L’expression de paradis artificiels proposée par Charles Baudelaire dans son essai du même nom est largement redondante : tout paradis est artificiel. Mais cela n’enlève rien – au contraire – à la charge poétique de la locution qui, à son origine, désignait les stupéfiants. Nous l’entendrons ici dans un sens plus large, quoi que non figé, qui pourrait être résumé par : ce qui donne l’impression de pouvoir – pour un moment – s’échapper de ce monde. De fait, fumer des joints régulièrement tout autant que courir 10 km en sortant du boulot peuvent s’avérer être des paradis artificiels en tant qu’ils contribuent à mieux nous faire accepter la merde quotidienne.
Il ne s’agira donc pas dans cette discussion de se limiter aux stupéfiants ni de tomber dans une condamnation morale, culpabilisatrice et simpliste de la place que chacun donne à ses paradis artificiels mais de penser leur rôle central dans la pacification sociale et la résignation généralisée, comme un rapport détaché avec l’existant qui prend le pas sur le réel. Respirer, penser à autre chose, se couper des autres (ou s’y relier dans l’isolement), prendre du recul sur sa propre existence et sur les problèmes qui l’accompagne : on pourrait sans trop se tromper dire que tout le monde peut avoir besoin de béquilles ou de prothèses pour tenir le coup. Mais, de la même manière que la récré et les loisirs servent à nous rendre bien dociles au cours de l’année scolaire ou de travail, ces moments de désertion illusoire du monde ne devraient pas servir à nous faire mieux supporter la réalité de ce dernier. Accepter les pires conditions de travail pour être « libre » cinq semaines par an, n’est-ce pas précisément ce sur quoi repose notre propre asservissement ?
L’alcool, la drogue (qu’elles soient dites « dures » ou « douces »), l’amour, la littérature, la télévision, la religion, le sexe, la politique, le divertissement, la chimie sur ordonnance, le travail, l’idéologie et la théorie, la technologie, le virtuel, la philosophie, l’art, la culture, le jeu, l’hygiène, etc. Mais aussi, peut-être, l’enfermement dans la normalité parallèle de l’alternative. Toutes ces choses sont-elles bien des paradis artificiels ? Il serait bien triste de le penser si cela implique de refuser tout plaisir ou toute aide pour supporter ce monde. Plutôt que d’interroger ce qui serait l’essence de chacune de ces pratiques, il peut être plus intéressant de questionner notre rapport à ces dernières.
Il s’agira donc de discuter, dans une perspective révolutionnaire et en réfractaires à ce monde, des limites des paradis artificiels, de la notion de réel et de notre rapport à ce dernier.
A l’époque de la post-modernité, les paradis artificiels affinent leur rôle plus que jamais et prospèrent de la chute des grandes hypothèses révolutionnaires. Poser la question des paradis artificiels, c’est ainsi poser la question du refus de ce monde et des perspectives que ce refus propose : la fuite dans un ailleurs illusoire ou la confrontation ici et maintenant.
Tout ceci ce questionne, bien évidemment, et se discute, se réfléchit, en s’évitant à tout pris la forme groupe de parole.
Tout texte, extrait vidéo ou audio, musique ou autre qui puissent nourrir la discussion sont bienvenus et pourront être partagés le soir de la discussion.
Aux Fleurs Arctiques
45 Rue du Pré Saint-Gervais, 75019 Paris
Métro Place des Fêtes (lignes 7bis et 11 du métro).