Quelques vieilleries sur l’Union sacrée face au terrorisme

[Ces deux textes de réflexions à chaud suite aux attaques du 11 septembre 2001 -malgré un contexte et une période différents- ont certainement encore quelque chose à nous dire, à l’heure où c’est toujours, quoi qu’on en dise, le terrorisme des Etats et de leurs concurrents, comme cela vient d’arriver aujourd’hui, qui tentent de mener le bal pour tenter de liquider la guerre sociale contre toutes les dominations…]

 

Recherche ennemi désespérément

Ça y est, la 3eme guerre mondiale est arrivée. C’est l’onde de choc, le traumatisme mondial. Face à cette déclaration de guerre, cette insulte à la démocratie, à la liberté, à la vie humaine, …
chaque peuple fait bloc autour de son souverain, les bons citoyens offrent leur sang, on prie, on pleure, on compatit, on est choqué, horrifié, en colère, on exige des représailles. Les drapeaux sont en berne, de par le monde un deuil est décrété. Dirigeants et dirigés, exploiteurs et exploités, tous se retrouvent unis face au malheur et à l’inacceptable. Un-front-commun-contre-le-fléau-du-terrorisme. On appelle ça : l’union sacrée. Mais derrière cette orchestration larmoyante, cette mise en scène sacrificielle, ce scénario de politique-fiction plus vrai que nature, que se cache-t-il réellement ? Pour tous les damnés de la terre, tout cela ne présage rien de bon.

Dans les prochains jours, les attaques menées contre les intérêts américains serviront d’alibi au déclenchement d’une offensive militaire de l’OTAN ou des Etats-Unis avec l’appui de l’Europe et de ses alliés arabes. On parle déjà de l’Afghanistan, de l’Irak ou du Pakistan. Et l’on peut être sûr que les propagandistes du nouvel ordre mondial invoqueront, comme par le passé (guerre du Golfe, des Balkans, du Kosovo…) les arguments de la défense du monde libre et de la démocratie pour légitimer leur projet militariste ; en réalité, il ne s’agit de rien d’autre que d’une nouvelle tentative pour les grandes puissances de consolider leurs positions d’hégémonie sur l’échiquier impérialiste, dans le contexte de rivalités entre puissances constituées (les USA, l’Europe) et puissances en voie de constitution. Mais les exploités du monde entier n’ont rien à gagner dans ce jeu sinistre : ni la liberté formelle, source de leur exploitation quotidienne, brandie par les Etats occidentaux, ni la violence aveugle planifiée par une clique de chefs militaro-religieux ayant pour seule ambition de bouleverser l’ordre international à leur profit et d’instituer de nouvelles formes de domination ne leur seront d’aucun recours dans leurs luttes pour l’émancipation sociale.

Une militarisation de l’Etat, sur l’ensemble de la planète, trouvant sa justification dans la menace terroriste (renforcement des appareils de contrôle et de coercition de l’Etat) est d’ores et déjà à l’ordre du jour. Ainsi, dès le jour de l’attaque aux USA est annoncée en France la mise en place du plan Vigipirate renforcé (phase 2) ; or nous connaissons bien la nature et le rôle de ces « mesures de sécurité » : derrière l’alibi antiterroriste, ce n’est rien d’autre que l’intensification de la chasse aux pauvres, à commencer par les sans-papiers, la surveillance informatisée de nos moindres faits et gestes, la répression immédiate contre tout écart à la norme sociale fixée par les maîtres de nos existences et, de manière générale, l’instauration d’un climat de peur et de suspicion brisant toute solidarité collective contre l’oppression permanente. Bref, rien de tel pour accoutumer mentalement les esprits à la loi martiale et à l’univers totalitaire que l’on nous prépare dans les coulisses du pouvoir.

Cette militarisation des démocraties, ce contrôle et cette gestion militaire des rapports et des conflits sociaux permet aussi aux Etats de pouvoir enfin s’attaquer aux spectres de ces ghettos sociaux de plus plus difficiles à contenir.
La logique de guerre omniprésente est à l’œuvre aussi bien dans rapports entre puissances pour l’hégémonie planétaire (plan d’intervention militaires dans toutes les parties du monde, par exemple le plan Colombie, ou les guerres de basses intensités (Chiapas…), gestion humanitaire des rivalités inter-étatiques à travers le rôle dévolu aux ONG et aux organismes caritatifs), mais aussi dans les rapports sociaux de chaque Etat (ghettoisation et ségrégations sociales, gestion carcérale des « nouvelles classes dangereuses », etc).
En dernière analyse, toutes ces mesures, comme tous les discours et toutes les déclarations dont les médias nous abreuvent jusqu’à la nausée, sont destinées à entretenir l’illusion que sans le sang-froid et l’abnégation de nos bien-aimés dirigeants, leurs polices, leurs armées, leurs espions, leurs légistes, leurs diplomates et leurs bureaucraties, nous nous enfoncerions, livrés à nous-mêmes dans la barbarie. Or, c’est de tout le contraire qu’il s’agit : toutes ces institutions ne sont là que pour perpétuer la barbarie, celle des rapports de production capitalistes.

Au plan idéologique, on nous refait le coup de la guerre froide, avec un nouvel ennemi, plus dangereux que le précédent (l’URSS et le « communisme ») car insaisissable, intérieur et extérieur, invisible, disséminé, obscur, nulle part et partout à la fois… A nouveau, le monde se structurerait à les entendre en deux pôles antagonistes : le camp des démocraties occidentales, le « monde libre » emporté par les USA contre un monde arabe fanatisé par une caste de dirigeants intégristes… C’est cette présentation des choses, cette absolue falsification idéologique de la réalité qu’il faut dénoncer et combattre. La bipolarisation au niveau mondial ne se fait pas entre les démocraties et les Etats terroristes et leurs bases avancées, mais entre les exploités du monde entier, d’Occident, d’Orient ou d’on ne sait où, et leur exploitation gérée par la clique de dirigeants politiques et économiques internationaux.

L’opération militaire qui se prépare va faire, comme à chaque fois, un massacre parmi la population civile d’un pays (on ne sait pas encore vraiment lequel, très certainement l’Afghanistan) et l’on nous parlera encore de frappes chirurgicales et de dégâts collatéraux. Là, il n’y aura pas les médias pour nous faire pleurer, pas d’images, pas de cris. Ces morts-là, ces souffrances-là, n’auront pas la même intensité, la même importance aux yeux des Occidentaux. Le non-dit des médias et des politiciens peut se résumer ainsi :  » Ce ne sont pas des Occidentaux, ce ne sont pas des civilisés, qu’ils crèvent en silence ! « 
Nous ne pouvons que renvoyer dos à dos les auteurs des attentats aux USA et les dirigeants politiques qui vont conduire ou cautionner une opération militaire en Afghanistan où ailleurs. Par contre, nous ne pleurerons pas la mort des mollahs talibans et autres milliardaires saoudiens comme nous n’avons pas pleuré la disparition de militaires au Pentagone et de traders au World Trade Center, tous directement responsables de la mort et de la misère de million de gens. Qu’ils s’entretuent tous …

La riposte à notre misère et notre aliénation ne s’est jamais trouvée et ne se trouvera jamais dans le nationalisme, le religieux, la violence aveugle ou l’idéologie de la démocratie, qui ne sont que des leurres par lesquels se perpétuent la domination et l’exploitation. En Palestine, en Europe, au Proche-Orient, aux Etats-Unis et partout ailleurs, il n’y a qu’un seul combat à mener : celui de tous les prolétaires contre toutes leurs exploitations (capitalisme, Etat, religion…) ; et un seul et unique moyen pour parvenir à une libération totale : la guerre sociale.

Paris, le 16 septembre 2001

[Publié dans Cette Semaine n°84, février 2002, p.2]


Guerre sociale sans limite

Depuis les événements du 11 septembre, les dirigeants des démocraties et leurs clans traquent un ennemi sans visage. La réponse présentée comme une  » croisade contre le terrorisme  » n’est en réalité qu’une opération policière de répression planétaire contre tous les pauvres. Les dirigeants, derrière leur masque de compassion pour les victimes, profitent bien de l’affaire. On justifie l’état de siège dans les villes, la surveillance massifiée des communications, l’écrasement accru des employé-e-s ou l’intensification des contrôles lors des déplacements. Le bon citoyen veut-il se sentir protégé ?

En tout cas, les pauvres doivent trembler. Sans-papières, prolétaires turbinant, fraudeurs, petites voleuses, galériens, femmes, arabes, noirs, sans abris, squatteuses… Toutes et tous, exploité-e-s et écrasé-e-s en tout genre, vont l’être encore d’avantage. Tous ceux et toutes celles qui refusent de crever où et comment on leur dit seront laminé-e-s. Et non seulement tout acte de révolte sera durement réprimé, mais l’objectif est de faire passer l’envie, l’idée même de se révolter. Les  » terroristes  » sont ceux et celles qui s’attaquent à ce monde. Quiconque ébrêche l’union sacrée proclamée, par ses choix de vie, ses révoltes, ses  » crimes « , ses insoumissions, en est un-e. Si la justification du pouvoir est idéologique, la répression est bien physique. C’est le principe de tolérance zéro, la théorie du carreau cassé new-yorkaise qui s’étend à la planète entière.
Aucun écart ne sera toléré ; la loi martiale semble décrétée pour l’ensemble de la population. (En France, 2 hommes prennent 2 mois fermes pour, lors d’une embrouille avec les flics, les avoir menacés d’une attaque aérienne sur le commissariat ; un autre prend un an, pour avoir dit  » vive Ben Laden  » ; à Londres, une trentaine d’employé-e-s du métro sont licencié-e-s pour refus de faire les trois minutes de silence en mémoire des victimes.) Les forces policières et militaires se renforcent mutuellement, leurs pouvoirs sont étendus et tout le monde est impliqué dans leurs opérations. La participation est demandée aussi bien aux gardiens de parc, aux vigiles de musée ou de supermarché, qu’à chaque citoyen-ne qui est appelé-e à la délation à chaque instant.

Cette opération policière n’est pas un régime d’exception, c’est une accélération brutale du processus de contrôle permanent et total des populations. Les dirigeants, en agitant le spectre de l’innommable renforcent leur arsenal répressif. La société carcérale (occupation policière du territoire, arrestations et incarcérations de plus en plus nombreuses, surveillance technologique…), tout comme l’idéologie participative qui fait du bon citoyen une balance, ou encore l’exploitation économique (licenciements massifs justifiés par la récession qui suit l’affaire du 11 septembre) ne sont pas des phénomènes nouveaux. C’est une nouvelle offensive, menée par les dirigeants dans la guerre de classe menée contre les pauvres depuis bien longtemps. Les  » terroristes  » qu’ils combattent sont aussi bien les émeutier-e-s des Black Blocks ou d’ailleurs, les ouvrier-e-s qui menacent de faire sauter l’usine si on ne leur donne pas du blé, la jeunesse criminelle qui prend les thunes dont elle a besoin là où elles sont, le  » tireur fou  » de Béziers et les nombreux et nombreuses autres révolté-e-s contre ce monde lugubre. Les moyens qu’ils emploient dans cette guerre ne peuvent nous tromper. Ils sont bien dirigés contre nous, et en nombre et force de plus en plus grands, comme à chaque occasion. Leurs cerveaux pestilentiels cherchent toujours de nouveaux carcans pour nos désirs de liberté. Mais notre rage trouvera toujours, par la ruse, dans la violence et contre l’ordre, les moyens de notre existence.

Feu aux commissariats, aux prisons, aux centres de rétention et à tous les centres de répression
Feu aux centres de techno-surveillance…
Contre les guerres capitalistes, pour la guerre sociale
Dévastons ce monde putride

(Ce tract a circulé dans l’est-parisien début octobre 2001)

[Publié dans Cette Semaine n°84, février 2002, p.3]

texte repris sur cettesemaine.info