le 24 juin à Lyon : Caserio poignarde le président de la république française Sadi Carnot

Fils d’un batelier qui est décédé quand il était encore enfant, Santo Geronimo Caserio est né le 8 septembre 1873 à Motta-Visconti, en Lombardie, Italie, au sein d’une famille rurale très nombreuse. Ne voulant pas être à la charge de sa mère, qu’il aime beaucoup, il part à Milan, où il est apprenti boulanger dès 12 ans. Il dut quitter sa famille très tôt, tout en restant étroitement en contact.

Il devient anarchiste à une période où ces idées sont en accroissement en Italie, comme lors du procès de Rome, qui a lieu après l’arrestation de 200 personnes considérées comme anarchistes suite à la manif du 1er mai 1891. Santo crée même à Milan un petit groupe anarchiste « A pe » (c’est-à-dire Sans rien) avec lequel il distribue aux chômeurs du pain et des brochures devant la bourse du travail. En 1892, il est condamné à huit mois de prison à Milan pour distribution de tracts antimilitaristes lors d’une manifestation. Ses activités politiques lui valent une condamnation puis l’exil d’Italie. En tant que déserteur, il rejoint la Suisse, à Lugano. Ensuite il vient à Lyon le 21 juillet 1893, où il est portefaix pendant un moment. Puis, il trouve à exercer son métier d’ouvrier boulanger à Vienne, puis à Sète, à la boulangerie Viala.

C’est dans cette ville que germa dans son esprit l’idée d’accomplir « un grand exploit » et de venger Ravachol et Auguste Vaillant qui avaient été guillotinés respectivement le 11 juillet 1892 et le 3 février 1894. Ayant appris la prochaine visite du président de la République à Lyon, il décida brusquement que ce dernier serait la victime et prit toutes dispositions pour mener à bien son projet. Le 23 juin 1894, dans la matinée, il acheta un poignard au manche rouge et noir (les couleurs qui symbolisent l’anarchie) chez un armurier, et l’après-midi gagna Montpellier. De là, par chemin de fer, il se rendit à Vienne et c’est à pied qu’il arriva à Lyon, le 24 juin dans la soirée.

Le 24 juin 1894, l’anarchiste italien Sante Geronimo Caserio poignarde Sadi Carnot, Président de la République Française depuis le 3 décembre 1887, lors de son passage sur la Rue de la République à proximité du Palais de la Bourse. Il était venu à Lyon pour assister à l’Exposition Internationale qui se tenait au Parc de la Tête d’Or. Il décédera de ses blessures le lendemain.

Caserio souhaitait sensibiliser l’opinion publique contre les excès des « lois scélérates » récemment votées, après les attentats perpétrés par Ravachol (1892) et Auguste Vaillant (1893) Emille Henry ( 1894), et restreignant drastiquement les libertés individuelles, encourageant la délation »Le gouvernement en vient à fouiller les domiciles privés, à ouvrir des lettres personnelles, à interdire les lectures et les rencontres, et à pratiquer l’oppression la plus infâme contre nous. Même aujourd’hui, des centaines d’Anarchistes sont arrêtés pour avoir écrit un article dans un journal ou pour avoir exprimé une opinion en publique. » (

, Sadi Carnot  avait refusé de grâcier Emile Henry, anarchiste aussi, guillotiné le 21 mai 1894.

L'anarchiste Caserio

L’anarchiste Caserio

L’attentat en question, selon son auteur:

« J’ai sauté sur le marche-pieds et appuyé la main gauche sur le rebord de la voiture, et j’ai d’un seul coup porté légèrement de haut en bas, la paume de la main en arrière, les doigts en dessous, plongé mon poignard jusqu’à la garde dans la poitrine du président. J’ai laissé le poignard dans la plaie et il restait au manche un morceau de papier journal.

En portant le coup, j’ai crié, fort ou non, je ne puis le dire : “Vive la Révolution”. Le coup porté, je me suis d’abord rejeté vivement en arrière ; puis voyant qu’on ne m’arrêtait pas instantanément et que personne ne semblait avoir compris ce que j’avais fait, je me suis mis à courir en avant de la voiture et en passant à côté des chevaux du président, j’ai crié “vive l’anarchie”, cri que les gardiens de la paix ont bien entendu. Puis j’ai passé devant les chevaux du président, et derrière l’escorte, me dirigeant sur la gauche obliquement pour tâcher de pénétrer dans la foule et de disparaître. Des femmes et des hommes ont refusé de me laisser passer, puis on a crié derrière : “Arrêtez-le”. Un gendarme, du nom de Nicolas Pietri, m’a mis la main au collet par derrière, et j’ai été aussitôt saisi par une vingtaine d’autres. »

Rappelons qu’à cette époque, les attentats anarchistes avaient pour but de dénoncer la dangerosité d’un état tout-puissant, en montrant la violence dont il était lui-même capable lorsqu’on portait atteinte à sa suprématie.

 

Sante Caserio ne s’enfuit pas après son crime et hurla à plusieurs reprises « Vive l’Anarchie ! ». Il sera guillotiné le 16 août 1894 à Lyon. Il ne regrettera jamais son acte et refusera de plaider la maladie mentale: « Eh bien, si les gouvernements emploient contre nous les fusils, les chaînes, les prisons, est-ce que nous devons, nous les anarchistes, qui défendons notre vie, rester enfermés chez nous ? Non. Au contraire, nous répondons aux gouvernements avec la dynamite, la bombe, le stylet, le poignard. En un mot, nous devons faire notre possible pour détruire la bourgeoisie et les gouvernements. Vous qui êtes les représentants de la société bourgeoise, si vous voulez ma tête, prenez-la. […] Il n’y a rien de changé en moi et je referais encore s’il était à refaire l’acte pour lequel je vais être jugé.«

Il accueille sa condamnation à mort en criant : « Vive la révolution sociale ! ».

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»Le recours en grâce sera refusé par Jean Casimir-Perier, le nouveau président de la République, Caserio monte sur la guillotine installée près de la prison Saint-Paul, à l’angle de la rue Smith et du cours Suchet, le 16 août 1894 à quatre heures et demie du matin. Sur l’échafaud, finalement, un instant avant de mourir, il lance en italien à la foule qui assistait  à l’exécution : « Courage, les amis ! Vive l’anarchie !  ».

La Ballata di Sante Caserio

Auteur: Piero Gori

Ce chant est pour vous, les travailleurs,
cette chanson à moi au goût de pleurs
qui nous rappelle un jeune hardi et fort
qui pour l’amour de vous défia la mort.

Et dans tes yeux, Caserio, brillait l’étincelle
des vengeances humaines et rebelles
et au peuple qui travaille dans la souffrance
tu as donné ton amour, tes espérances.

Tu étais dans la fleur de ta jeunesse
mais n’as vu que la lutte et la détresse,
la nuit de la faim, de la peine, de la haine
qui planent sur l’immense masse humaine.

Tu t’es levé avec ton acte de douleur,
pour être de ces tourments le fier vengeur
et tu as frappé, toi, qui étais si bon et cher
pour réveiller des âmes prisonnières.

Pour ton geste si fier les puissants tremblent
et des nouveaux pièges aux idées ils tendent,
le peuple pour qui ta vie tu l’as donnée
n’a pas compris, mais tu n’as pas cédé.

Et tes vingt ans, à une aube de tourment
sur la guillotine tu les as jetés au vent,
et à ce monde vil ton âme infinie
a crié à voix haute: Vive l’Anarchie!

Le jour s’approche, le beau guillotiné,
où ton nom sera enfin purifié,
où la vie humaine sera sacrée, et enfin
tous auront droit à la science et au pain.

Mais dors, Caserio, sous la terre glaciale
où tu entendras rugir la guerre finale,
la grande bataille contre les oppresseurs,
des exploités contre les exploiteurs.

Vous, qui votre vie, votre avenir fatal
avez offert sur l’autel de l’idéal,
phalanges de travailleurs qui êtes morts
pour nourrir l’oisiveté des requins d’or,

vous, martyrs inconnus, soldats de la souffrance
le jour se lève de la grande vengeance,
et déjà le soleil de la justice se lève,
guerre aux tyrans le peuple mène sans trève!

Version française, en rime et chantable, par Riccardo Venturi
22 mai 2007

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