Russie : Affaire « Réseau » – Arrestation d’anarchistes

Attaque

Anarchy Today / avril 2018

Automne 2017. L’État russe participe activement à la guerre en Syrie. Ses relations internationales sont réduites à néant après l’annexion de la Crimée, les interventions militaires et les menaces. La société civile se rappelle de l’assassinat de l’important politicien d’opposition Nemtsov. Des centaines d’exilés politiques et des dizaines de prisonniers politiques. Les sanctions commerciales à l’importation et la chute des prix de l’énergie sont en train de dévaster l’économie. Des protestations de masse contre la corruption et la grève des transporteurs de fret, la guérilla islamiste dans le sud – voilà la situation de la Russie. En quelques mois, il y aura les élections présidentielles [elle ont eu lieu le 18 mars 2018 et ont été gagnée, sans surprise, par le tsar Poutine ; NdAtt.].

Courant octobre, des rumeurs courent à propos de nombreux anarchistes arrêtés à Penza [grosse ville à 600 km au sud-est de Moscou ; NdAtt.]. Mais aucune information n’est disponible sur internet. C’est difficile d’avoir des nouvelles. Même le nombre des personnes détenues n’est pas connu. Seuls quelques fragments de fuites d’infos font état du fait que la section anti-terroriste du FSB (les services secrets) a pris part aux arrestations. Cela est difficile à croire, puisqu’il n’y a pas eu d’actions radicales à Penza depuis de nombreuses années. Il paraît que ces rumeurs ne sont pas fiables, exagérés.

Tout à coup, dans les milieux anarchistes arrivent des nouvelles de l’un des arrêtés. Il demande à tous.te.s celleux qu’il connaît de s’enfuir et assure que « le FSB possède des méthodes efficaces ». Les camarades qui s’attendaient au pire se sont mis au vert à l’avance.

Pendant trois mois, l’affaire a été couverte de zones d’ombre, jusqu’à ce qu’une nouvelle vague d’arrestations débute. A Saint-Pétersbourg, Victor Filinkov, Igor Shishkin et Julian Boyarshin ont été emprisonnés. Ilya Kapustin également, un collègue de travail de l’un des arrêtés, a été incarcéré. Après l’interrogatoire, il a été relâché. Il a parlé des tortures et est parti en Finlande, où il a demandé l’asile politique. A ce moment-là, les nouvelles sur l’affaire s’est largement répandues et des détails sont ressortis, notamment à propos des tortures.

Aksenova Alexandra, la femme de Filinkov, a, elle aussi, demandé l’asile politique en Finlande. Les enquêteurs la considèrent comme une idéologue du « Réseau » [« сеть » en russe : en anglais, le mot est traduit par « network »; NdAtt] et disent qu’elle aurait eu un entraînement militaire en Ukraine.

Clandestin

Selon le FSB, les personnes arrêtées appartiennent à l’organisation anarchiste clandestine « Réseau », qui se composerait de plusieurs groupes autonomes. Les buts du « Réseau » seraient la radicalisation des gens durant des protestations de masse, des attaques contre des autorités publiques lors les élections présidentielles et la Coupe du monde de football, l’élimination physique des chefs des administrations locales, de chefs de « Russie unie » [le parti de Poutine ; NdAtt.] et des chef de filiales d’agences des affaires internes, et le renversement de l’ordre constitutionnel.

La seule chose certaine est que les anarchistes ont suivi des entraînements militaires dans la forêt. Celleux qui y ont participé y ont appris des tactiques d’affrontements, la pyrotechnie, des techniques de survie, de premier secours. Le vidéo de cet entraînement est à disposition du FSB. Toutefois, il n’y a aucune preuve concernant la commission d’action directes et les personnes emprisonnées ne sont même pas accusées d’en avoir réalisées.

Chronologie des arrestations

En octobre-novembre 2017, des membres supposés du groupe local du « Réseau » ont été arrêtés à Penza :

Egor Zorin
Ilya Shakursky
Vasily Kuksov
Dmitry Pchelintsev
Andrey Chernov
Arman Sagynbaev

d’âges compris entre 21 et 27 ans.

Selon le dossier, deux autres membres du groupe « 5.11 », de Penza, ont réussi à s’enfuir. Pendant les perquisitions dans des appartements et des voitures, les agents du FSB ont saisi des pistolets, des grenades, des la poudre noire et du matériel pouvant servir à confectionner des explosifs. Les arrestations n’ont pas eu lieu toutes au même moment, mais ont été effectuées pendant deux semaines. Cependant, peu de monde en a profité pour s’échapper.

Toujours selon le même dossier des enquêteurs, Filinkov et Shishkin, incarcérés à la fin janvier 2018, étaient des membres de deux groupes de Saint-Pétersbourg, respectivement «Champs de Mars » et « Jordan ». Quant à savoir à quel groupe ils rattachent Boyarshin, ça reste un mystère. En plus des trois arrêtés, le FSB pense qu’il y a au moins 8 autres membres des groupes de Saint-Pétersbourg. De plus, deux autres personnes sont nommées en relation avec le groupe « MSK », de Moscou. Le FSB a aussi parlé de l’existence d’une branche du « Réseau » en Biélorussie. Plus tard, le KGB [les services secrets biélorusses ; NdAtt.] a arrêté un anarchiste biélorusse, mais pour l’instant on ne sait pas si cela est en lien avec « l’affaire Réseau » ou pas.

Témoignages

Les preuves principales sont les témoignages des personnes arrêtées. Malheureusement, parmi les neuf personnes arrêtées, seuls Vasily Kuksov et Julian Boyiarshin ont refusé de parler. Tous les autres ont donné des témoignages sur eux-mêmes et leurs camarades.

« Un homme masqué est entré, il avait un mouchoir couvert de sang dans sa main, c’est quand j’ai entendu le nom de Kuksov. C’est là que j’ai compris ce qu’étaient ces gémissements venant de l’autre pièce. » (Shakursky)

Les agents du FSB ont tout de suite fait recours, en plus des tabassages classiques, à la torture avec des décharges électriques, mais dans certains cas ils ont utilisé des électrodes.
« Ils m’ont bandé les yeux et m’ont mis une chaussette dans la bouche. Ensuite, une sorte de fils métalliques a été attaché à mes orteils et j’ai ressenti la première décharge de courant et je n’ai pas pu m’empêcher de gémir et de trembler. Ils ont répété ce processus jusqu’à ce que je promette de dire ce qu’ils allaient me dire de dire. Depuis lors, j’ai oublié le mot « non » et j’ai dit tout ce que les flics m’ont dit de dire ». (Shakursky)

Les choques électriques ont été appliqués des dizaines de fois partout sur le corps, y compris les zones génitales.
« Il alternait des coups sur la jambe avec des décharges électriques dans les menottes. Parfois il frappait dans le dos ou le cou… J’ai capitulé presque immédiatement, après les dix premières minutes. J’ai ciré : « Dites-moi quoi dire, je dirais tout ce que vous voulez ! » mais la violence ne s’arrêtait pas ». (Filinkov)

Il est important de remarquer que les flics ont utilisé la torture aussi après que les personnes arrêtées ont été visitées par la Commission de supervision publique (PMC) [une commission étatique censée contrôler le respect des droits humains en prison ; NdAtt.]. Pendant la visite à Filinkov, les contrôleurs des droits humains ont trouvé des traces récentes de coups, ecchymoses, traces de brûlure par électrocution. Mais cela n’a pas arrêté les tortures.

Les agents des services secrets les ont forcés à apprendre les « témoignages » qu’ils voulaient entendre, les mauvaises réponses portant de nouveaux coups. Ils ont distribué les rôles eux-mêmes et sélectionné les faits de manière aléatoire, les modifiant à plusieurs reprises.
« On m’a posé des questions, si je ne connaissais pas les réponses j’étais frappé, si ma réponse ne coïncidait pas avec leurs expectatives j’étais frappé, si je prenais du temps pour y penser ou pour formuler la réponse j’étais frappé, si j’oubliais ce qu’ils avaient dit j’étais frappé ». (Filinkov)
« Quelque fois, les enquêteurs ont amené les feuilles avec mon « témoignage » en dehors de la pièce. Il devenait évident que toute cette histoire, fabriquée par le FSB, a des commanditaires qui s’assurent que rien ne sorte du cadre général »

Il n’y a pas uniquement les accusés qui ont été torturés, mais aussi les témoins. Les agents ont pris Ilya Kaputsin, un collègue de travail de Shishkin.
« Je veux présenter mes plus profondes excuses aux personnes qui ont été touchées par mon problème, excusez-moi, les gars ! » (Shishkin).

« Quand je ne connaissais pas la réponse à une question, par exemple quand je ne comprenais pas de qui ou de quoi j’étais en train de parler, ils me frappaient avec des décharges électriques dans la zone de l’aine ou sur le côté de l’estomac. J’étais frappé par une décharge électrique pour que je dise que cet ami ou tel autre serait en train de préparer quelque chose de dangereux ». (Kapustin)

Pchelintsev Dmitry a été pendu la tête en bas avec une dynamo attachée à ses doigts. Ils m’ont mis dans un tel état qu’« ils touchaient mon cou et vérifiaient que je n’étais pas en train de mourir…». Plus tard, Dmitry a dénoncé les tortures, grâce à un avocat. Après, il a été de nouveau torturé et il a été prévenu que s’il « y restait », les agents auraient mis en scène son suicide et montré une vidéo à ses proches.

Andrei Chernov, en plus de la torture, a aussi été menacé du fait que son frère allait aussi être emprisonné.

Boyarshin a été tabassé après avoir été incarcéré pour avoir refusé de parler. Plus tard, il a été transféré dans le centre de détention « Gorelovo », où il a été durement tabassé dans sa cellule par des prisonniers qui collaborent avec l’AP. Cette prison est connue pour ses mauvaises conditions : les prisonniers y sont tabassés, violés, torturés et les autorités publiques en ont connaissance. Le processus de torture est contrôlé par des agents du FSB. Ils sont venus à nouveau pour demander à Julian de témoigner, mais pour le moment il reste fort.

La solidarité sous le coup de la répression

Le FSB ne s’est pas limité aux figurants de l’ « affaire Réseau ». De façon inattendue, il a commencé à faire arrêter les critiques et aussi la solidarité avec les arrêtés. Le premier coup a été porté aux activistes des droits de l’homme qui ont fait des déclarations critiques. Dinar Idrisov, qui a dit qu’avant les élections présidentielles il allait y avoir le « balayage programmé » de personnes fichées par le Centre « Extrémisme » (une autre agence publique de sécurité), a été tabassé devant chez lui. D’autres journalistes qui ont couvert des actions de solidarité ont été perquisitionnés.

Le FSB a interrogé l’anarchiste Sofiko Arifjanova ; ils voulaient qu’elle témoigne sur le fait que les anarchistes soutiennent le mouvement Artpodgotovka (« Bombardement d’artillerie») du nationaliste Maltsev [Vyacheslav Maltsev, politicien nationaliste et bloggueur russe qui avait appelé à une « révolution » contre Poutine pour le 5 novembre 2017, anniversaire de la révolution d’Octobre ; des centaines de manifestants convenus ont été interpellés – et Artpodgotovka déclaré illégal ; NdAtt.], dont les militants ont été massivement incarcérés en novembre 2017. Peu avant les arrestations, Maltsev s’est tout à coup déclaré lui-même anarchiste, ce qui peut difficilement être une coïncidence.

En janvier 2018, des anarchistes de Moscou ont mené des actions de solidarité dans la rue, y compris le fait de briser la fenêtre du bureau du parti « Russie unie » et jeter à l’intérieur des feux d’artifice. Quelques jours après, les forces spéciales ont débarqué dans les appartements d’Elena Gorban et d’Alexei Kobaidze, qui ont été interpellé.e.s et amené.e.s au commissariat pour y être interrogé.e.s.

En février 2018, il y a eu une action de solidarité à Cheliabinsk [à l’est de l’Oural, à 1500 km de Moscou ; NdAtt.] : une banderole avec le slogan « FSB – les plus grands terroristes » a été posée devant les locaux du FSB. Quelques jours plus tard, les forces spéciales de la police ont arrêté l’anarchiste Dmitry Tsibukovsky, directement à l’usine où il travaillait. Trois autres personnes ont également été interpellées. Tsibukovsky et Maxim Anfalov ont été tabassés et torturés avec des décharges électriques. Ils ont été forcés de se déclarer coupables de l’action et de témoigner là-dessus.

« Ils frappaient avec un shocker électrique sur la poitrine, sur les jambes, sur les mains – ça sentait comme s’ils y mettaient quelque chose de très chaud. La chose la plus désagréable était quand ils frappaient sur les menottes, c’était très douloureux et puisque je tremblais, cela faisait mal aussi à cause de la compression des menottes. Les coups les plus douloureux étaient ceux portés sur les mains – ils me disaient de tenir le shocker à deux mains et l’allumaient. C’était très douloureux. » (Anfalov)

« Puisque je n’ai rien déclaré pendant un long moment, le flic m’a appliqué un shocker électrique. Il m’a infligé au moins cinq décharges sur les jambes, dans les cuisses. Après chaque décharge, il me demandait si j’avais décidé quoi dire. La douleur due au courant électrique était insupportable et j’ai décidé « d’avouer», de donner le témoignage dont le flics avaient besoin pour m’enfermer, moi et les autres. Pour moi, en ce moment, c’était important de sortir vivant de cette situation. Pendant l’interrogatoire, le flic a écrit le témoignage lui-même et il me l’a tendu pour que je le signe ». (Tsibukovsky)

Anastasia Safonova n’a pas été torturée, mais a été obligée d’écouter les tortures subies par Tsibukovsky, son copain.
« Pendant l’interrogatoire, ils m’ont donné la possibilité de parler avec Safonova à travers le téléphone interne. Safonova était enfermée dans le bureau d’à côté. On m’avait dit que je devais la convaincre de confirmer mon témoignage et qu’ainsi ils nous mettraient ensemble. » (Tsibukovsky)

Les flics se sont moqués de Dimitry Semenov, l’obligeant à rester pendant longtemps dans une position mi-accroupie.
« Ils ont amené une sorte d’objet, ils m’ont dit que c’était une sorte de shocker électrique, ils m’ont attaché à une chaise et m’ont dit que c’était ma dernière possibilité d’écrire une confession, mais je ne l’ai pas écrite. » (Semenov)
Il a été sauvé de la torture par un avocat, qui est arrivé rapidement.

En février, l’anarchiste Yevgeny Karakashev a été arrêté à Yevpatoria, en Crimée. Il a été accusé d’incitation à la haine et d’appel public au terrorisme. La base de ces accusations était une vidéo des « Partisans de Prymorie », un groupe de combat de l’extrême-orient russe, qui a été actif en 2010.

Début mars, à Sébastopol (Crimée), des membres des structures répressives ont débarqué dans la maison de l’anarchiste Alexei Shestakov pour une perquisition. Ils lui ont mis un sachet plastique sur la tête et l’ont amené dans la camionnette, où il a été jeté a terre.
« J’ai perdu mes chaussures – ils avaient enlevé les lacets. Ils ont serré le sachet sur ma tête, l’air est sorti et j’ai commencé à suffoquer. J’ai essayé de respirer, ils ont de nouveau serré. Dix ou vingt minutes se sont écoulées. A ce moment-là, ils ont levé mes bras derrière mon dos, tirant sur les menottes, les tordant. Ils m’ont dit « Crie : je suis un animal ! ». J’ai crié. Ils ont laissé mes bras. Ils ont pris mon pouce et commencé à le tordre, lentement. Maintenant il est cassé. Quand ça allait vraiment mal, ils demandaient :  « Ça ne te plaît pas, ici ? » » (Shestakov).
Shestakov a été condamné à 11 jours de détention pour avoir publié des chansons interdites sur des réseaux sociaux. Après, il est parti en Ukraine.

En mars, plusieurs personnes ont été arrêtées à Moscou, l’anarchiste Svyatoslav Rechkalov et son colocataire et aussi plusieurs personnes de gauche qui ont été relâchées par la suite.
« Ma main et celle de mon coloc’ ont été attachées ensemble, derrière nos dos, puis ils nous ont couvert les yeux avec du ruban adhésif noir et nous ont placés dans le coffre d’un micro-van. Ils m’ont dit que c’est une erreur d’agir comme un criminel dans la lutte contre le crime. Qu’il faut coopérer avec les autorités publiques et s’engager dans des activité socialement utiles. Un d’eux a dit, avec un ricanement : « Bon, je pense qu’un révolutionnaire si déterminé dans ses idées supportera toute douleur ». Deux autres ont commencé à me frapper. Les coups n’étaient pas forts, mais la force des décharges électriques augmentait jusqu’à devenir assez douloureuse. Quelqu’un de l’extérieur m’a attrapé par le pantalon, ils ont commencé à tirer et crier qu’ils n’y seraient pas allés de main morte. J’ai dit ensuite que j’étais prêt à parler [il a témoigné contre soi-même, mais pas contre d’autres personnes] » (Rechkalov)

La couverture de l’affaire en Russie

De nombreux anarchistes ou journalistes russes interprètent cette affaire à leur manière. Les anarchistes arrêtés sont appelés avec des définitions amorphes « d’antifascistes » ou « activistes de gauche », niant complètement l’existence d’un mouvement anarchiste, au-delà des fantaisies du FSB. Quel est le but d’un tel comportement ?

Tout d’abord, le désir d’influencer la société civile proche de l’opposition, de façon que cette affaire puisse avoir la plus grande résonance et sympathie, ainsi que de trouver l’argent pour les avocats. Le but a été atteint, la répression est largement documentée, les activistes des droits de l’homme ont rejoint la campagne de solidarité.

Évidemment, lors du procès, quelques unes des personnes arrêtées récuseront les accusations et certains activistes supposent que l’opinion publique aidera à obtenir des sentences plus légères… Les familles des compagnons veulent y croire, ils ne peuvent pas encore accepter l’inévitable.

Mais est-ce qu’on peut vraiment y croire ? Est-ce que la faveur de l’opinion publique a évité la condamnation des Pussy Riot ? A-t-elle protégé les manifestants condamnés en 2012 ? A-t-elle aidé Dmitry Buchenkov [anarchiste, arrêté le 2 décembre 2015 car accusé d’avoir participé aux heurts entre la police et les manifestants à Moscou, en mai 2012, lors des protestations qui ont suivi la réélection de Poutine ; NdAtt.] à éviter des accusations évidemment fausses ? Dans un ou deux ans, la société civile aura oublié les prisonniers, et tout ce qui leur restera sera quelques proches et leur propre conviction, pour leur éviter de sombrer dans l’abîme d’années de désespoir. Compter sur l’opinion publique en tant que levier de pression sur l’autorité russe, sourde, est une illusion dangereuse.

Il est impossible de ne pas comprendre que nos compagnons seront emprisonnés de façon exemplaire et cruelle. La réalité objective ne changera pas par le fait que des personnes veulent aider les prisonniers de cette manière ou s’auto-persuader de l’inexistence du « réseau ». Et la majorité des anarchistes, ainsi que le FSB, savent que le mouvement clandestin anarchiste n’est pas une fiction.

Jusqu’à présent, les anarchistes ont perdu leur identité à cause de leur propre retenue. Cela génère la fausse impression que le FSB a attrapé des activistes de gauche au hasard, qui se limitaient à jouer à l’airsoft et partageaient des vagues vues « antifascistes ». Le mot « anarchistes », en référence aux compagnons, apparaît de moins en moins dans les médias du pouvoir, nous sommes perdu dans un « antifascisme » anonyme. Les anarchistes apparaissent comme les victimes de la terreur d’État, n’ayant aucune volonté de combattre le système, ce qui devrait pourtant être ce qui les caractérise. On doit payer le prix de l’impersonnalité quand on veut obtenir la sympathie de la majorité.

Et au fait, la majorité ? Avec le durcissement du régime, la désillusion de la population quant aux méthodes de lutte libérales et légales grandit. L’affrontement direct avec les autorités publiques gagne de plus en plus de sympathies. La Russie a déjà traversé un moment semblable, au début du 20ème siècle, quand les révolutionnaires jouissaient d’une large sympathie dans la société.

Les anarchistes ne doivent pas avoir honte d’eux-mêmes. Nous pouvons, à la rigueur, nier toute « culpabilité » au tribunal. Cependant, un anarchiste qui récuse les accusations, ne doit pas laisser tomber son identité, ses idées. Personne ne pourrait condamner les faits contestés : il n’y a rien de honteux dans des attaques contre l’autorité, dont on devrait être embarrassés ou qu’on devrait éviter. C’est cela que les autorités publiques désirent le plus : que pour quelques chances illusoires dans la court d’un tribunal, les anarchistes eux-mêmes dénoncent les méthodes radicales. Tout ce que les compagnons détenus peuvent faire c’est de rompre l’arrangement de la repentance et du déni de soi mis au point par le FSB, afin de passer le procès qui viendra avec dignité. C’est à cela que nous tous devons contribuer.

La couverture de l’affaire à l’étranger

Nous ne savons pas si cela a été fait de façon intentionnelle ou pas, mais le mouvement anarchiste international s’est fait induire en erreur. Par exemple Crimethinc répète la version droit-de-l’hommiste, selon laquelle le FSB « a utilisé la torture pour les obliger à signer de fausses déclarations par lesquelles ils admettent de participer à un réseau terroriste bien évidemment inventé ».
Le 20 avril, la télé russe a montré une vidéo de propagande sur l’affaire, qui contient aussi la vidéo d’un entraînement militaire, qui ne ressemble pas du tout à de l’air soft.

Un telle approche, comme celle de remplacer la réalité par une interprétation arbitraire (quoique avec de meilleurs intentions) détruit la confiance à l’intérieur du mouvement. Si on ne peut pas dire la vérité, qu’on garde le silence, mais qu’on ne mente pas.
La vérité est que les personnes arrêtées sont des anarchistes ou des personnes qui se considèrent d’abord antifa ; il n’y a pas d’antifas non-anarchistes parmi eux. En outre, le FSB n’est pas en train de taper au hasard, mais il vise les anarchistes appartenant à un certain courant social-révolutionnaire.
Cependant, cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de falsification ? Bien sûr que non.

Falsifications

Évidemment, les instructions internes adressées au FSB ont laissé aux flics la possibilité de recourir à leur gré à un certain panel de torture, le but principal étant d’atteindre le résultat voulu. Auparavant, le fait que les tortures aient été rendues publique les a, en général, fait arrêter. Les flics de base ont préféré ne pas prendre de risques. Maintenant, la publicité de ces faits ne les dérange plus et les flics affichent impertinemment leur pouvoir sans limites.

Selon les compagnons, les flics sont en train de suivre des pistes délirantes, comme celle des financements venant de l’Iran ou des liens avec le mouvement nationaliste  Artpodgotovka . les flics surestiment donc de manière voulue l’importance de l’organisation anarchiste clandestine. Avec de telles méthodes d’investigation, personne peut dire de manière sûre où est la vérité et où se trouve la fiction. Des telles méthodes permettent de créer des affaires complètement bidons, comme cela a été le cas pendant longtemps pour ce qui concerne les immigrés.

De telles falsifications rappellent les bien connues pratiques des tribunaux de Staline. Dans les années 30, la violence à l’encontre des personnes arrêtées grandissait d’une année à l’autre, jusqu’à atteindre le niveau de tortures médiévales sophistiquées. Des antifascistes européens qui avaient été interrogés par la Gestapo et ont par la suite été arrêtés par la NKVD (l’ancêtre du KGB) dans l’Union Soviétique ont témoigné de l’emprunt évident de l’arsenal des techniques de torture aux nazis. En même temps, il y avait un niveau grandissant de falsification des investigations, jusqu’à celles complètement inventées, au hasard des personnes qui étaient jugées.

Il n’y a pas de garanties : à savoir si les personnes arrêtées n’ont rien à voir avec l’affaire, si les armes ont été mises là [pour être trouvées par les flics ; NdAtt.] et lesquelles, si les buts de l’organisation ne sont pas fictifs. Avec de telles méthodes d’investigation, les falsifications cessent de différer de la réalité : sous torture, presque tout le monde fournira les témoignages demandés.

Conclusions

Un des buts de la torture était son aspect démonstratif. L’ordre à ce propos est arrivé d’en haut, ça n’a pas été simplement une méthode pour mettre des gens hors-jeu ou pour fabriquer des témoignages. Le FSB voulait convaincre les anarchistes et les mouvements anti-régime que même un comportement loyal collaboratif avec les forces répressives] après l’arrestation ne garantirait pas le fait d’échapper à la torture. Ces tortures sont prophylactiques et ont le but d’intimider.

Le gouvernement russe, comme tout régime autoritaire, ne peut pas exister sans l’image de l’ennemi, extérieur ou intérieur. Mais les gens, depuis l’époque de l’Union soviétique, ont été habitués à l’éternelle « menace venant de l’Ouest » avec ses espions. Par conséquent, la société est de plus en plus poussée vers le massacre brutal des « ennemis publiques». Pour parvenir à cette fin, le sujet de l’extrémisme est activement promu et de nouveaux « ennemis » sont détruits.

Maintenant c’est au tour des anarchistes de jouer le rôle de l’ « ennemi ». Cela est manifeste depuis plusieurs années, depuis que la répression a commencé à créer de fausses affaires « extrémisme ». Le FSB se fout des actions radicales réelles, maintenant les personnes sont sélectionnées simplement pour leurs intentions, pour leur idéologie. Dans la Russie moderne, être appelé un anarchiste révolutionnaire est devenu un crime. Nous sommes revenu aux temps du tsarisme.

La Russie se dirige vers le fascisme, le pire est devant nous.