- Mais quelle guerre est finie ?
- De quel échec parlent-ils ?
- Vers quelle victoire allaient-ils ?
- On invoque la critique que l’on n’a jamais su (…)
- La lutte intermédiaire des révolutionnaires
- La misérable perspective du néo-collaborationnisme
- Leur raison est entrée en crise
- Ce qu’ils n’ont jamais compris
- Le mouvement réel n’est pas dans les prisons
- Il ne peut y avoir crise de l’imagination pour (…)
- Le stéréotype du parti armé
- Guerre de classe et centralisme léniniste
- La marginalité des partis armés au regard de la (…)
- Ce qu’ils peuvent rejeter
- Ce qu’ils peuvent prévoir pour le futur
- Instrument dans les mains du mouvement (…)
- Très peu de copains
- Au-delà du parti
- Le projet anarchiste
- La solution insurrectionnelle
- Le développement du mouvement réel est dans la (…)
- La valeur éthique de la violence
- Le projet simplificateur du parti
- De quelle communication parlent-ils ?
- Le rapport anarchiste entre minorité agissante (…)
- L’idéologie de la reddition séparée
- La « mise entre parenthèses » comme trahison
- Tous les rats retournent tôt ou tard sur le (…)
- Les vieilles cariatides et les vieux discours
- Théorie de la fuite et théorie de la résistance
- Une nouvelle garantie comme imbroglio
- Les soit disant repentis
- Se dissocier de qui et de quoi ?
- …notre concept de justice prolétarienne
- …1e droit de se rappeler des traîtres
- …nos thèses sur la créativité, la subversion, (…)
Il n’est plus possible de continuer à faire l’autruche en ce qui concerne le
problème de la prison et du « que faire ? » par rapport à ce problème.
Les initiatives de soutien et de contre-information sont toutes très valables, spécialement celles qui ont l’intention d’entraîner les diverses composantes du
mouvement anarchiste, mais elles ne peuvent pas ne pas admettre qu’elles concernent seulement le début du problème.
Arrivés à ce point, il me semble que des réflexions s’imposent, celles-ci pourront je l’espère intéresser les copains anarchistes et ceux qui sont proches de la mouvance libertaire et peut être aussi les copains qui en sont plus éloignés, mais désormais suffisamment conscients des contradictions et des ambiguïtés qui circulent sans arrêt.
Je répète : cet écrit valide l’action de la contre-information sur la répression, prend part aux buts et méthodes de réalisation, mais il s’interroge sur ce qu’il nous reste à faire de plus. Les copains sont en prison, le front carcéral est divisé en « politique » et « non politique » ; parmi les dénommés politiques il existe les traditionnelles divisions qui menacent de devenir non pas des parcours de conscience, mais des sentiers sanguinaires de suspicion.
A l’extérieur quelques copains ont refusé une sorte de chantage moral qui venait des prisons et, avec ça, ont rejeté tout en bloc, l’eau du bain et le bébé. Dans les discours ils confirment la globalité de leur intervention (prison comprise), dans les faits ils opèrent des sectorialisations toujours plus évidentes et aussi plus faciles.
Par contre, d’autres copains qui recueillent aussi les soupirs de la prison, se font écho des états d’âme des prisonniers en les présentant comme des analyses politiques et ne peuvent ainsi que contribuer à la confusion et à l’incompréhension.
Il faut dire, sans garder sa langue dans sa poche, ce qu’il est possible de faire, ce qui devient désormais inutile de rêver de faire et ce qu’on ne veut pas faire parce que réputé d’un effet contraire.
Il me semble que désormais le moment est arrivé que quelque uns soulèvent cette pierre sous laquelle peut déjà s’être formé une dangereuse verminière.
Il existe beaucoup de moyens pour sortir de prison. Beaucoup d’autres pour y
entrer. Dans l’affrontement révolutionnaire, la prison est une composante essentielle ; elle ne peut pas être considérée comme une variable externe. Quand elle s’y insère, contraignant à la solitude et au silence des milliers de copains, le cercle peut se refermer ou peut être brisé. Il ne faut pas s’imaginer que ceux qui détiennent les clés pour le compte du pouvoir vont les jeter dans le fossé après avoir ouvert les portes Aucun d’eux n’est disposé à faire cela pour rien. L’amnistie ils ne nous la donneront pas. Nous devront la payer.
La note que présentent ces messieurs est trop salé. En ce moment nous
constituons un poids, [n]ous ne sommes pas encore une menace. Nous n’avons pas de capacités de négociation basées sur la force, nos pouvons seulement faire levier sur la pitié, sur leur sens de l’ordre démocratique offensé par un si grand nombre de prisonniers politiques, sur le fait qu’ils ont, d’abord eux-mêmes, la nécessité d’affirmer que la « guerre est finie » pour exorciser la marque de monstre, de celui qui a voulu être différent, qui a rêvé le monde totalement « ici et maintenant ».
Aujourd’hui ils nous veulent à genoux. Après les jours de Canossa [1], dans le froid et la boue, ils veulent avoir le plaisir de nous « donner » la liberté.
Leurs lois ne suppriment des condamnations à perpétuité qu’afin de libérer des
gens infâmes et louches au service de la trahison. Ces mêmes lois devront sanctionner l’amnistie. Tous dehors. Le jeu est fini. Continuez la lutte avec d’autres moyens. Ceux que vous avez utilisés jusqu’à présent sont trop bruyants. Ayez la bonté d’être silencieux. Mettez « entre parenthèses » la lutte de classes. Oubliez la révolution.
Mais quelle guerre est finie ?
Pour celui qui s’était imaginé une guerre frontale, un engagement de mini armées et des campagnes d’automne et de printemps microscopiques, la guerre est finie. Mais la représentation sur le petit théâtre du politique ne ressemble en rien à la réalité. Le grand sacrifice de sang qui est demandé à la classe prolétarienne continue sans interruption. Les massacreurs officiels tuent systématiquement. Leurs bourreaux tirent dans la rue. Quand ils revêtent la toge, ils additionnent des milliers de siècles sur les frêles épaules des prolétaires responsables d’avoir touché le droit sacré de la propriété.
Le bien pensant néo-gibelin [2] sourit sceptique envers ces considérations et nous invite à réfléchir sur la bonté du nouveau prince, sur son élargissement du bien être, sur la fin de la réalité de la misère.
Mais la guerre sociale continue, au-delà des intrigues idéologiques de cette nouvelle race de récupérateurs, il sera toujours possible demain de retourner à l’attaque du ciel, encore une fois.
De quel échec parlent-ils ?
De leur façon de concevoir la lutte. Obtuse et répétitive, mécanique, déterministe, incapable d’une perspective critique. Leur manière de concevoir n’était pas un rêve, mais bien un calcul. Les comptes ont mal tourné. L’histoire ne se répète jamais de la même façon. Les modèles du passé – lointain ou récent – ne peuvent être superposés selon le plaisir. Mais l’absence de fantaisie a besoin de modèles, elle jure sur eux, elle vit seulement à travers eux.
L’engagement frontal a été battu. L’engagement qui entendait mesurer la force
entre deux armées en guerre. Mais leur guerre n’était pas la guerre sociale. Deux rackets qui se tirent dessus ne sont pas nécessairement une coupure véritable de toute la société, ils en cueillent seulement une partie, souvent la plus marginale et exacerbée.
Chez beaucoup d’autres c’était la bonne foi, et c’est pour cela que nous avons
attendu le miracle des marguerites. Au fond la poule aveugle finit aussi par picorer son petit grain. Mais la cécité était trop généralisée.
La pesanteur idéologique couvrait tout avec un épais brouillard. L’insolence et la
mesquinerie mentale allait de pair avec la prétention ridicule à la représentation de la totalité.
Vers quelle victoire allaient-ils ?
Vers la conquête du pouvoir. La dictature du prolétariat. La formation de l’Etat prolétarien. Et d’autres. D’autres fantasmagories non moins dangereuses se trouvaient dans leur gibecière.
Nous leur avons donné de l’espace et de la crédibilité critique parce que nous
avons été toujours certains de la possibilité d’un accident de parcours. Même les copains lancés dans une perspective aussi éloignée de la nôtre, lorsqu’ils attaquent doivent être soutenus. C’est sûr, nous ne pouvons les soutenir maintenant qu’ils s’apprêtent à trahir.
Une évaluation correcte de ce qu’ils appellent un échec devrait passer par une
critique des positions de départ, de ce qu’ils croyaient être la guerre de classes, de l’usage qu’ils ont fait de l’instrument de la lutte armée, de la manière dont ils conçu les rapports avec la réalité dont ils cherchaient la transformation.
Au lieu de tout cela on préfère admettre simplement qu’on a été battu, que les
choses étaient correctement préparées, mais que la chance n’a pas été du bon côté, qu’elle a préféré embrasser le pouvoir sur le front.
Et lorsqu’une voix se lève, ouvrant un discours critique, on bat la cloche de
l’exception du moment ; quatre mille copains prisonniers politiques et voilà que ce fait devient prioritaire. La reconnaissance de la défaite, en effet, est la première chose à faire pour qui veut négocier la capitulation.
Nous avons toujours dit que même en cas de victoire pour nous, la guerre
continuerait ; pour cette raison, maintenant leur défaite partout étalée ne nous intéresse pas. Ce sont les calculs de Pouvoir. Rappelons nous que lorsque Togliatti [3] promulgua l’amnistie pour faire sortir de prison les fascistes, tout de suite après nos copains commencèrent à y entrer. Le pouvoir se met toujours d’accord avec le contre-pouvoir qui n’a pas réussi un processus d’alternance, mais ne peut jamais instaurer un dialogue avec les révolutionnaires. Il n’y a pas moyen de s’entendre.
On invoque la critique que l’on n’a jamais su employer
Les mêmes analystes des desseins historiques du prolétariat, hautains et bombant le torse, sont maintenant en plein dans les affres de la critique. Eux qui avaient opté avec tant de sûreté pour la « critique des armes » [4] et n’admettaient pas qu’on discute de l’usage stratégique correct d’un instrument qui était et reste valide (la lutte armée) semblent maintenant en proie au délire des larmes.
Dans la fougue destructrice de ce qu’ils avaient –y compris sans le vouloir– construit ; dans la hâte d’apparaître différents de ce qu’ils ont été au fond ; rejetant tout : les choses positives et les autres, négatives.
On sent qu’ils sont gênés dans leur nouvelle veste critique et que leur manière de s’accrocher à ce que leur passé récent et moins récent a produit n’a pas de sens et démontre l’inconsistance réelle de leur préoccupations théoriques.
Adroits dans le maniement des mots, ils pourraient peut-être embrouiller quelque compagnon plus ingénu, mais je ne pense pas qu’ils réussissent à convaincre ceux qui se rendent compte de la volte-face acrobatique qu’ils sont en train d’effectuer. Souples dans leur mode d’élaborer les mots, ils sont à présent également humbles et circonspects dans leurs propositions d’hypothèses : ces mêmes gens qui, il n’y a pas si longtemps, tiraient à vue contre quiconque hasardait une hypothèse différente de la leur en le condamnant comme provocateur.
La structure centrale de cette soi-disant critique vise à démontrer qu’au fond leur action n’a pas eu lieu, et que si ce fut le cas elle s’est limitée à bien peu, et que ce peu a été un abus causé par de mauvaises leçons, par la manie collective de la violence, par les illusions dérivant du vieux 68, etc.
Tout ceci porte une part de vérité mais, comme d’habitude, tend à rejeter l’aspect négatif en même temps que les choses positives. Un rejet global de ce type n’est pas une critique, c’est la plaidoirie d’un avocat, le verbiage d’un individu en difficulté qui veut à tout prix s’en tirer.
Et bien, que ce soit dit ainsi avec clarté, alors, et qu’on ne cherche pas à masquer son propre « désistement » derrière une « analyse critique » complexe.
Qu’on nous dise si certains aspects de la critique, comme par exemple la pesanteur unidimensionnelle du modèle armé, ont été emprunté à nos positions ; les autres aspects ne sont rien d’autre que l’inversion tragique de ceux qui finissent par dire aujourd’hui le contraire de ce qu’ils disaient avant, et ce sans en justifier les raisons de manière critique. Lorsque ces gens s’autoaccusent d’avoir trop « simplifié » la complexité sociale, ils ne disent rien en pratique, ils renient et basta. Ils n’expliquent pas – et ne peuvent expliquer – quel projet « non simplifié » ils proposent à présent pour l’action future.
Lorsqu’ils parlent d’une « crise » de la vulgate marxiste et tiers-mondiste, ils ne disent pas à quel autre outillage théorique ils se référeront demain, lorsque se terminera cette parenthèse des années de plomb, lorsqu’ils obtiendront, d’une manière ou d’une autre, ce « tous à la maison ». Peut-être à l’idéologie bien-pensante de Popper et de Feyerabend ? Peut-être à la critique de l’existant de Husserl ? Incapables de critique depuis toujours, ils sont à présent seulement en mesure de crier à la « nécessité » d’une critique, poussés par l’urgence de la partie adverse, mais ce qui en sort est un rejet en bloc, irrationnel et couru d’avance : un vomissement sur soi qui ne prélude rien de bon.
La lutte intermédiaire des révolutionnaires
En niant la faisabilité de l’amnistie, nous n’affirmons pas un vague maximalisme en dehors de la réalité mais, au contraire, nous cherchons à ramener la lutte actuelle aux termes de ses possibilités effectives.
Il a été affirmé que chaque instant passé en prison est un instant perdu de sa vie. Cela est vrai, comme le savent malheureusement par expérience ceux qui ont été incarcérés en risquant la perpétuité. Mais on doit ajouter qu’il faut s’imposer un dépassement de ce premier niveau de considérations. Dans le cas contraire, on ne comprendrait pas bien ce que nous attendions de la part de l’Etat lorsque nous lui avons crié en face – tous ensemble – ses quatre vérités ? Un poste de travail au cadastre ?
Ainsi, face à la plus que prévisible répression, chacun a fait ses comptes. Nous n’avons jamais été de ces aventuriers du flingue, fascinés par la violence pour la violence, entraînés dans un processus qui dans le nombre voyait la force et dans la force l’inéluctabilité de la victoire. Dans notre rébellion, il y a toujours eu une base de maturité révolutionnaire. En chacun de nous, pris singulièrement.
Ceci ne change rien au fait que nous devons trouver le chemin pour réduire le temps d’incarcération des camarades qui sont en prison. Il faut donc s’entendre sur les chemins qui sont praticables et ceux qui ne le sont pas, parce qu’ils requièrent un coût trop élevé, beaucoup plus élevé que la prison même.
Les véritables révolutionnaires n’ont jamais été opposés par principe aux luttes intermédiaires. Ils savent que ces luttes sont indispensables pour rapprocher le projet des conditions sociales qui le mettront en oeuvre. Il n’est pas possible de proposer un développement directement révolutionnaire à une situation de conflit social qui ne laisse entrevoir que certains aspects des contradictions qui le caractérisent, tandis que d’autres aspects, peut-être les plus importants, restent cachés. C’est pour cela que nous participons aux manifestations, à la contre-information, aux luttes dans les usines, les écoles, les quartiers. Pour chercher, d’une fois à l’autre, à les pousser vers des objectifs bien plus vastes que la simple revendication, l’information, le dissensus.
Pour nous, les luttes intermédiaires ne sont pas un but, il s’agit d’un moyen dont nous usons (parfois souvent) pour rejoindre un autre objectif : pousser à la rébellion. Ceci dit, nous n’admettons pas qu’on puisse en venir à pactiser avec le pouvoir. Fixer une négociation, marchander en bloc la liberté des compagnons en taule.
Nous ne sommes pas d’accord, parce qu’une telle contradiction ne serait pas une lutte intermédiaire, mais serait le début de la fin, serait sa propre fin en soi : la liberté des camarades payée par la liberté des camarades. Tous (ou quasi tous) dehors, mais dépouillés de tout, en premier chef de leur propre affirmation comme révolutionnaires, de leur dignité, de leur valeur humaine.
Il est faux d’affirmer – comme on l’a entendu – que la négociation d’aujourd’hui serait le prélude à la continuation des luttes de demain. Acceptant la négociation aujourd’hui, on pourrait demain au maximum lutter à l’intérieur du ghetto que le
pouvoir nous assignera. Le ghetto des anciens combattants d’une faillite, d’une défaite, d’une reddition.
Il est faux d’affirmer – comme on l’a entendu – que si on ne négocie pas immédiatement cette reddition, les luttes de demain seraient condamnées à la répétition maniaque du schéma déjà vu de la lutte armée. A qui peut bien venir à l’esprit une telle balourdise ?
Les luttes du futur seront bien diverses si on tient compte des erreurs et des points positifs. Dans le cas où nous devions tout perdre en une reddition sans conditions, notre passé n’existera plus, sinon sur les photos à usage et consommation des frissons de salon de la bourgeoisie de la prochaine fin de siècle.
La misérable perspective du néo-collaborationnisme
Ils nous appellent à la raison et à la réflexion. Ils nous invitent à ne pas être les
mauvais garçons de toujours, à comprendre comment vont les choses. Ils nous invitent à la collaboration.
D’un côté (celui du pouvoir), les bras sont ouverts, même si le prix initial de la
négociation reste encore exorbitant. D’un autre côté (celui de l’ex contre-pouvoir imaginaire) les bras sont non moins ouverts et on ne cherche même pas à nous faire une réduction.
L’urgence biologique devient un fait prioritaire. La solitude physique et morale de 4.000 camarades signifie une montagne sur nos épaules, mais ne peut pourtant nous faire bouger d’un millimètre. Nous ne sommes pas des irréductibles de l’erreur, mais de l’évaluation critique.
Nous ne voulons pas collaborer parce que nous croyons en nos idées et en notre capacité à transformer la réalité, ce n’est pas parce que nous croyons en ce que nous avons été que nous pensons qu’une modification n’est pas possible. Nous ne sommes pas des adorateurs imbéciles d’un modèle considéré comme une vérité. Mais nous ne sommes pas non plus des collabos qui basent leur conviction sur une critique élaborée dans les bureaux du ministère de l’Intérieur.
En collaborant, on nous consigne en bloc à l’ennemi, on ne propose pas une alternative pour répandre la lutte ailleurs. Il n’y aura jamais un « ailleurs » pour les collabos. Ils porteront toujours avec eux leur propre passé, emballé dans la merde de leur présent.
Leur raison est entrée en crise
Rationalistes féroces, maintenant ils sont entrés en crise. Il ne leur suffirait pas la liste que le staliniste Luckas avait produite (condamnation de Nietzsche, condamnation de Stirner) pour mettre son coeur en paix avec la philosophie. Maintenant ils sont retournés dans les bras de Spinoza, et encore plus bas, dans les bras d’Husserl.
Curés pratiquement de toujours. Ils ont maintenant le comportement radical et
possibiliste de celui qui a découvert la crise comme l’autre face (apparemment
monolithique) de la conscience. Ils se jettent tête baissée dans la perplexité comme d’autres fois ils se jetaient tête baissée dans la certitude.
Maintenant ils veulent « utiliser » la politique. D’autres fois ils se laissaient utiliser par elle. Pour eux la crise est venue après une défaite militaire. Comme un bon comptable qui ne sait plus cadrer ses comptes parce que quelqu’un a soustrait – manu fortis – ses registres.
De cette façon la crise devient un alibi, non pas une occasion. Camouflage des tumeurs de la propre imbécillité et non pas ouverture au divers, au créatif. Ainsi, ils s’agitent tels des chats poursuivant leur propre queue, autour du problème du pourquoi de la crise et de celui de comment en sortir. Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils ne sont jamais entrés en crise ; ils se sont seulement regardés au fur et à mesure, dans différents miroirs déformants : hier ils s’imaginaient beaux et forts, aujourd’hui ils s’imaginent abrutis et faibles, pleurnichards et abattus.
Ce qu’ils n’ont jamais compris
Ils n’ont jamais eu de l’imagination. Le cadre de leur existence était étroit et circonscrit. Mémoire répétée à l’infini. Lieux communs des pulsations de la victoire et de la défaite. Socialisme réel contre communisme et liberté. Le profond destin de l’ignominie transformé dans le signe radieux de la gloire. Non pas confusion, mais tristesse et ordre policier.
Ils n’ont pas compris tout ce qu’il pouvait y avoir de libérateur dans l’attaque, et l’ont répétée comme un morceau classique, sous les yeux des metteurs en scène sévères et respectueux de la formalité.
La subversion passe apparemment par les mêmes chemins, quelque fois elle choisit les mêmes objectifs, mais se développe et s’ouvre vers des horizons divers. Elle ne cherche pas son expansion à travers la magie des organes d’information. Elle est elle-même expansion. Elle croît avec la croissance du fait subversif, dans le cas contraire, elle se réduit, rentre en elle-même, projette d’autres interventions. Elle ne crie pas au scandale de l’histoire, ne s’étale pas soumise aux pieds de l’oppresseur, ne parle pas de crise, ne fait pas de clins d’œil à la collaboration.
Ils n’ont pas compris que la critique se fait aux moment où l’on avance, où l’on attaque, aux moments de croissance et de développement. Si dans cette phase on nourrit seulement des illusions, dans la phase suivante, lorsqu’on paye les erreurs commises, on n’est plus en mesure de faire « une critique », au plus on peut réciter un « mea culpa ».
Le mouvement réel n’est pas dans les prisons
Ils ont toujours commis l’erreur de chercher l’interlocuteur privilégié dans telle ou telle partie de la réalité. Aujourd’hui le sous-prolétariat, hier l’ouvrier d’usine, entre aujourd’hui et hier l’ouvrier-masse, demain le prisonnier politique.
Encore une fois leur myopie les met hors de jeu. Elle les coupe de la réalité. Et alors ce n’est pas la peine d’être plus cruel, plus irréductible, plus massacreurs de cadavres et de proclamations que ne l’ont été d’autres dans l’histoire. La nuit des temps est pleine de ces choses là.
Les copains détenus ne peuvent constituer un point de référence privilégié. Ils ne peuvent fournir l’indication la plus avancée de la lutte. Ils sont dans un espace sacrifié, dans un état de continuelle torture physique et psychologique. Ils sont le symbole de l’affrontement de classes. Ils ne sont pas cet affrontement lui-même.
Nous ne sommes pas chrétiens. Le témoignage de quelques-uns d’entre nous, même de ces copains qui sont tombés, ne nous porte pas à des considérations différentes de celles qui sont symboliques. Nous ne souffrons pour cela, ni de carences affectives envers ces copains, ni de crises de l’attachement à un symbole. Toutes ces choses-là sont des faux problèmes.
Nous avons notre bannière, mais nous ne lui prêtons pas serment. Nous avons notre parole, mais nous ne la drapons pas d’une bannière. Nous avons notre amour propre, mais nous ne l’objectivons pas à l’usage et consommation des autres. Nous avons nos rêves, nos espoirs, nos désirs, nos amours, mais nous ne les conditionnons pas tous dans une vision unilatérale de la vie. Avec tout cela, nous ne sommes pas pour autant éclectiques ou possibiliste. Notre rigueur émerge de la raison et du coeur. Parfois prévalent pour nous les raisons du coeur, d’autres fois celles de la raison, mais ceci n’est pas un motif pour nous sentir coupables ou croire nous être trahis nous-mêmes et nos principes.
L’affectivité pour les copains emprisonnés ne peut nous faire fermer les yeux
devant la réalité qu’ils sont, en effet, des copains en prison. Des copains vivant des conditions de privations et d’isolement.
Si nous voulons les libérer nous devons partir de quelque chose de différent ; du mouvement réel. Si nous partons d’eux, de leur spécificité, nous serons en train de les clouer – d’une manière ou d’une autre – à leur situation carcérale, juste soit la réussite de notre initiative (même celle d’une possible libération).
Ce qui produira leur libération sera le mouvement réel qui est dehors, l’effort de lutte que nous, en tant que mouvement spécifique, serons capable de développer, en raccordant les milliers (ou les centaines, ou même quelques dizaines) de fils qui lient mouvement spécifique et mouvement réel.
Dans le cas contraire ce seront des milliers d’années de solitude pour tous.
Il ne peut y avoir crise de l’imagination pour qui n’a jamais eu d’imagination
Seulement maintenant il est venu une atroce suspicion : qu’entre la culture dont ils se faisaient les porteurs et la pratique qu’ils étaient en train de réaliser, il n’y avait pas de comptabilité. D’un côté le rêve de quelque chose, de l’autre côté quelque chose sans le rêve. Le saut devait être accompli avec l’imagination, le saut vers le ciel de l’impossible, de l’extraordinairement autre, chose qui de toutes façons leur a toujours été fermée.
Néanmoins, maintenant ils s’aperçoivent qu’au contraire, la compatibilité existait effectivement et que c’était simplement atroce. Chacun choisit ses moyens et ceux-là leur vont comme un gant, il appartient à leur capacité inventive de trouver les cohabitations et les modes d’emploi, les perspectives et les orientations vers des fins toujours diverses. L’étouffement des moyens est une des morts les plus horribles.
Pour le commis voyageur de la mort sont admises seulement les vacances de fin d’année (ou de fin de « campagne »). En règle générale il doit faire marcher la guillotine. Le bruit de la lame qui tombe finit par scander les moments de sa journée. Après un certain temps on ne peut pas faire à moins.
Le projet est achevé. Le commencement rejoint la fin. Un nouveau commencement
et une nouvelle fin se profilent : toujours identiques et répétitifs. La culture qu’il a promue est à son tour promue à un fait promotionnel.
Où trouver le cadavre de l’imagination ? Ici n’a pas même existé le rêve de quelque
chose d’imaginatif.
Le stéréotype du parti armé
Le parti sert de courroie de transmission à l’initiative de la minorité organisé vers le
prolétariat désorganisé. Dans la perspective scatologique des événements, les petits faits destructifs d’aujourd’hui miment l’apocalypse.
Le parti projette, codifie, exécute, transforme, répète. La dernière phase de cette
répétition se représente toujours pareille.
Le parti est le projet unidimensionnel le plus organique que l’on peut connaître.
Rien n’échappe à son organigramme, tout peut être, au fur et à mesure inclus. Cette extrême « compétence » le fait apparaître comme un mini Etat en formation. Actuelle tumeur de cette grande et diffuse maladie qu’est la politique des Etats.
Guerre de classe et centralisme léniniste
L’orientation donnée aux événements de classe (dans l’imaginaire codifié) impose à
l’affrontement l’aspect d’une guerre militaire. Les événements infiniment complexes du conflit social sont ainsi réduits et simplifiés, et se trouvent complètement enfouis dans les faits d’armes.
Le spontanéisme périphérique, nécessaire au début dans une armée qui d’une manière ou d’une autre est recrutée et qui ne reçoit pas régulièrement ses moyens de quelque source d’approvisionnement que ce soit, le fait même d’avoir à « s’arranger » pour se procurer des armes, devient une limite négative à dépasser au plus vite. La progression dans ce sens est nécessairement rapide. Celui qui se renferme est perdu. L’ennemi s’équipe et se prépare pour l’antiguérilla. Le « guérillero » en s’équipant à son tour doit se transformer en soldat.
L’orientation des interventions, le jugement politique, les campagnes périodiques,
les objectifs, les conséquences possibles, et tant d’autres choses, sont filtrées et fournies à des niveaux divers par la structure centralisée. Les discussions de base, les débats, les propositions, les analyses, sont sélectionnées pour arriver jusqu’au sommet sous une forme simplifiée, prête à être transformée en nouvelle proposition pour l’action dont le développement se fait toujours à partir du centre. Après tout il s’agit d’une armée démocratique.
La réduction de la guerre de classe à un simple affrontement militaire porte en soi
la conclusion logique que si sur ce terrain on subit une défaite, la guerre de classe cesse d’exister comme telle.
On arrive par là à l’absurde, non seulement théorique, mais pratique qu’aujourd’hui en Italie, après la défaite des organisations combattantes, il ne s’agit plus d’une guerre de classe en actes et que donc, il y a intérêt pour tous (et en premier lieu l’Etat) à négocier une reddition pour éviter que se développe, ou continue à se développer, un processus conflictuel absolument fictif et complètement inutile autant que nuisible pour chacun.
La marginalité des partis armés au regard de la guerre de classe
Il est facile de constater que les structures armées, spécialement celles qui prennent
la forme d’un parti sont toujours marginales à la guerre de classe. Non pas qu’elles soient étrangères, elles sont simplement marginales.
La marche de l’affrontement de classe à des conséquences sur eux, elle les pousse
à se renfermer ou à s’ouvrir selon la plus ou moins grande tension sociale. Mais tout cela dans des limites très restreintes. Le rapport de représentativité ne s’instaure jamais, si ce n’est pour de très petites minorités marginales ou pour des groupes à très haute sensibilité politique.
Il est clair que ces phénomènes sont de grande importance, et il est aussi clair que
l’Etat fait tout son possible pour les récupérer à l’intérieur d’une logique « terroriste » qui les présente comme phénomène et faits exceptionnels, accomplis par des fous, des criminels exaltés ou des agents des services secrets.
Le chemin à prendre dans ce cas est celui qui descend vers la sensibilité populaire
en produisant des actions et des clarifications qui concernent et incluent les gens sans les immobiliser dans une fixité spectaculaire.
Or, le parti de par sa nature, se présent comme un filtre qui repousse les gens en les isolant dans un amorphe et rigide statut social : ouvrier, femme de maison, employé, cadre moyen, étudiant, etc. Il est comme une passoire qui absorbe une partie de ces gens seulement après une acceptation initiatique de type idéologique. La politique est un instrument de sélection. De cette manière une voie de croissance quantitative n’est praticable qu’à travers l’organigramme du parti. L’action et la clarification passent à un second plan et sont confiées à des mécanismes pédagogiques qui sont pensés à tort comme automatiques. L’Etat détruit après avec soin même les petits réflexes d’un mécanisme de ce genre (lorsqu’il existe).
Ce qu’ils peuvent rejeter
C’est le réflexe conditionné chez les gens. La sympathie induite. Tout ce qui est
passé par le filet serré de la censure étatique. Le soutien que l’on donne à celui qui a conduit une bataille au fond juste, même si cela a été avec des méthodes que tout le monde ne partage pas.
Très peu de choses, pour avoir un poids dans et sur le processus révolutionnaire en
cours. Le mouvement réel – qui ne perds jamais rien – pourrait s’en affirmer, mais ce « peu de choses » doit être mis à contribution, inséré de manière critique, consolidé au-delà de l’énorme rideau noir que le pouvoir a su mettre devant le regard critique des gens. A commencer par le mot « terrorisme ».
Ce qui ce fait contre. On se pense au centre d’une expérience qui [est] très différente
de tout ce qui a été écrit dans les journaux ou affirmé dans les palais de justice. On donne comme déjà connue la vérité officielle.. On déclare que la guerre est finie.
De cette manière on extirpe même ce petit peu qui est resté de positif et de révolutionnaire.
Ce qu’ils peuvent prévoir pour le futur
Absolument rien. L’irréversible processus du mouvement réel les éjectera décidément comme collaborationnistes. Aucune intention dialectique ne peut donner crédibilité à leur décision d’aujourd’hui, à leur néo-contractualisme qui apparaît de mille manières derrières les analyses compliquées de ces faiseurs de mots.
Ils pourront retourner à leur canevas usagé. Dans ces temps que nous souhaitons meilleurs, ils pourront jouer encore le vieux et maigre quiproquo des gardiens du temple, des calculateurs de la mémoire prolétarienne.
La chose a été faite dans le passé, certainement elle sera faite encore dans le futur. Il y a toujours tellement de braves gens qui n’attendent rien d’autre que de croire en quelque chose.
Mais tout cela a bien peu à voir avec la révolution.
Instrument dans les mains du mouvement réel
Au fond chacun de nous agit et vit sur la base de convictions- – justes ou erronées -, mais la plupart du temps on n’est pas en mesure de s’apercevoir des conséquences réelles de ses propres actions et de sa propre vie. Dans ce sens, même les prêcheurs de psaumes partitistes ont eu leur part. Un bagage de lutte et d’expérience s’est accumulé disponible pour être utilisé ou dispersé. Il n’y a pas moyen de le garder dans les coffre-forts de l’histoire. Nous devons maintenant et vite le porter à ses extrêmes conséquences. Dans le cas contraire, même les instruments conscients de la révolution finiront par se rouiller.
Cela prouve, par ailleurs, l’inutilité des décisions comme celles qui aujourd’hui ont été prises avec tant d’assurance : la collaboration est toujours le fait d’une partie ou plutôt du parti. La réalité des luttes ne collabore pas. Elle peut instrumentaliser des hommes et des méthodes pour après les rejeter et les mettre en marge, dans les lieux de la solitude et des réflexions sans pitié. Mais tout cela ne déplace pas d’un millimètre le parcours de l’affrontement social.
Ce sont d’autres choses qui mettent en jeu le résultat, d’autres niveaux de
conscience, d’autres participations et modifications objectives. Et dans la vérification de ces « autres choses », même les premières, l’insignifiance des instruments désormais rouillés cessera, malgré eux, d’être telle.
Très peu de copains
Ceux qui seront présents au carrefour des décisions seront peu nombreux. Non par
leur refus de la collaboration, mais par leur critique des erreurs et des limites des actions passées. La construction est un fait relationnel, elle n’admet pas des opérations d’addition ou de soustraction. Les bilans sont affaire de comptable.
Celui qui s’est illusionné dans la possibilité de supprimer par décision militaire –
sur le champ – l’exploitation capitaliste, maintenant doit se rendre à l’évidence qu’une
mythologie de ce genre peut se réaliser seulement si elle se concrétise dans une
véritable et propre généralisation de l’affrontement. La prairie brûle en totalité si le vent
souffle du bon côté, et le vent n’est pas toujours à la merci de notre volonté. Or celui
qui ne comprend pas cela peut très bien ne pas collaborer, mais il restera à l’extérieur
des luttes de demain ; une cariatide fixe et à sa place, un auto-éloge de l’immuabilité
dans le bien comme dans le mal.
Au-delà du parti
Au-delà du parti, la lutte armée libertaire, anarchique, insurrectionnelle. Au moment
de le reculade, lorsque déjà maintenant ils s’apprêtent à rendre armes et bagages à ceux qu’ils reconnaissent comme vainqueurs, voici qu’ils affirment fermement l’impossibilité de ce type de lutte.
Il est vrai que ceux qui ont vécu l’expérience de la lutte armée à l’intérieur d’un parti combattant ne se rendent pas compte de cette possibilité. Mais il est aussi vrai que les motifs initiaux qui ont empêché, dans son temps, une recherche opérationnelle dans ce sens, ont été de nature idéologique et non pas stratégique ou tactique. C’était l’âme du bolchevisme veille école qu’imposait le schéma de l’« Iskra » et du palais d’hiver. Non pas certitude prouvée de l’impossibilité d’une méthode différente de guérilla libertaire.
Maintenant, au moment de la collaboration de l’assiette de lentilles, il est dépourvu
de sens d’attendre une réflexion critique. Chez eux il s’agit peut être même d’un reste
de bonne foi que de vouloir faire voir comme seule possibilité la solution de la défaite.
Comment recommencer ? Sur quelles bases ? Sur la base d’un programme et une
méthode encore inconnus ? Plus souvent abhorrés ou bafoués ? Aller à la rencontre de
quelles perspectives ? Avec quelle crédibilité ? Admettre la défaite non pas d’un projet
militaire (ce serait une tautologie banale), mais d’un projet politique ? Mieux encore, se
décider à collaborer pour sauver ce qui peut l’être et recommencer au début demain, et si possible en répétant le même parcours.
Le projet anarchiste
Nous avons plusieurs fois parlé de la façon dont les anarchistes considèrent la lutte
armée. Nous l’avons fait dans ces temps non suspects, lorsque tous marchaient dans
l’espace précuit des grandes actions spectaculaires, systématiquement mâchées par les
moyens d’information pour la consommation de la plèbe.
Le refus des structures verticales, la collaboration sectorielle (non coordonnée), le
contrôle dans les limites de la sécurité, l’autosuffisance des groupes, le choix d’objectifs
minimum, la signification accessible de ces objectifs, la continuité de l’intervention, la
radicalisation progressive dans les secteurs sociaux, l’auto-information, l’activité de
propagande, la clarification critique, la circulation des idées à l’intérieur du mouvement,
la préparation des situations de propagande, les luttes intermédiaires, la liaison entre
cette phase et la phase suivante insurrectionnelle, les tentatives et les résultats des
actions singulières liées par un fil logique privé de sauts incompréhensibles, la parité de
tous les niveaux de lutte, la multiplicité des aspects de la dimension strictement
militaire, les aspects bipolaires des structures organisatrices, la capacité à se
déstructurer avec facilité à n’importe quel moment, la critique du professionnalisme, la
critique de la superficialité, de l’efficientisme, de l’économisme technique, la critique
des armes.
La solution insurrectionnelle
Participer ensemble avec les gens, avec les exploités en général, aux lutte
intermédiaires : pour le logement, contre la guerre, contre les missiles, contre les
centrales nucléaires, pour l’emploi, pour la défense du salaire, pour le droit à la santé,
contre la répression, contre la prison, etc.
Et puis employer notre force organisationnelle pour pousser graduellement ces
luttes toujours plus loin, vers un possible débouché insurrectionnel.
Le développement du mouvement réel est dans la pratique un processus de transformation violent de l’affrontement de classe
Il n’est pas vrai qu’au travers des luttes intermédiaires le mouvement réel puisse croître à l’infini. Le contraire voudrait dire que l’anarcho-syndicalisme serait la meilleure solution vu qu’il prévoit et une transposition des structures de lutte dans la société de demain et sa propre transformation en structure constitutive de la nouvelle organisation sociale.
L’important est que les luttes intermédiaires doivent trouver une conclusion
violente, un point de rupture, une ligne de force au-delà de laquelle la récupération ne soit plus possible que dans des proportions minimes et donc, insignifiantes. Mais pour
arriver à ce résultat le processus de transformation violente doit être le plus généralisé possible. Non pas dans le sens qu’il doive forcément partir d’un large mouvement de masse, violent et négateur des résultats immédiats et tangibles, mais dans le sens où il doit contenir, même lorsqu’il a une dimension minime au départ, l’idée et l’intention de se développer en tant que violence de masse. Dans le cas contraire le rôle de mouvement spécifique devient purement symbolique, renfermé en soi-même, capable de donner satisfaction (jusqu’à un certain point) seulement aux composantes de cette minorité (ou, si l’on préfère, du racket).
La valeur éthique de la violence
De ce seul point de vue les discours sur la violence ont un sens. Certes non pas dans l’étroitesse et l’abstraction de celui qui parle comme d’une valeur de la vie en absolu. A mon sens la vie des exploiteurs et de leurs serviteurs ne vaut pas un centime. Et aller faire des différences – comme il a été fait – entre la fin d’un Moro et celle d’un Ramelli [5], me semble être le prélude trompeur à un discours exsangue.
Une adéquation de la violence émancipatrice aux conditions du conflit n’est jamais possible. Le processus de libération est de par sa nature excessif. Dans le sens de la surabondance ou dans celui de manque ? Où a-t-on jamais vu que l’insurrectionpopulaire fasse mouche, distinguant nettement les ennemis à abattre. C’est un coup de griffe du tigre qui lacère et ne distingue pas.
Certes une minorité organisée n’est pas le peuple insurgé. Donc, elle distingue. Elle doit distinguer. Mais même dans la prudence nécessaire qu’elle impose, elle y trouve à la fois et sa propre limite et l’orientation d’une possible ouverture. Dans ce sens c’est révolutionnaire, elle est une expérience « in vitro », et peut donc, se transformer en risible tempête dans un verre d’eau.
Mais la distinction ne doit pas être faite en fonction de la déchiffrabilité de l’action, mais en fonction de sa reproductibilité. Les deux choses, si l’on veut, ne sont pas séparées, mais sont différentes. La déchiffrabilité de l’action est différente de ce que la minorité elle même peut réaliser, puisqu’elle reste liée à l’intervention des grands moyens d’information et donc, aux distorsions du pouvoir. La reproductibilité est un fait intrinsèque à l’action même. Le pouvoir pour la défigurer doit la passer sous silence, parce que même dans le plus hasardeux des commentaires, le fait même – nu et cru – ne peut être mis en doute.
Ce difficile problème se résout comme il suit. L’attaque contre l’ennemi de classe
est toujours justifiée. La vie de celui qui opprime et empêche de vivre ne vaut pas un centime. Cette attaque peut être réalisée de manière généralisée donc, avec une intervention massive des gens, et alors elle n’est pas mesurables aux conditions réelles de l’affrontement : elle reste toujours non harmonieuse, excessive ou réductrice. C’est celle-ci la dimension maximale de la violence révolutionnaire, simultanément créative et destructrice. Par contre, dans une dimension minoritaire on cherche toujours à mesurer le coup, à le régler par rapport aux réelles limitations de l’affrontement. Chacun de nous croit avoir une idée précise sur le niveau du conflit de classes et donc, suggère des solutions et en dessine des limites. Mais en pratique c’est la déchiffrabilité qui nous guide. Nous sommes des pédagogues à la recherche de disciples. Alors que c’est la reproductibilité qui devrait être la critère pour mesurer la violence minoritaire, afin que justement de minorité elle devienne un fait généralisé.
Le reste n’est que bavardage de curé.
Le projet simplificateur du parti
Entre autres choses il y a cette illusion que le parti puisse simplifier le modèle employé pour construire l’action. La déchiffrabilité est alors confiée aux organes de propagande qui distillent d’horribles pacotilles que l’on appelle proclamation, programme ou communiqué. Le langage se standardise aussi bien que l’action. Tout se répète. Tout devient familier à tous (sauf aux gens). La familiarité, la grande masse l’acquiert à travers les interprétations du pouvoir. Le résultat ce sont des modèles préfabriqués d’actions. Les autres assistent et se contentent des frissons du risque à crédit. Le modèle trouve son succès à la manière des séries noires ou des films d’horreurs. Mais personne n’a l’idée de mettre un homme en morceaux dans sa propre baignoire pour voir comment cela se fait. On préfère le voir faire au cinéma.
Il n’est pas vrai qu’il s’agisse de peur face à l’expérimentation. Bien des gens courent des risques de loin supérieurs avec une voiture ou une seringue à la main. Il s’agit d’éloignement. De déformation romantique de la réalité. De sacralisation bien construite autour des pratiques émancipatrices qui n’ont rien d’exceptionnel. Des forclusions souvent d’origine religieuse que l’on [ne] dépasse peut-être jamais complètement.
Le parti prétend clarifier tout cela de l’extérieur, construire un modèle précuit de
reproductibilité. Il ne s’aperçoit pas que par là il fait le même travail que l’Etat. Proposer de faux désirs. Dans l’éloignement par rapport à la portée réelle de la violence libératoire, les deux pôles se rejoignent. Pouvoir et contre-pouvoir marchent parallèlement et se soutiennent réciproquement.
De quelle communication parlent-ils ?
Par un phénomène de diffusion aurait dû se propager l’effet incendiaire de l’exemple. Mais l’action restait indéchiffrable. Peu d’initiative dans ce sens. Le reste devait être fait par les grands moyens d’information.
Mais qu’est-ce qu’ils peuvent bien communiquer ces relais de l’idéologie du
pouvoir en formation ? Justement ce que veut le pouvoir. Mais le parti, ce n’est pas lui-même un mini-pouvoir en formation ? Et, de fait, au moins au début, ce raisonnement a marché. Le pouvoir lui-même donnait une image agrandie (donc, déformée) de l’attaque réelle contre l’ennemi. Mais cela était propre au but de creuser un fossé toujours plus profond, de transformer la minuscule réalité en formation dans un général et illusoire théâtre de la mort, avec ses spectateurs à leur place payante, avec l’opportune atmosphère de silence et d’insécurité, enfin tous les éléments du drame bourgeois. Lorsque désormais la distance fut devenue énorme, la fermeture devint totale, puis l’interruption. Dans la fantaisie sans frein le fait mystérieux se prolongeait démesurément. Quelque chose entre la bande à Bonnot et Jack l’éventreur.
Et les timides tentatives de généralisation ? L’illégalisme de masse qui balbutiait ici et là ? Les petites pratiques de sabotage ? Les milles incendies, les centaines de « jambisés » anonymes, les vitrines cassées, les saccages réellement prolétariens ? Tout cela est balayé. De petites choses pour dames de charité. Jouets pour enfants déviants. Petites scènes périphériques. Au centre (mais quel centre ?) on répète la grande scène maîtresse dont la co-production est due à l’Etat et au contre-Etat.
Nonobstant, dans cette grande mise en scène, avec toutes ses limitations, il y avait et les germes de la dégénérescence la plus absurde et les germes d’une dissémination dans tout le territoire. Il aurait fallu faire taire le toujours plus encombrant militarisme, le discours terrifiant d’avant et qui maintenant a été transféré dans les non moins terrifiantes illusions des actions éclatantes.
Mais pour faire cela il fallait une critique réelle, non pas une critique seulement sur les mots. Une épreuve sur le champs, non pas sur les tables des instituts d’anatomie. Un mort est un mort d’où qu’on le regarde. Il faut arriver avant, construire parallèlement, faire voir ; ne pas se limiter seulement à indiquer les fissures que dans la pratique personne ne veut admettre.
Le rapport anarchiste entre minorité agissante et mouvement réel
Ni point de référence, ni coffre-fort d’une mémoire que le mouvement gère très bien lui-même. Ni élaborateurs de stratégies et de méthodes, ni centrale de recyclage. Néanmoins, inéliminable condition du projet révolutionnaire. Dans l’intervention magique de mille conditions l’attente devient insupportable et souvent inutile.
Il faut pousser, créer les conditions minimum pour que l’événement se vérifie, pour que la magie d’un fait se généralise, se répande comme une onde dans l’eau. Mais avec le cerveau et les yeux bien ouverts. Avec un projet. Avec les moyens indispensables.
Mais, il faut aussi que projet et moyens ne deviennent pas la chose la plus importante, l’unique chose pour laquelle on lutte. Son essentialité ne peut jamais se transformer en exclusivité. Il faut même savoir envoyer tout au diable. Non pas d’abord, en attendant que l’événement se soit vérifié, mais après, si les conditions nécessaires (certainement minimum), indispensables ne se donnent pas. Non pas s’auto-reproduire à cause du fait qu’il faut continuer à vivre. Nous sommes différents de cette histoire là. Nous allons beaucoup plus loin c’est pourquoi nous pouvons toujours recommencer.
Eux sont exclusivement ceci. Un théorème qui pousse sur lui même. Un
monstrueux et compliqué imbroglio de tautologies.
L’idéologie de la reddition séparée
Et les autres ? De ceux proches et de ceux plus éloignés. De ce sous-prolétariat qui a inspiré tant de stridences, proche, dans la même cage, mais lointain de mille miles à cause de ses propres motivations réelles de contestation. Au prolétariat en général, celui mythique, mais aussi celui réel, celui qui se lève tôt le matin, qui produit, qui se fait massacrer avec la régularité d’un chronomètre, celui qui a reçu le moins des sérénades, mais tellement plus de théories, de toutes façons également inutiles. Rien à faire. La reddition est séparée.
Cela importe peu que l’on doive porter la lutte tous ensemble en avant. Maintenant les avant-gardes ont été capturées par l’ennemi. On peut dire qu’au moins le gros de l’armée prolétarienne s’est épargné un tel événement. Elle ferme sa gueule et continue à se faire exploiter. Donc, envoyons-le au diable. Envoyons-y aussi ces autres qui prétendent construire leur racket, qui se déclarent prêts à un discours politique, mais qui après se montrent inconstants, n’acceptent pas des ordres, ne digèrent pas la théorie. Alliances transitoires mais au fond peu de choses. Et maintenant marchons seuls, mettons nous d’accord avec l’Etat et laissons les autres dans leur galère (ou dans l’usine) tant qu’ils le voudront. Mille ans de solitude, mais seulement pour eux. Après tout ce sont des ingrats.
L’enfer est pavé de ce genre de raisonnement. Tous prêts et disposés à se sacrifier, mais ils prétendent tous à une rétribution. A partir de Saint Paul la condition est posée clairement : rétribution et servage. Dans ce prétendu raisonnement s’occulte l’idée secrète que le prolétariat (sous ou sur) doit servir de masse de manoeuvre, de force de choc guidée et illuminés par le parti combattant. A crever de rire.
Néanmoins lorsque cette histoire ils l’ont vécue dans le passé c’était plutôt quelque
chose de sérieux, de tristement désarmant.
Pour eux le niveau d’affrontement est déterminé par la grandeur de la puissance de feu qu’ils ont réussi à mettre en jeu. Ils ne s’aperçoivent pas que si le prolétariat les a laissé seuls lorsqu’ils ont attaqué Moro et son escorte (et comment pouvait-il jamais intervenir ?), c’est que eux même ont laissé seul le prolétariat dans ses milles petites actions de chaque jour. Dans son affrontement continuel. Dans sa souffrance. Dans la chute de ses rêves et de ses espoirs. Dans la tragique comédie qu’il est contraint à voir répéter inlassablement de la part de divers syndicalistes, hommes de parti, patrons et serviteurs des patrons, etc.
Si on arrive à la conclusion de la difficulté d’être ensemble avec le prolétariat dans cette série infinie d’affrontements armés (et pourquoi toujours les armes devraient être seulement ces choses fabriquées par les industries comme la Breda ?), on doit forcément conclure que le parti armé devait être nécessairement seul dans ses attaques contre un ou cent responsables de l’exploitation. Non seulement dans le sens physique, parce que cela est secondaire, mais dans le sens politique, dans le sens révolutionnaire, dans le sens du projet de transformation du monde.
Voilà que la solitude du passé réapparaît maintenant dans l’idéologie de la reddition. Chacun s’arrête de ramer. Le prolétariat s’est arrêté depuis longtemps. Pour quoi aurait-il dû se faire embarquer dans un projet absolument inexistant ? Eux ils s’arrêtent de ramer maintenant. L’Etat se trouve au milieu, juge très partial et intéressé.
La « mise entre parenthèses » comme trahison
Arrêtons-nous un moment à réfléchir. Chacun avec les idées d’alors mais dans les conditions d’aujourd’hui. Pour résoudre le problème il faut mettre entre parenthèses l’affrontement de classe, faire l’hypothèse qu’un moment de suspension idyllique est possible. Nous dedans, les autres ailleurs, dans un lieu qui n’en est pas un.
Nouveaux mots pour un comportement vieux comme le monde : trahison. On n’est pas traître parce qu’on veut lumière critique, approfondissement des erreurs, correcte reposition des actions futures. On est traître lorsque l’on se renferme dans une prison beaucoup plus froide et terrifiante que la pire des prisons benthamiennes. On est traître lorsque l’on met des barrières entre nous et celui qui a vécu notre même expérience, a mangé le même pain, a commis les mêmes erreurs. Lorsqu’on s’éloigne de l’objectif que l’on s’était fixé, le laissant arrêté et immuable, lorsqu’on cherche une bassine pour se laver les mains.
Le traître d’un soir donnait un baiser sur la joue. Celui d’aujourd’hui a lu Lakatos et joue pour sa remise sur l’équivoque des mots. Il sait qu’Husserl a parlé d’une « suspension de jugement » comme démarche méthodologique pour connaître la réalité. Mais, ce froid réalisme n’est même pas celui de l’Est qui a une lourdeur paysanne et rustraude, mais celui de l’Ouest qui est raffiné puisqu’ ayant vécu à Louvain. Allons donc, dans la trahison le professeur allemand et le paysan russe se ressemblent beaucoup lorsque tous deux ont fait carrière dans le parti. Chacun utilise les moyens qui lui sont congénitaux, le résultat est le même.
Il y a ceux qui prennent des chemins de traverse : ils chantent vite et négocient directement à la source. Ils y en a d’autres qui se font plus lents et longs, incommodent des concepts compliqués pour finalement se mettre d’accord par personne interposée. La saloperie est la même.
Tous les rats retournent tôt ou tard sur le bateau politique
Un pas en arrière est toujours une pactisation politique. Un pas en avant peut
même être erroné, mais influe sur le social. Des fois, marginalement ou dans une
moindre mesure, mais ce qui compte est l’orientation, le sens de la marche. Les rats
peuvent se jeter à la mer pour se noyer, mais sous peu ils retrouvent l’escalier du
bateau. Leur instinct les sauve.
La négociation est un moment politique, elle est comme une guerre dans un verre d’eau. Comme le cessez le feu. Comme l’engagement frontal et l’appauvrissement du conflit de classe. La politique est aussi cela. L’art de s’arranger en attendant que d’autres fassent ce que nous aurions dû faire nous mêmes. C’est pour cela que les rats ne sont pas des taupes.
Réduisant la demande à son minimum réaliste on se présente comme porteurs d’une alternative : faire sortir quatre mille copains de prison. L’importance du résultat pousse à couvrir la tortuosité de la démarche. La lutte ne peut être que politique. Une plate-forme de revendications, rien d’inacceptable, un processus de libération circonscrit que l’on fait passer comme la seule solution possible au problème plus complexe du processus de libération. Au fond il s’agit du jeu habituel des politiciens super-réalistes. Les réformes sont immédiatement réalisables, la révolution non. L’utopie dérange les rêves des seigneurs et le dialogue réformiste le concilie. Leur angoisse actuelle consiste dans l’existence de quatre mille prisonniers politiques en Italie, plus ou moins en contact avec une masse de 35.000 prisonniers appelés communs. Peut être que mis dehors les premiers, on ne puisse pas organiser des écoles de rééducation sociale satisfaisantes pour les deuxièmes, une sorte de post-prison à mi-temps. Utopie pour utopie, une chose vaut bien l’autre. Dans la fantaisie du « petit à petit » il n’y a pas de limites.
Lorsque dans le temps ces rats criaient comme des aigles, un discours de ce genre aurait été passé par les armes. Mais c’était d’autres temps. Maintenant une fois finie la chandelle on a aussi perdu le candélabre.
Même pas un signal. Cesse le feu et basta ! Nous devons tous retourner chez nous parce que la guerre est finie.
Mais qui et quoi a été battu ? Certainement pas le mouvement réel qui continue sa
marche souterraine. Certainement pas une méthode qui ne peut subir ni défaite ni victoire. Une mentalité oui : celle-là a été battue.
Et non seulement sur le terrain de la lutte armée.
Mais à l’égard de cette mentalité les critiques sont superficielles et isolées. Contre
le militarisme monolithique ils ont très peu de choses à dire.
Les vieilles cariatides et les vieux discours
Voilà pourquoi il existe toujours le risque de la réapparition des vieux discours. De préférence avec de nouveaux habits.
Aujourd’hui nous assistons à divers travestissements du vieux discours réformiste, une sorte d’appel à tous ceux qui veulent faire respirer à nouveau le mouvement. Demain nous assisterons à une réédition du vieux centralisme léniniste. L’indiscrétion n’a pas de limites.
Théorie de la fuite et théorie de la résistance
Sur le plan de la critique révolutionnaire l’abandon et l’ultra-irréductibilité s’équivalent.
Cette affirmation ne doit pas étonner. Nous sommes là pour approfondir des problèmes douloureux et difficiles, non pas pour redorer des lieux communs. Ce dont on a besoin n’est pas d’un romantisme de forme, d’une fidélité aux propres choix stratégiques. Nous avons besoin d’aller de l’avant. Pour cela nous ne voulons pas fuir. Non pas parce que nous pensons que tout a été fait comme il devait l’être et que tout va bien dans le meilleur des mondes.
Fuir signifie se réfugier dans des territoires d’arrière-garde dans lesquels la
révolution se trouve niée non seulement dans les mots, mais combattue dans les faits. L’alternative de la désobéissance civile, du réformisme, du pacifisme, de la démonstration qui trouve sa fin en elle-même, n’est autre chose qu’abandon, dissociation, aliénation, refus de continuer la lutte. Faire appel aux lois, au parlement, aux intermédiaires du trafic politique dont la signification est désormais archiconnue, signifie retourner sa veste, trahir.
Mais s’arrêter aux vieux choix, réaffirmer l’indiscutable validité de la méthode du
parti armé, la pérennité de la croyance dans le militarisme minoritaire, est aussi une fuite, précisément une fuite devant les propres responsabilités critiques. Peut-être cette dernière voie est-elle plus sympathique, fait-elle moins dégueuler, suscite-t-elle de sincères expressions de solidarité, mais ce n’est pas avec des états d’âme que l’on construit les conditions révolutionnaires.
Nous avons donc besoin d’une critique. Ce qu’il nous faut ce sont des méthode
d’implications à l’intérieur desquelles pouvoir mettre à profit nos expériences des luttes passées. De cette manière il est possible de comprendre la lutte armée des années à venir. Comme projet en soi achevé d’une organisation spécifique, la lutte armée n’a même plus cette minime possibilité propulsive que l’expérience à ses débuts – dans les conditions du capitalisme avancé – pouvait laisser prévoir.
Nous devons aller de l’avant. L’organisation spécifique c’est bien. Elle n’est pas un
instrument qui puisse être substitué, puisqu’il est l’expression directe du mouvement
spécifique ; ce qu’une objectivation de la conscience révolutionnaire réussit à donner
d’immédiatement opérationnel. Mais elle doit être exclusivement orientée au service de
l’engagement. Se trouver exactement un pas en avant par rapport au degré de
combativité des masses, sur les terrains spécifiques dans lesquels cette combativité se
manifeste, même dans une moindre dimension, et limiter la propre action à cette
capacité des masses. Ne pas se mettre en avant tous azimuts, assumant par là et sur
soi des significations et des rôles qui ne sont pas pertinents à l’organisation spécifique.
Dans ce sens il y a encore beaucoup à faire. Il faut lutter, de fait, sur deux fronts.
D’un côté contre la mentalité militariste qui ne peut pas concevoir une organisation spécifique aussi circonscrite et limitée. De l’autre, contre une mentalité réformiste qui voit avec méfiance même ce petit pas en avant que l’organisation spécifique doit accomplir, en l’interprétant en termes de prévarication et d’avant-gardisme.
Dans la tentative pour clarifier ces problèmes nous avons parlé d’insurrection.
Il n’existe pas une solution du problème à l’intérieur de la structure capitaliste. Les prisons doivent disparaître de manière totale et définitive. Nous ne pouvons pas traiter une libération partielle.
Certes, nous pouvons imposer des conditions d’intolérabilité pour l’Etat, de telle sorte que – lui seul – arrive à la réalisation d’une solution partielle du problème. Mais celle-ci n’est pas le résultat d’un traitement post-révolutionnaire, mais un moment du conflit. La reddition doit venir de la part de l’Etat. Nous ne nous illusionnons pas sur le fait qu’elle puisse être une reddition totale, elle est ou sera au plus une manière quelconque de conclure un pacte. Cela oui. Cela est possible. Et imposer ce pacte doit être le fait du mouvement réel, l’affrontement de classe n’est pas le fait d’une décision de la minorité qui s’accroche à cette frange réformiste qui veut exploiter quelque occasion que se soit afin de se perpétuer dans sa stratégie de pouvoir.
Nous ne devons, ni [n’]avons, à demander l’amnistie pour les quatre mille prisonniers politiques. Nous devons demander (ou imposer ?) l’abolition de la prison pour tous, la fin définitive du concept d’« homme prisonnier ». C’est dans le processus de lutte pour imposer cette méthode du « tout et tout de suite » que l’Etat peut arriver à décider un pacte, à concéder une quelconque trouvaille légale que l’on peut appeler amnistie, travail social, ou n’importe quoi d’autre. A nous il nous appartiendra après – sur la base d’une évaluation des conditions du conflit – d’accepter ou non.
Voilà pourquoi dans la proposition nue et crue de l’amnistie il se trouve sous- jacent le désir de ne pas aller de l’avant.
L’énorme pression morale des quatre mille corps qui sont pratiquement en train
de mourir dans la solitude, ne peut nous faire fermer les yeux devant l’évidence. Choisissant la voie du pacte, de la négociation avec l’Etat nous ne réussirons jamais à les tirer réellement de là. Nous mettrions dehors quatre mille simulacres de femmes et d’hommes qui tomberaient dans une dimension où ils ne feraient que retrouver les barreaux d’une autre prison : la prison de la propre inutilité, du propre abattement, se sentant constamment « ailleurs », dans ce lieu où ils ont consigné la propre identité de révolutionnaires.
Il faut retourner l’ignoble thèse qui a été proposée : négocier la libération des
copains pour reprendre la lutte ; par l’affirmation beaucoup plus logique et conséquente : reprendre la lutte pour pouvoir imposer la libération des copains. Mais cette reprise ne doit pas être la répétition maladive des modèles monolithiques du parti armé, mais un développement critique dans une autre direction.
Reculer pour mieux sauter est un vieux proverbe français qui ne s’adapte pas à l’affrontement de classe. Qui recule est perdu. L’Etat n’admet pas de tâtonnements. La répression ne diminue pas lorsque l’action révolutionnaire se ralentit, elle se transforme tout simplement. Elle devient plus prévenante et pénétrante. Elle s’infiltre de manière social-démocrate, fait prévaloir la recherche du consensus à la matraque du flic. Elle rétablit les formalités de l’Etat de droit. Après tout, celui qui fait les lois les manie toujours selon sa propre volonté.
En hésitant sur la conduite à avoir, nous faisons un cadeau à la répression. Nous lui concédons un souffle inespéré. Aucun moyen oppressif ne peut durer très
longtemps. Aucune loi spéciale ne peut s’institutionnaliser à l’infini. Tôt ou tard le
consensus s’en ressent. Il faut alors retourner à la normalité. L’Etat est par avance conscient de cette nécessité. Et il s’adresse aux plus raisonnables d’entre nous. Entame un discours persuasif. Ne promet rien mais ne dissuade pas non plus. Il laisse entrevoir. Entre temps il change l’orientation de la répression. Elle s’insinue par les soins mis dans l’assistance, dans les promesses de travail, dans les projets réformistes.
Il n’est pas possible de réduire l’Etat à son coefficient répressif minimum. On peut
démanteler l’attaque de classe et donc permettre à l’organisme répressif de se donner une façade social-démocrate, nous pouvons faire autant de pas en arrière que [le pouvoir donne] de coups de pinceaux pour blanchir et rétablir sa crédibilité.
Eux, ils veulent obtenir un espace d’action à l’intérieur de l’Etat, constituer avec lui un ghetto plus important en compensation du petit ghetto actuel. Dans ce sens ils prétendent représenter non pas un projet – ce qui serait vraiment incroyable vu sa macroscopique irrelevance -, mais une illusion, un mirage qui n’a rien à voir avec l’état du mouvement réel. Certes, l’affirmation se fait prudente, mais elle recèle également la prétention d’être un progrès, même si elle revêt l’apparence ambiguë d’une hypothèse de travail. La substance ne change pas : un patrimoine est vendu aux enchères, Nous entendons continuer à empêcher cette liquidation. Non pas parce que nous pensions que ce patrimoine soit absolument indispensable pour le développement du mouvement réel, mais parce que en premier lieu sa vente ne produirait pas « libération », puis, parce qu’il faut examiner sous une lumière critique ce patrimoine même et, en le vendant en bloc, toute critique ultérieure n’aurait pas de sens, serait seulement le résumé d’un testament, d’un dérisoire fétiche.
Celui qui n’est jamais sorti de sa carapace politique prétend maintenant entreprendre un long voyage. Il abandonne une vieille mentalité et en acquiert une nouvelle. On veut tout changer parce que tout est resté comme avant. Si la guerre était la continuation de la politique avec d’autres moyens (mais quels moyens ?) ; maintenant la politique devrait être la continuation de la guerre avec d’autres moyens. Combien de gens tomberont dans cet imbroglio ? Au fond la naïveté humaine n’a pas de limites. Chacun se croit toujours plus avisé que les autres, et c’est pour cela que systématiquement nous donnons de la tête dans toutes les directions.
Eux, ils ont toujours été des hommes politiques. Ils ont déclaré vouloir porter la
guerre au « coeur » de l’Etat, maintenant ils veulent négocier la paix et la reddition. Tout cela est plus que normal.
Mais les milliers de copains qui ont participé à la lutte, ces milliers par lesquels la
lutte a existé avec toutes ses erreurs et ses limitations, cet énorme battement de l’espoir, des rêves, de joie, des désirs non satisfaits, ce monstre à mille têtes et mille bras qui pouvait vraiment faire trembler l’obscène univers des patrons ; tout cela a été encapsulé dans un projet ; néanmoins avec quelques variantes, mais projet unique ettragiquement erroné.
Maintenant une grande partie de ce merveilleux battement se trouve enchaîné. Si
nous voulons construire ensemble le projet pour demain nous devons créer la possibilité d’un mouvement spécifique qui soit capable de fixer des rencontres communes avec le mouvement réel, dans les lieux et selon les sentiments dans lesquels le battement de ce dernier devient perceptible au battement du premier.
Selon vous est-il jamais possible qu’une chose de ce genre soit le produit d’une
négociation avec l’Etat ?
Une nouvelle garantie comme imbroglio
On demande à l’Etat un espace où déployer la substance de ce qui reste. Le mécanisme répressif et reproductif devrait concéder une suspension égale et inverse à celle de celui qui – par généreuse concession se trouve le cul par terre et – est disposé à la concéder à l’Etat.
Dans cet espace devrait renaître le mouvement spécifique avec l’apport
fondamental des copains sortis de taule.
L’Etat devrait développer donc une nouvelle tâche d’assistance : fournir au
mouvement sorti des prisons une hallucination d’un genre nouveau : la possibilité de construire dans le fictif. Celui qui s’est habitué aux plus incroyables mystifications du parti armé, de la dictature proche du prolétariat, de la mémoire que l’on doit assurer, etc. peut peut-être considérer comme acceptable cette dernière fable du pays des merveilles. Nous espérons qu’Alice soit devenue perspicace.
Essayons de suivre un raisonnement plausible. L’Etat est un régulateur de
contradictions. Il résous celle fondamentale du Capital : la concurrence, mais ne la résous pas jusqu’au fond. Il résout toute une autre série de contradictions : culturelles, physiques, logiques, mystiques ; mais ne les supprime pas. Maintenant il devra aussi résoudre la contradiction existante entre mouvement spécifique des prisonniers et l’esprit de celui-ci qui cherche – justement – à fuir entre les tranchées et les fils barbelés. Mais « l’Etat social » exige son prix au capital et aux individus qui se font embarquer dans des solution illusoires (de l’emploi au cadastre aux espaces autogérés à la T.V.), la même chose arriverait pour ce qui est du mouvement spécifique.
Te souviens-tu de la vieille et misérable perspective des petites activités
autogérées du type artisanat de bijoux, de cuir, de bagatelles orientales, du mysticisme de pacotille ? Voilà, quelque chose dans le genre. L’Etat qui retrouve et retire une utilité (en termes de production de paix sociale) de la reddition définitive du mouvement spécifique, pourquoi ne pourrait-il pas prendre en charge financièrement des initiatives de ce genre ? Après tout, pourquoi ne pas donner une bonne situation (ou presque) à un repenti ; lui refaire la façade et lui donner une identité, lui accorder une pension, ça coûte des milliards ; pourquoi on ne trouverait pas un parlementaire (ou cent) disposé à faire une proposition de loi dans ce sens ?
On dirait qu’au fond de l’esprit de beaucoup d’ultra-terribles se cachet le triste
sentiment cumulatif de l’épicier.
On ne demande pas de l’argent à l’Etat, mais une garantie. La délimitation d’un espace à l’intérieur duquel pouvoir redonner vie au mouvement sur la base d’un autre projet.
Cet espace, à bien regarder, n’est-il pas en tout semblable à la prison ? N’y aurait-
il pas seulement des fantasmes sans nom ni identité, des fantasmes qui s’agiteraient dans la confusion en proie à des problèmes de survie dans l’univers des bijoux, des sacs de cuir et des samovars fabriqués à Gallarate ?
Décidément non. Eux ils ont une idée beaucoup plus large de ce ghetto. Il ne
s’agit pas d’un nouveau type de mentalité commerciale, mais d’une autogestion
politique des espaces dans lesquels pouvoir rendre possible la croissance quantitative du mouvement spécifique ou de la liaison avec le mouvement réel. Une ramification infrastructurelle subtile et ingénieuse qui ressemblerait à du rôti de porc bien ficelé.
Evidemment tout cela devrait faire ressortir l’esprit de parti. Rien de dangereux,
naturellement, autrement le commanditaire finirait par se fâcher. Un petit jeu simple et loyal, une sorte de nouveau type de « ossimoro », disons une verticalisation de l’horizontale.
Mais en négociant et obtenant cet espace de misère et de survie, que
deviendraient les autres ? Ceux qui ne sont pas d’accord ? Et d’autres qui sont encore plus loin mais toujours sur le même bateau que les prolétaires ? Et aussi les détenus dits de droit commun ?
La centralité de quelque chose est pour eux indispensable. Hier la classe ouvrière.
Aujourd’hui eux mêmes. Non pas comme classe, évidemment, mais comme interlocuteurs privilégiés de l’Etat, pour réduire au silence tout ce qui peut rester de contradiction révolutionnaire, par une entente extérieure, suspendue dans le vide de l’inter-classisme. Au fond même lorsqu’ils étaient hyper-classistes ils avaient un esprit inter-classiste. Le centre était le guide, l’élément de la coagulation. L’on pouvait faire à l’infini des hypothèses sur un progressif passage à la globalisation de la classe, sur la croissance quantitative sans limites. Au fur et à mesure, jusqu’à arriver à un noyau restreint de réfractaires à la grégarité, définis – à priori – comme contre-révolutionnaires. Certes, la violence était un élément discriminatoire, mais accidentel, instrument pédagogique, moyen de communication. Comprises de la sorte, les choses pouvaient aller à leur but toutes seules. Un coup de brosse et ça y est. Porter le coup au coeur de l’Etat.
La lutte de classe a toujours été vue par eux comme un projet à moitié, quelque
chose à résoudre entre une campagne d’automne et une de printemps. En cela
consistait leur inter-classisme. L’impuissance à comprendre les innombrables et subtiles contradictions du classisme réel, de la guerre sociale. Les mille petits ruisseau dont se compose le front de classe. L’impossibilité de mettre d’un côté les bons et de l’autre les mauvais.
C’était l’hérédité de la volonté de simplification propre à la Troisième Internationale. C’est le même processus qui est maintenant retourné pour maintenir intacte la foi dans cette méthode politique. Les nuances ne sont relevées que dans l’abstrait, dans le monde de la négociation avec le pouvoir, dans le réformisme de la communauté autogérée, sortie non pas de la lutte, mais de la compromission. Dans ce sens ils sont tous très hautement pénétrants, découvrent des liens et font l’exégèse des rapports que personne d’autre ne pourrait découvrir. Dans le sens véritable de l’approfondissement révolutionnaire, ils sont grossiers et superficiels. Ils répètent toujours la même chose : la défaite et la capitulation, la fuite et l’inéluctabilité de devoir se déclarer vaincus.
Ils sont des fabiens a la vieille manière, mais néanmoins modernes dans le
langage. Néo-socialistes du contrat social, ils n’ont même pas l’aspect d’anges tombés du ciel. Dans ce sens ils n’ont jamais fait une tentative. Leur vol a toujours été maladroit et sans horizon. Un vrai sautillement derrière des occasions manquées.
Au moins sur une chose on est d’accord : il n’est pas possible de se déclarer innocent. Techniquement ce ne l’est pas, d’un point de vue révolutionnaire non plus.
Si l’on exclue les cas limites où un fait précis se trouve contesté parce qu’il est
possible de démontrer la fausseté au delà de tout doute ; dans la plupart des cas se déclarer innocent, conduit à la séparation d’avec les autres copains, à la misère de se déclarer ailleurs.
Et c’est rejoindre la mesquinerie dans laquelle est tombé celui qui a eu recours à cette tentative de réification : le refus non pas tant de sa propre responsabilité, mais bien plutôt de son propre parcours révolutionnaire, de ses propres idées. Les bras vers le ciel en signe de joie émancipatrice, ou bien en signe de capitulation inconditionnée.
La tristesse s’accroît face à cette misère lorsque on voit avec quel esprit
pointilleux, celui qui a fait de l’innocence totale un passeport pour sortir des murs de la prison, s’attelle à démontrer l’indémontrable. A quelles tournures justificatrices et verbalisantes il s’agrippe.
Et puis du plus profond de la misère d’une telle position on ne peut pas dire que
le résultat soit garanti. Le parcours d’une négation individuelle de quelque rapport que ce soit ne convainc même pas le plus superficiel des inquisiteurs.
Et puis, nous sommes tous responsables de notre rêve d’escalader le ciel. Nous ne
pouvons pas maintenant nous transformer en nains, après avoir rêvé, coude à coude, chacun sentant battre le coeur des autres, d’attaquer et d’abattre les dieux. C’est ce rêve qui fait peur au pouvoir. Le nier c’est nier la communauté de suaves sentiments qui nous liaient lorsque nous avons décidé l’escalade, même si lointains entre nous, même si ignorants de nous mêmes, même si – et à la limite – avec de forts préjugés critiques. Le nier est tout simplement une bassesse.
D’un autre côté se prévaloir d’innocence est une reconnaissance de l’Etat ;
négociation, à la manière même de celui qui recherche une voie pour l’amnistie des prisonniers politiques. Le soi innocent est culpabilisation de l’autre, l’idée qu’on était autrement et non pas que tel ou tel fait ne s’est pas réalisé de la manière que l’on prétendait imposer, mais comme étrangeté et abjuration.
Personne ne peut être neutre, nous sommes coupables de la gestion et de
l’élaboration de ce climat qui alors nous enthousiasma et nous entraîna. Même les plus critiques parmi nous ne peuvent prétendre à une innocence originelle. Aux yeux de l’Etat c’est justement ce climat qui est coupable. Et cela nous devons le revendiquer. Nos luttes contre la répression, les prisons, l’exploitation nous ne les avons pas rêvées. Le pouvoir ça il le sait. Ses sbires nous connaissent parfaitement. C’est celle-ci la grande dénonciation qui nous met tous en commun.
Puis ceci signifie une reconnaissance du mécanisme répressif : le tribunal en
premier lieu. C’est vrai que le vieux processus revendicatif a été mis de côté et, par ailleurs, il appartenait à l’arsenal de la perspective militariste de la lutte armée. Mais de là à admettre la légitimité de la justice qu’administrent les tribunaux il y a un pas notoire.
L’Etat n’a jamais eu une crédibilité légale. Les normes de sa légitimité sont celles arrachées par la force. Dans ce sens la réalité des tribunaux est une farce ridicule à laquelle on ne devrait pas s’intéresser. L’équilibre des forces – si nous sommes capables – se reconstitue ailleurs. Dans le mouvement réel. Dans le cas contraire, quelque discours que ce soit est perdant du début à la fin.
Il y a évidemment des cas limites dans lesquels il est possible de démontrer de
manière précise la fausseté. Ceux-ci doivent être exploités jusqu’au fond, obligeant le pouvoir au respect de ses propres règles en y dénonçant l’inobservance, souvent cette tactique fonctionne, d’autre fois elle ne fonctionne pas. De toutes façons il vaut la peine de la tenter.
Après, c’est à la propagande générale, de démontrer directement l’incroyable contradiction que l’on peut saisir entre ce qui est dicté par les lois et son application répressive et inquisitoriale. Aussi cela est profitable. Le bourgeois progressiste sent monter sa rage lorsqu’il s’aperçoit des choses de ce genre. Le bruit et l’agitation dans cette matière ne font jamais mal.
Mais nous ne devons pas nous illusionner entre nous. Nous savons parfaitement qu’aussi bien les règles des lois que la colère des bien-pensants radicaux sont des faits relatifs. La justice est toujours gérée par les mains des plus forts.
Les soit disant repentis
L’Etat s’est mis d’accord avec une poignée de pauvres saltimbanques de la mitrailleuse se trouvant par hasard dans un groupe de tir constitué par des copains. Malheurs du recrutement indiscriminé ? Défaut du mythe du quantitatif ? Distorsion de la logique militaire ? Qu’est-ce qu’il importe de préciser ? Au moment opportun nous réglerons nos comptes avec ces gens.
Pour le moment il faut comprendre que l’Etat n’a manqué à aucun principe légal
en se mettant d’accord avec les repentis, en négociant des condamnations à perpétuité contre les copains. C’est quelque chose de tout à fait normal. Pour celui qui ne le saurait pas, tous les Etats ont un organisme spécial constitué d’espions (le service secret), et à l’occasion tout bon policier est un bon espion. Le fait que maintenant le nombre de ces braves gens ait augmenté ne constitue aucune surprise.
La surprise est celle de celui qui a l’illusion de l’existence d’un Etat de « droit »,
contrepartie idéelle de la marchandise que l’on veut vendre. C’est le cas justement de ceux qui gueulent le plus contre le fait que l’Etat mette dehors les repentis, lesquels ont avoué des dizaines d’homicides, et maintiennent en prison les copains qui n’ont rien avoué. Mais pourquoi sont-ils surpris ? A cause du simple fait qu’il est moins embarrassant de penser se mettre d’accord avec qui ne respecte même pas ses propres règles. Qu’arriverait-il si après les tentatives néo-contractualistes et les promesses plus ou moins légalisées, les pactes n’étaient pas respectés ?
La chose la plus comique de tout contrat est son aspect synallagmatique. Il faut
être deux pour pouvoir parler d’un accord contractuel. Mais il faut aussi qu’aucun des deux ne soit un tricheur professionnel.
On rétorquera que néanmoins l’Etat a respecté le pacte avec les repentis. Oui mais il n’a pas respecté ses propres lois selon lesquelles un chat est un chat et ne peut jamais devenir un lapin. Mais les lois se changent elles-mêmes. Les contrats aussi.
L’Etat respectera les accords avec les nouveaux entrepreneurs de l’auto-
ghettoïsation sociale, seulement si ces accords correspondent à un effectif abaissement du niveau de l’affrontement. La nouvelle infrastructure qui se profile devra produire la paix sociale. Pensez à la manière avec laquelle assume aujourd’hui un travail de ce genre celui qui hier marchait en première ligne dans les manifestations et relisait les actions les plus avancées (de son point de vue). Pensez à ce que disent et font aujourd’hui certains personnages qui hier théorisaient la violence émancipatrice du prolétariat. Ils siègent dans la plus obscène des scènes, momies à côté d’autres momies, se parlant par dessus l’épaule de paix comme d’autres parlent de guerre. Ceux-là sont très utiles à l’Etat. Mais le sont ils à la révolution ? Certainement pas.
Attention camarades. Le repentir a de multiples chemins. Certains notoirement
rebutants, d’autres plus tolérables, arrangés à la sauce du réformisme salutaire, pleins de paroles dénuées de sens, capable seulement de mettre une feuille de vigne sur leur propre honte.
Au moins les véritables repentis, ceux qui ont vendu en bloc des dizaines de
copains, savent ce qui les attend : aujourd’hui une fausse liberté, un passeport tout autant faux, une fausse identité ; demain une balle en plein front. Les néo-
contractualistes ne savent pas ce qui les attend : ni du côté des rapports avec l’Etat, ni du côté des rapports avec les copains.
Se dissocier de qui et de quoi ?
Abandonner a un sens lorsqu’il y a un projet en cours de réalisation. On peut-être plus ou moins d’accord avec ce projet. On peut voir dans la marche des choses un fait différent de celui qui initialement avait poussé à l’action. Et dans ce contexte on se désiste et on se dispose à la critique. On approfondit les motifs du dissentiment. On le mesure avec les copains dans la réalité des perspectives révolutionnaires, on décide des choix.
Mais lorsque c’est l’Etat qui t’invite à te désister, qui t’offre un beau prix pour ton abandon, alors le discours est différent. On ne te demande pas une critique, on te demande une abjuration. Il n’y a rien par rapport à quoi prendre les distances, aussi parce que sur le plan opérationnel il n’y a pas des conséquences pour le projet du parti armé. Il pourrait exister des développements futurs en sens différent, dans le sens d’une construction d’un modèle libertaire d’affrontement armé. Et c’est à cause de cette possibilité que l’on t’invite à te désister.
Voilà la dangerosité de la demande. Beaucoup de copains pensent que la défense acritique d’un modèle d’irréductibilité sur la base des positions que la réalité a montrées comme anachroniques, est une folie. Et leur pensée est juste et raisonnable. Mais elle ne reflète pas le fait que l’abandon est demandé par rapport aux possibles débouchés futurs et non pas au niveau de l’actuel blocage d’une manière de concevoir l’affrontement de classe.
On ne peut pas revendiquer donc, un comportement autonome dans l’abandon. La seule perspective est la critique. Peu importe que celle-ci trouve adulation ou indifférence de la part des organes étatiques, et peu importe que celle-ci soit liée à une irréductibilité qui même si elle n’a plus de fondement révolutionnaire, contenait néanmoins une clarté morale.
Un projet inexistant n’admet pas dissociation ou abandon. Nous pouvons seulement développer un autre projet, critique par rapport au premier et propositif en soi même. Mais ce développement ne peut pas partir d’une réification qui a comme invité l’Etat, il doit partir d’une analyse de l’actuel niveau de l’affrontement de classe. La solidarité révolutionnaire est, sans plus, le fait d’un grand moment moral, mais ne peut pas constituer la base qualitative d’un projet pour le développement futur du mouvement spécifique. Encore moins la désolidarisation.
Il ne s’agit pas d’une question de distance. Il s’agit d’une question de parcours. Nous allons vers l’affrontement de classe. Dans l’autre sens il y a des gens qui s’en éloignent. Celui qui veut continuer la lutte doit grandir. Et tout d’abord critiquement. Il doit donc isoler l’irréductibilité en tant que mécanisme pervers d’une reproduction de l’inexistant. Il doit isoler aussi le néo-contractualisme, comme mécanisme, tout aussi pervers, de mévente et de résignation. Ces deux chemins ne produisent pas la libération. Ces deux chemins conduisent seulement à Rome.
Dans cette époque de liquidation et de mévente nous réaffirmons que notre lutte est une lutte pour la libération totale, maintenant et tout de suite. C’est pourquoi nous avons soutenu même cet hyperbolique projet qui déclarait à priori ne pas comprendre la libération dans le même sens que nous. Parce qu’il existait la possibilité d’une erreur de parcours, d’une transformation en sens négatif pour eux et positif pour nous. La transformation ne s’est pas produite, mais ce n’est pas nous qui avons été les oiseaux de mauvais augure. D’autres ont lancé de faciles anathèmes à priori, des critiques faciles en face des fusils en laiton. Nous avons bien vu. L’erreur ne se trouvait pas dans l’inadéquation des moyens, mais dans l’impossibilité de la méthode.
Et la critique nous l’avons menée à l’intérieur du projet organisationnel. Ne nous
arrêtant pas aux mots comme les amateurs de la plume qui produisent des analyses comme la Fiat produit des automobiles. De l’intérieur, les erreurs des autres ont fait même briller une lumière sans pitié sur nos propres erreurs, et nous avons eu aussi des moments statiques, de l’amour propre, d’esprit de bannière, de défense des principes. Mais c’était peu de chose face à l’obstination envahissante d’une part, et les acquiescements pathétiques d’autre part qui se transformaient en critique facile et superficielle.
Il est temps maintenant d’entreprendre un autre chemin. Celui qui a demandé une
mise entre parenthèses pour soi-même, sans par ailleurs avoir le courage de la dicter comme attitude partageable avec d’autres, qu’il reste donc, dans ses pantoufles à se réchauffer auprès du feu. Nous insistons sur la nécessité de sortir dehors, parmi le brouillard et le froid. Dehors, là où il n’est plus possible de dire avec certitude ce qu’il faut faire et vers où il faut marcher.
Dans des époques comme celle-ci, lorsque les oiseaux volent à ras de terre, ils
sont peu nombreux ceux qui continuent à penser à la révolution comme quelque chose de possible. Il est toujours facile de trouver quelqu’âme sélecte qui « parle » de révolution, néanmoins ils sont peu nombreux ceux qui cherchent à faire concrètement quelque chose dans le sens juste.
Tant que l’on ne fait que bavarder, on peut être plus ou moins tous d’accord.
Lorsqu’après il s’agit de passer à l’action, même minime, périphérique, microscopique, alors commencent les différences. Il faut attendre qu’il se passe toujours quelque chose d’autre. Que de quelque part arrive le signal de la maturité des temps. Et anxieusement on interroge les cieux et l’on ouvre le ventre des oiseaux, mais leur tripes ne se prononcent jamais.
Nous réaffirmons avec insistance notre conviction que l’usage de la violence
organisée contre les exploiteurs, même lorsqu’elle prend l’aspect de l’action minoritaire et circonscrite, est un instrument indispensable de la lutte anarchiste contre l’exploitation.
…notre concept de justice prolétarienne
Dans ce sens, même là où prévaut une attitude critique ou sceptique, et lorsque la constatation amère (mais pour qui ?) du fait qu’il n’y a pas de « justice » entre les pattes de l’Etat s’y réfléchit, l’on est arrivé à la conclusion qu’il n’existe pas et que l’on n’a pas intérêt qu’il existe une justice prolétarienne.
Ici aussi nous ne sommes pas d’accord. Nous pensons qu’il est juste de se
rappeler des exploiteurs et de leurs serviteurs. S’en rappeler lorsque viendra le moment opportun, lorsqu’il sera possible de discuter en termes de destruction de la justice bourgeoise et de construction de la justice prolétarienne. Non pas pour faire renaître sous des formes différentes les salles des tribunaux et installer de nouveaux juges, de nouvelles prisons, de nouveaux ministères publiques, mais simplement pour régler leur compte aux responsables. Et régler les comptes signifie ici leur tirer simplement une balle entre les deux yeux.
Si quelqu’âme candide trouve excessif ce programme, qu’elle cherche de temps à
autre à sortir les pieds de l’eau, elle pourrait attraper un refroidissement. Nous disons ces choses aujourd’hui, dans des temps qui sont – par ailleurs – non suspects, non pas pour vouloir figurer dans la liste des extrémistes qui osent dire la chose la plus avancée, mais parce que nous sommes fermement convaincus de la nécessité d’une procédure de ce genre.
Lorsque la révolution s’est réveillée en Russie en 1917, les anarchistes organisèrent l’exécution systématique de tous les chefs de gare de la ligne Petersbourg – Moscou parce que responsables des dénonciations de 1905 qui avaient envoyé en prison des milliers de cheminots anarchistes. Ces camarades ne voulaient appliquer aucune théorie pédagogique ni rien apprendre aux autres chefs de gare ou aux gens en général, ni moins encore s’habiller de l’immonde toge de juge d’un quelconque tribunal de justice prolétarienne : ils avaient seulement le but modeste et circonscrit de fusiller sur place tous les chefs de gare responsables des dénonciations. Rien de plus, rien de moins.
C’est cela que nous entendons par justice prolétarienne.
…1e droit de se rappeler des traîtres
Aussi ceci. Que personne ne vienne après avec quelque histoire tordue, avec la
justification qu’un certain comportement a été dicté par la nécessité. On ne sait jamais, parce que même parmi nous il y a toujours quelque théoricien de l’éthique qui met en avant le doute quant au droit de mettre dehors les traîtres. Et la discussion commence toujours avec le bavardage coutumier sur la peine de mort.
On se demande maintenant souvent si l’Etat a le droit de condamner à mort un
individu qui selon lui est responsable de certains délits. Et nous nous battons contre la peine de mort. Lutte très juste qui entend limiter l’action répressive des Etats. Mais cela ne sigfie pas qu’un Etat qui a aboli la peine de mort soit un « Etat de droit ». Un Etat de ce genre n’existe pas. C’est une fantaisie juridique, rien de plus. Il y a des Etats qui mettent en jeu un équilibre des forces différent, comme par exemple, celui soit disant démocratique, et dont justement l’équilibre peut ou doit se passer du recours à la peine de mort. Quelques fois cet espace (de la peine de mort) c’est nous mêmes qui tendons à le réduire avec nos luttes garantistes et réformistes, et il est bon que ce soit comme cela parce que ainsi nous repoussons la velléité dictatoriale et répressive. Mais cela ne change pas d’un centimètre le fait que l’Etat fonde ses lois sur la force et non sur le droit.
Au moment opportun, au cours de la révolution, et même aux premiers signes de celle-ci, nous ne prétendrons pas substituer notre propre force à celle de l’Etat, ni donc construire des organismes de contre-pouvoir qui imposeraient leur propre vision du droit pour régler les comptes aux traîtres. Nous voulons seulement réaliser ce processus de justice prolétarienne sans avoir, pour sa justification, à développer une théorie du droit révolutionnaire. Nous n’en aurons pas besoin. Ce seront les faits commis par ces gens qui parleront d’eux mêmes, non pas les lois à priori que nous nous aurons données pour frapper en général des faits semblables. Ces lois là nous ne les ferons pas (nous ne ferons pas de lois et basta !), ces lois sont dans le coeurs des hommes depuis des millénaires, et on y lit que les traîtres doivent être éliminés.
Nous ne les avons pas commis de « bonne foi ». Nous ne savons pas ce qu’est la
bonne foi. Nous les avons commis avec la pleine conscience de les commettre, mais parce que pensant qu’il est opportun, à un certain moment, de choisir plutôt une erreur qu’une vérité abstraite fondée seulement dans une critique à priori.
Tous les anarchistes connaissent par expérience de longue date l’erreur du parti et
de la conception léniniste. Mais notre critique, devant l’émergence concrète de ce type d’expériences, n’a jamais été conduite dans l’abstraction des principes. Nous avons préféré la conduire à travers la concrétion des actions, dans la difficulté même de l’organisation spécifique, nous inscrivant pleinement dans les contradictions de l’agir. Et dans cette terre balayée par les vents, nous avons rencontré des copains d’un courage et d’un coeur grands, capables d’envisager la lutte avec sérénité, même lorsque le résultat était plus qu’incertain et les moyens à disposition plus qu’hasardeux. Et cela parce qu’on avait confiance dans les autres copains, dans la possibilité qu’une erreur de parcours puisse se transformer sans plus de préambules en une critique de fait, capable de mettre en question plans et doctrines, de brûler momies et programmes. Cela n’a pas été. Est-ce qu’il en aurait peut être été différemment si nous avions aussi enfilé l’habit sévère du censeur politique ? Si nous avions développé une critique de l’idéologie de l’efficacité et de la pensée doctrinaire ?
…nos thèses sur la créativité, la subversion, la joie
Néanmoins, dans l’indication de la bonne direction, nous avons pendant
longtemps, très longtemps, développé différentes critiques et projets. Nous avons fait
remarquer comment la joie ne se trouvait pas au fond de ce qu’ils faisaient et non plus
au fond d’autres activités qu’en se réfléchissant dans le climat général, finissaient par
être fortement conditionnées dans le sens imposé par eux à la lutte. Et en n’y trouvant
pas la joie, il venait, pour nous, à manquer le fondement premier de la lutte même ; la
créativité de notre intervention, la substance subversive du projet dont on se faisait les
porteurs.
Même au niveau macroscopique cet élément devait se trouver dans notre travail
révolutionnaire ; autrement on était obligé d’accepter ce que nous faisions seulement à cause du fait que c’était nous qui le faisions. La chose ne pouvait pas fonctionner. Et
elle n’a pas fonctionné.
Dans ce sens et par l’expérience des limitations passées, nous sommes prêts à
reprendre les choses du début.
Plus nous réfléchissons aux conditions passées de l’affrontement, plus nous voyons à quel point la situation actuelle est le produit des erreurs du passé et présente seulement une possible ouverture à condition de pouvoir y inclure une critique opératrice ; plus aussi on s’aperçoit qu’il n’y a pas de solution séparée au problème des copains incarcérés.
En acceptant une mercantilisation comme celle proposée par les néo-
contractualistes (amnistie, un nombre d’années de prison égal pour tous, une période de travail social à l’extérieur, etc.) il faudrait la payer en mettant dans la balance tout son passé. Ceci signifierait un refus de la révolution, refus de l’anarchie, refus de la propre identité de femme et d’homme, refus de son propre futur.
La seule solution donc, est la continuation de la lutte. De manière critique,
certainement, avec des objectifs différents et des méthodes plus appropriées à la situation actuelle, mais continuation de la lutte.
Le démontage de la sectorialisation doit correspondre à une capacité de
proposition des mots d’ordre de lutte, autrement il devient une banale formule méthodologique. Si nous nous limitons à « informer » les gens de la méchanceté du pouvoir, nous ne pourrons faire de tous les arbres une forêt et serons immédiatement amenés à graduer les pires méfaits afin d’apparaître plus spécifiques et donc plus incisifs. Si nous parlons du nucléaire aux gens, nous pouvons certainement y faire entrer le problème des copains emprisonnés, mais nous ne le faisons pas toujours : on prévoit mort et destruction, pollution atomique, fin de la vie sur terre, guerre et conflit apocalyptique. Les gens restent plus impressionnés et nous nous laissons fasciner par le fait que nous réussissons à impressionner les gens.
La contre-information a comme destin propre de finir toujours sectorialisée.
Aujourd’hui cela, demain ceci. A la fin on devient des spécialistes en antimilitarisme, en problèmes du monde du travail, en problèmes de la prison, en féminisme, en mouvement de lutte pour le loyer, etc.
Nous devons donc avoir deux niveaux de clarté :
a) Une contre-information omnicompréhensive n’est pas possible.
b) Nous ne pouvons « entasser » des problèmes différents sans finir par ne plus se
faire comprendre des gens.
Néanmoins, il y a une autre manière de voir les choses. En focalisant un problème (mettons, celui des quartiers, par exemple) et en reliant autour de lui des problèmes qui lui sont plus proches. On s’apercevra alors que sans vouloir faire, au fur et à mesure, un traité argumenté, nous réussissons à y inclure même le problème des copains incarcérés. Néanmoins, seulement à condition de ne pas se renfermer dans la simple contre-information. Si nous nous limitons à ce premier stade d’intervention révolutionnaire, le problème des prisons se trouvera introduit de l’extérieur dans la réalité où nous serons en train d’intervenir.
Posons autrement le discours avec un projet différent. Nous passons de la simple
phase de contre-information à une deuxième phase que nous pouvons définir d’engagement. Nous proposons une structure organisationnelle qui s’occupe d’un problème spécifique (retournons à l’exemple des quartiers) et qui permet l’inclusion du problème de la prison et des copains incarcérés.
Etablissons un rapport entre cette structure organisationnelle (externe au
mouvement spécifique) et le mouvement spécifique même. De la réponse en termes opérationnels que ce rapport nous donnera, nous aurons une image suffisamment claire de l’état du mouvement réel. Sur la base de cette image nous pourrons construire nos interventions en tant que mouvement spécifique (à l’extérieur et même indépendamment de la structure organisationnelle d’engagement) et dans cette phase donc, être beaucoup plus exhaustifs sur le problème des copains emprisonnés.
Elimination des lois spéciales, du régime différencié, des prisons spéciales, de
l’article 90. Réduction de la détention préventive. Abolition de la perpétuité, des longues peines, des procès spéciaux, des traitements spéciaux. Ceci évidemment pour tous et non seulement pour les copains.
Cette perspective de lutte doit chercher à engager les gens. et doit avoir aussi une autonomie propre d’action. De la manière dont les gens s’engageront et de la manière dont s’harmonisera l’autonomie d’action, avec ce que l’on réussira à faire en dehors du mouvement spécifique, dépendra la capacité à mesurer les résultats. Seulement sur la base de ces résultats on pourra imposer une solution au problème des copains emprisonnés.
N’oublions pas que notre chemin porte beaucoup plus loin que celui de ceux qui
aujourd’hui s’apprêtent à collaborer. Le chemin du pouvoir, par contre, tourne toujours autour de nous.
Au fond nous sommes tous dans la mire du fusil répressif. Nous devons
développer notre lutte. Si nous ne sommes pas capables ils nous détruiront tous : dans la prison et en dehors des prisons.
Avec la montée du niveau de l’affrontement, avec l’élargissement des objectifs, la répression frappera encore. Personne n’est ici un train de garantir une voie sans danger pour sortir des prisons. Nous tous, lorsque nous avons été envoyés en taule, l’avons été parce que convaincus de la validité de notre action révolutionnaire, non pas à cause d’une fatalité accidentelle. Certes, objectivement il y a toujours quelque chose de ce genre ; l’initiative d’un sbire, quelque chose qui n’a pas bien marché, une interprétation répressive d’un fait en soi plus que légitime. Mais le véritable motif de nos emprisonnements a toujours été le fait d’être anarchistes, notre foi dans la révolution. La taule pour un anarchiste est une composante constante de son activité révolutionnaire.
Notre problème d’aujourd’hui, problème central, est celui de faire sortir les
copains. Nous pouvons résoudre ce grave problème seulement en intensifiant les luttes dans les divers secteurs d’intervention et en liant ces luttes à une perspective réelle de développement insurrectionnel ; en ne se limitant pas à de platoniques dissentiments ou à de belles déclarations de liberté pour tous qui servent seulement à réduire au silence notre conscience, pour après venir exprimer un facile désaccord avec celui qui veut au contraire faire quelque chose de concret.
Seulement de cette manière nous pourrons obliger l’Etat à résoudre ce qui
deviendra un (son) problème des (nôtres) copains en taule. Tant que cela restera notre problème nous ne pourrons le résoudre qu’en louant et consignant dans les mains de la répression tout notre futur.
Nous ne croyons pas qu’il puisse exister un doute sur la voie à prendre.
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[Titre original : E noi saremo sempre pronti a impadronirci un’altra volta del cielo. Contro l’amnistia. Anarchismo n°42, mars 1984.
Texte édité intégralement en 1984 en français par les Publications Révolte et
Liberté. Réédité en 2011 sous forme de brochure (téléchargeable ci-dessus), par les Éditions Gaston Lagaffe]
[1] Château d’Italie où l’Empereur Henri IV s’humilia devant le pape Grégoire VII en 1077.
[2] Les gibelins étaient les partisans des Empereurs d’Allemagne en Italie, opposés aux guelfes qui soutenaient la papauté.
[3] Palmiro Togliatti (1893-1964), membre dirigeant du Parti communiste italien, se réfugie à Moscou en 1926 devant le fascisme. Il intègre l’exécutif de l’Internationale Communiste (IC) dont il est délégué pour l’Espagne en 1937 avant de défendre le pacte germano-soviétique. Revenu en Italie en 1944 une fois les Alliés débarqués, il devient plusieurs fois ministre, dont ministre de la Justice et des Grâces de juin 1945 à juillet 1946. Il propose et fait appliquer l’amnistie du 22 juin 1946 qui fait sortir 7 000 fascistes incarcérés (dont d’ex-ministres et nombre de bourreaux et responsables notoires). A l’inverse, les anarchistes et autres partisans dissidents du PCI effectueront jusqu’à 30 ans de prison pour des « délits » commis contre des fascistes.
[4] Cette citation est une référence à Marx : « Il est évident que l’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes ; la force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle ; mais la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dés qu’elle pénètre les masses. » (Karl Marx, Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel, 1843)
[5] Jeune militant néo-fasciste, Sergio Ramelli fut mortellement blessé à coup de clefs anglaise le 13 mars 1975 par des membres du service d’ordre d’Avanguardia operaia (groupe léniniste fortement présent à Milan et centré sur les luttes syndicales).