liberté !Nous voulons la liberté, c’est-à-dire que nous réclamons pour tout être humain le droit et le moyen de faire tout ce qui lui plaît, et ne faire que ce qui lui plaît ; de satisfaire intégralement tous ses besoins, sans autre limite que les impossibilités naturelles et les besoins de ses voisins également respectables.Nous voulons la liberté, et nous croyons son existence incompatible avec l’existence d’un pouvoir quelconque, quelles que soient son origine et sa forme, qu’il soit élu ou imposé, monarchique ou républicain, qu’il s’inspire du droit divin ou du droit populaire, de la Sainte-Ampoule ou du suffrage universel.
C’est que l’histoire est là pour nous apprendre que tous les gouvernements se ressemblent et se valent. Les meilleurs sont les pires. Plus de cynisme chez les uns, plus d’hypocrisie chez les autres !
Au fond, toujours les mêmes procédés, toujours la même intolérance. Il n’est pas jusqu’aux libéraux en apparence qui n’aient en réserve, sous la poussière des arsenaux législatifs, quelque bonne petite loi sur l’Internationale, à l’usage des oppositions gênantes.
Le mal, en d’autres termes, aux yeux des anarchistes, ne réside pas dans telle forme de gouvernement plutôt que dans telle autre. Il est dans l’idée gouvernementale elle-même; il est dans le principe d’autorité.La substitution, en un mot, dans les rapports humains, du libre contrat, perpétuellement révisable et résoluble, à la tutelle administrative et légale, à la discipline imposée; tel est notre idéal.Les anarchistes se proposent donc d’apprendre au peuple à se passer du gouvernement comme il commence à apprendre à se passer de Dieu.
Il apprendra également à se passer de propriétaires. Le pire des tyrans, en effet, ce n’est pas celui qui nous embastille, c’est celui qui nous affame; ce n’est pas celui qui nous prend au collet, c’est celui qui nous prend au ventre.
Pas de liberté sans égalité ! Pas de liberté dans une société où le capital est monopolisé entre les mains d’une minorité qui va se réduisant tous les jours et où rien n’est également réparti, pas même l’éducation publique, payée cependant des deniers de tous.
Nous croyons nous, que le capital, patrimoine commun de l’humanité, puisqu’il est le fruit de la collaboration des générations passées et des générations contemporaines, doit être à la disposition de tous, de telle sorte que nul ne puisse en être exclu; que personne, en revanche, ne puisse accaparer une part au détriment du reste.
Nous voulons, en un mot, l’égalité; l’égalité de fait, comme corollaire ou plutôt comme condition primordiale de la liberté. De chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins ; voilà ce que nous voulons sincèrement, énergiquement; voilà ce qui sera, car il n’est point de prescription qui puisse prévaloir contre les revendications à la fois légitimes et nécessaires. Voilà pourquoi l’on veut nous vouer à toutes les flétrissures.
Scélérats que nous sommes ! Nous réclamons le pain pour tous, le travail pour tous; pour tous aussi l’indépendance et la justice. »
-1Chefs d’accusation :
Deux groupes avaient été fait.
Pour le premier l’acte d’accusation était : « d’avoir depuis moins de trois ans à Lyon ou sur toute autre partie du territoire français été affilié ou fait acte d’affiliation à une société internationale, ayant pour but de provoquer la suspension du travail, l’abolition du droit de propriété, de la famille, de la patrie, de la religion, et d’avoir ainsi commis un attentat contre la paix publique ».
Pour le second groupe, l’accusation était enrichie d’avoir accepté des fonctions dans l’association internationale ou d’avoir aidé à son développement des 3 façons suivantes :
– en recevant ou provoquant à son profit des souscriptions.
– en lui procurant des adhésions.
– en propageant ses doctrines et ses statuts.
[2] Condamnations :
Inculpés du second groupe :
– 4 ans de prison pour Pierre Martin.
– 5 ans pour Kropotkine, Gautier, Bernard et Bordat.
Sur les 52 inculpés du premier groupe, 39 ont écopé de 6 mois à 3 ans de prison. C’est une vision partielle qui ne prend pas en compte les condamnations par contumace, ni les (faibles) réductions de peines en appel.
Précisions historiques : Facelift (L.G.)