A bas l’armée : vive l’insoumission

note:La  militarisation « en marche » nous concerne tous directement, à chacun de nous de s’y opposer !

★ Lutte de classe et militarisation

Injures à l’armée à Alger le 22 août 1891

LES propos antimilitaristes furent prononcés dans un café de la place du Gouvernement.

Algérie                                                                                  Alger le 2 juin 1892

Parquet du procureur général

n°1196

Direction des affaires criminelles et des grâces

Monsieur le Garde des sceaux,

J’ai l’honneur de vous rendre compte d’une affaire suivie pour injures publiques envers l’armée contre les nommés Bonnardot* et Morat, se disant anarchistes, et qui vient de recevoir solution devant la cour d’assises d’Alger.

Dans la matinée du 22 août 1891, un détachement du 1er régiment de zouaves défilait, musique en tête, sur le boulevard de la République, à côté de la place du Gouvernement à Alger, lorsque du milieu d’un groupe de consommateurs attablés sur la terrasse du café du Progrès, de l’autre côté de la même place, se firent entendre à l’adresse des militaires et de l’armée française, des injures et des invectives outrageantes qui provoquèrent l’indignation des consommateurs voisins : « Voyez ces tas de cons, ces lâches » disait Bonnardot, le plus bruyant du groupe, « ça obéit à la discipline ». Des observations lui ayant été adressées par l’un des assistants qui lui demanda s’il était français, Bonnardot répliqua : « Je suis internationaliste et je ne serai jamais soldat, je croirais salir ma peau en endossant l’uniforme français ; toute l’armée française, ce sont des lâches qui ont tiré sur le peuple à Fourmies ». L’un des camarades de Bonnardot, le nommé Morat, approuvait hautement ces paroles ; un consommateur placé près de lui, lui lança un soufflet, ce fut le signal d’une bousculade au milieu de laquelle Bonnardot et Morat parvinrent à s’esquiver. Mais quelques instants plus tard, un des témoins de la scène les retrouvant sur la place du Gouvernement, les faisait arrêter par la police.

Une information fut aussitôt ouverte. L’affaire renvoyée tout d’abord devant la juridiction correctionnelle ; est revenue après jugement d’incompétence et règlement de juges, devant la cour d’assises, à l’audience du 21 mai dernier, sous accusation d’injures publiques envers l’armée.

Bonnardot a 18 ans à peine, il n’exerce aucune profession déterminée et vit dans l’oisiveté à la charge de sa mère. Naguère il était un disciple militant de l’Armée du salut, il se dit aujourd’hui anarchiste.

Morat n’est qu’un vagabond qui a déjà subi pour vol, une condamnation à 6 mois de prison.

Laissés l’un et l’autre en liberté provisoire, ils se sont trouvés tous les deux, impliqués au cours de l’information, avec d’autres malfaiteurs, dans une poursuite criminelle à raison de deux vols qualifiés commis à Alger dans la nuit du 24 au 25 décembre 1891 et à la veille des mêmes débats, ils ont comparu une première fois devant la cour d’assises et ont été condamnés, Bonnardot comme complice, à la peine de trois années d’emprisonnement, et Morat, comme auteur principal, à celle de 6 années de travaux forcés et de 6 années d’interdiction de résidence.

A l’audience, Bonnardot soutint que les paroles injurieuses par lui prononcées ne s’appliquaient ni à l’armée, ni aux zouaves mais seulement aux curieux que le pressaient sur le passage du détachement ; s’il a parlé de lâches, ce n’est, dit-il, qu’au sujet de l’affaire de Fourmies, à l’égard des soldats du 145e. Au surplus, tout cela n’était dit qu’entre camarades, au cours d’une conversation intime qui ne regardait point les voisins et dans laquelle ceux-ci n’avaient pas à intervenir.

Morat se défend d’avoir prononcé aucune injure ; il s’est borné, dit-il, à approuver ce que disait son camarade au sujet des événements de Fourmies. Au surplus, aucun des témoins de l’enquête n’a relevé à sa charge une expression outrageante, une parole injurieuse, et le soufflet qu’il a reçu à répondu plutôt à son attitude approbative à l’égard de Bonnardot qu’à l’émission d’une injure précise et caractérisée.

Morat a été acquitté.

Bonnardot, seul déclaré coupable, a été condamné à 3 mois d’emprisonnement.

Le Procureur général

Source : Archives nationales BB/18/6450

*orthographié également Bonardo