Contrôle social et technologies

En pleine contestation des médecins généralistes . Pourquoi pas évoquer la carte vital?. Celle -ci peut permettre une mise en lien informatique de la CAF,  de pôle emploi, des services des impots et la sécurité sociale….et la justice ( avec ses réseaux). C’est en place …ils s’en serventenfants2

 

 

 

 

Le contrôle social est de plus en plus technique, et l’Etat comme les autres organisations qui administrent nos vies utilisent de plus en plus de gadgets et d’innovations technologiques : croisement de fichiers, biométrie, drones, génétique, traitement de données, puces RFID etc. On en est à essayer de faire des portraits-robots avec de l’ADN récolté… Le « système technicien », pour le dire comme le philosophe libertaire Jacques Ellul, qui nous enserre est par nature un système au contrôle social diffus, intrusif et étendu. Notre quotidien se vit sous surveillance. Dans ce sens, l’approfondissement du contrôle social n’est pas seulement le résultat d’une volonté clairement réfléchie et calculée d’oppresseurs pervers, mais surtout du développement technologique et de la pseudo-rationalité scientifique, de l’imaginaire qui va avec et des conditions de vie qu’il fabrique. Le numérique, au même titre que la bombe H, modifie le monde et notre vie quotidienne. Les conditions d’existence avec numérique n’ont rien à voir avec les conditions d’existence sans numérique.

La technique s’impose d’elle-même, même si elle est portée par des technocrates et des capitalistes, et crée les conditions matérielles d’un contrôle social toujours plus intense. Ce serait un comble que l’armée, les flics et les gouvernements ne les utilisent pas ou ne les encouragent pas, alors que c’est leur vocation de se renseigner et de surveiller les populations. Et c’est bien pour cela qu’il faut en finir avec eux pour une société libertaire et égalitaire ! La technique est ainsi devenue de plus en plus autonome : sa logique, celle de l’innovation et du développement des prothèses technologiques pour tout, s’applique systématiquement. Elle vient alors désagréger et s’imposer dans tous les domaines de la vie. D’ailleurs, la technique moderne s’évalue par rapport à son efficience, c’est-à-dire l’optimisation rationnelle de son action. Dans d’autres cultures, l’objet technique peut avoir de la valeur davantage pour sa beauté, sa magie supposée, son contenu symbolique, plutôt que pour sa fonctionnalité. L’artisanat continue de considérer qu’un objet a autant à être bien fait que fonctionnel. Le design essaie sans réussite de faire oublier qu’il n’ait plus question de bel objet dans le contexte industriel et technologique…

Nombre de révolutionnaires sont tombés dans le piège de la croyance dans le fait que la technique serait neutre. Elle ne dépend pourtant pas de l’usage qu’on en fait, contrairement à cette maxime optimiste : la technique contient en elle-même une vision du monde et crée des conditions matérielles qui conditionnent en partie nos existences. Le TGV, la centrale atomique, le champ d’éoliennes industrielles, l’autoroute ou le réseau informatique s’imposent et se construisent en bouleversant les pays et les personnes qui vivent là. Quand Amazon livrera ses colis avec des drones, nous vivrons entourés de drones au-dessus de nos têtes, habitués à cette technologie qui n’est pas sans rappeler les scènes de 1984 décrites par Orwell. Pas tout à fait la même ambiance que le facteur qui passe. La voiture a imposé les trottoirs et l’attention permanente des citadins pour éviter l’accident, vidé les rues de toute animation et remplacé les places publiques par des parkings, en plus d’avoir accéléré le rythme de vie et empoisonner l’air. La cité de la bagnole et des avenues n’a pas tout à fait la même ambiance que la ville pédestre aux ruelles sinueuses et animées. La technique crée un monde, son monde, dont les principes ne sont pas ceux d’une société humaine libre et vivante. La technique n’a que faire des états d’âme et des aspirations à l’émancipation des personnes, ces dernières n’ayant qu’à s’adapter à sa propre logique et aux conditions qu’elle pose. Il y a des valeurs latentes à la technique, à savoir l’efficacité, la performance et la maîtrise sur le monde. C’est donc un rapport particulier à la nature et aux autres, dont Descartes avait commencé à poser les bases : se rendre « comme maître et possesseur de la nature ». La technique moderne contient un rapport de domination.

Contrairement aux idées en vogue, cette domination n’est pas sans responsables. Le fait que tout soit réduit à une fonction d’un système de gestion des masses cache qu’il existe des instigateurs, des profits pour certains, des stratégies… Le projet technique recoupe celui de la classe dominante des technocrates, capitalistes new school dirigeant administrations publiques et industries stratégiques, naviguant entre le public et le privé, shootés au progrès, aux innovations technologiques, aux sections recherche et développement. Ils se sont donné une mission : programmer le devenir du monde dans leurs intérêts et selon leur vision technoscientifique du monde. L’avenir est tout tracé et ne se discute pas : toute nouvelle technologie est bonne à prendre et mène sur les voies du progrès. Ce sera donc le nucléaire, les pesticides, les OGM, la biométrie, la génétique, les nanotechnologies etc. Et ça ne se discute pas. Ils ont de toute façon les moyens de leur imaginaire : la puissance économique et la force étatique, autoalimentées par leurs nouvelles technologies qui renforcent leur emprise, et ainsi de suite.

La technique n’est pas neutre, encore moins aujourd’hui, puisque la recherche technologique est orientée par les capitalistes et technocrates dont le but est de dégager des bénéfices et de réaliser leur monde artificiel idéal, ou par l’armée afin d’améliorer la puissance militaire et les capacités de surveillance. La domination se renforce par les nouvelles technologies ; l’Etat, surtout, loin de se fragiliser, trouve dans les nouvelles technologies une nouvelle puissance : pas seulement les moyens répressifs, mais aussi tous les moyens de gestion de la vie quotidienne. Celui ou celle qui a pointé à Pôle emploi a pu en faire l’expérience. Les technologies qui s’insinuent partout dans notre quotidien, c’est surtout l’instrument d’un monde transformé en machine de gestion du vivant. Nous voici réduits à du bétail, comme dirait l’autre. Davantage que sur des dispositifs et des moyens de contrôle, la domination s’exerce pour la plus large partie des populations grâce à l’abandon des aspirations à la liberté et la résignation. Il faut dire que ce monde ne laisse pas facilement entrevoir d’autres horizons possibles.

Par ailleurs, la technique exerce une influence sur le monde, et ses effets ne sont pas tous anticipés, et sont de toute façon impossibles à anticiper : par exemple, le téléphone portable a été conçu pour téléphoner de n’importe où, mais c’est aussi devenu un magnifique outil de traçabilité et de surveillance, ce qui n’était sans doute pas complètement anticipé. Cet appareil permet de géolocaliser son détenteur à travers une triangulation des bornes téléphoniques, procédé couramment utilisé par les flics pour savoir qui a participé à telle ou telle manif par exemple. Chaque appel localise l’abonné, et tout téléphone allumé permet de suivre les déplacements, y compris a posteriori. Un autre usage récent est celui de devenir un espace publicitaire. Son propre téléphone est envahi de pubs, avec l’envoi de SMS publicitaires à partir de bornes RFID installées dans le mobilier urbain.

La traçabilité est constante dans la vie quotidienne moderne : par l’usage du téléphone bien sûr, mais le péage autoroutier conserve les données de déplacement, la carte bancaire indique les achats et les déplacements, les cartes de transport tracent les déplacements, les badges électroniques renseignent sur l’heure d’entrée chez soi, au parking ou sur son lieu de travail, les puces RFID géolocalisent l’objet pucé, chaque usage d’internet laisse des traces etc. L’usage de la plupart des services est aujourd’hui conditionné à l’identification. Les données sont moins issues d’une surveillance secrète que des données qu’on livre plus ou moins volontairement, et à partir desquelles se construisent nos « profils » de consommateur, de citoyen ou de délinquant. L’existence est réduite à des comportements typiques et des profils qui permettent d’anticiper la gestion du cheptel humain. Certains métiers, comme chauffeur routier, commercial, livreurs ont été profondément transformés par l’apparition du GPS : le patron peut savoir quel chemin et en combien de temps vous avez fait le trajet, où et quand vous avez fait une pause etc. La traçabilité, c’est d’abord la rationalisation du temps pour augmenter la productivité et exploiter davantage : on appelle ça l’optimisation des comportements. Comprenez réduction de l’exercice de notre liberté et soumission accrue au monde de l’économie, bref, que ça pue grave.

Les systèmes techniques changent en profondeur le contrôle social, puisqu’ils lui donnent des capacités immenses. Par ailleurs, le contrôle social change de nature : la technique objective, gère, mais ne donne pas de sens au contrôle social. Pas de valeurs et de grands récits qui font sens, juste une gestion de plus en plus totale de la vie sociale. L’exercice de la domination à l’ère industrielle est d’abord administration de chacun de nos gestes. Tout n’est plus que rouage d’un vaste système de gestion : le paysan n’est qu’une fonction du système d’alimentation des masses, l’éducateur reproduit des citoyens conformes aux exigences de l’Etat et du capital, l’irradié comptabilise ses doses quotidiennes et rationnalise sa vie en fonction. L’intensité de la vie a cédé à la gestion des stocks de ressources, humaines ou autres. Mais l’administration, si elle est puissante et exerce une domination de tous les instants qui frappent particulièrement les rebelles, les migrants et les classes populaires n’épuise pas les possibilités de révolte. Elle ne rend que plus nécessaire les velléités révolutionnaires, de loin le plus sûr chemin pour espérer retrouver ce sentiment si puissant de liberté.

repris du site sous la cendre, site initié par l’assemblée libertaire de Caen