Retour sur le 3e Forum social mondial antinucléaire……

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Du 2 au 4 novembre 2017 s’est tenu à Paris le 3e FSM antinucléaire, faisant suite à celui de Tokyo en 2015 et de Montréal en 2016. Il s’est prolongé par une visite groupée à Bure (à la Maison de la Résistance et au Bois Lejuc), le dimanche 5.

Plus de 400 personnes y ont participé, dont une petite centaine venues de vingt autres pays: Allemagne, Autriche, Belgique, Biélorussie, Brésil, Canada, Espagne, États-Unis, Finlande, Grande-Bretagne, Inde, Japon, Mexique, Niger, Pays-Bas, Portugal, Russie, Suisse, Turquie, Ukraine. La plupart des organisateurs s’accordent, malgré quelques réserves, à le considérer comme un succès.

Un gros boulot d’organisation

La douzaine de membres du « comité de facilitation », qui (après délitement de « l’assemblée permanente » décidée en 2016) a assumé le gros travail d’organisation préalable pendant un an, provenait d’organisations et collectifs divers, miroir de l’état de fragmentation de la mouvance antinucléaire française. Ils ont vite choisi d’éviter les débats politiques de fond (entre les réseaux Sortir du nucléaire et Arrêt du nucléaire notamment) pour favoriser le travail commun. Fait remarquable, il y avait dans ce comité des membres de syndicats (SNU-FSU, Solidaires) et d’association (Attac) ayant commencé à s’interroger, voire à prendre position contre le nucléaire. Ce qui a un peu élargi l’audience militante du forum, et surtout permis, grâce à Solidaires, d’obtenir gratuitement les locaux de la Bourse du Travail, au cœur de Paris.

Le financement a été assuré exclusivement par les inscriptions, les cotisations des orgas participantes et les dons. Il a permis de payer un poste de travail technique pendant les derniers mois de préparation. L’hébergement a été assuré par les Parisiens, les questions d’intendance réglées avec l’aide complémentaire de quelques bénévoles. Un collectif d’interprètes, venu équipé de matériel, a assuré bénévolement, avec compétence et discrétion, la traduction simultanée des interventions dans les réunions plénières et certains ateliers.

Une soixantaine d’ateliers ayant été proposés par des groupes divers, il a fallu pousser les propositions portant sur des sujets similaires à fusionner, ce qui a obligé des groupes qui ne se connaissaient pas à partager le temps et l’espace, pas toujours avec bonheur. Les trente ateliers retenus ont souvent fonctionné, malgré les consignes, plus comme des conférences partagées que comme des débats avec simple exposé d’introduction, contraignant les discussions à se poursuivre dans les couloirs et dans la rue, faute d’espace prévu pour cela.

Parallèlement ou en introduction de certains ateliers ont été projetés plusieurs films, qui ont recueilli une bonne participation. Le samedi s’est clos par une soirée conviviale, malheureusement dans un lieu trop bruyant pour permettre les échanges informels.

Samedi midi, la troupe du Lacse (Laboratoire d’artistes créateurs sympathiques et engagés) a entraîné tout le monde dans une action théâtrale sur une place de la République à moitié vide, où seuls les tracts ont permis aux quelques passants qui n’étaient pas indifférents d’en comprendre un peu le sens.

Un programme chargé

Outre les trente ateliers programmés, trois séances plénières ont rassemblé les participants, où la dimension symbolique, voire spectaculaire, a souvent pris le pas à la tribune sur la dimension véritablement informative. La première, de présentation du forum, s’est ouverte sur une intervention vidéo de Naoto Kan, premier ministre japonais au moment de Fukushima, devenu depuis antinucléaire. La deuxième était consacrée aux témoignages de victimes du nucléaire (Tchernobyl, Fukushima, France) mais aussi de personnes luttant contre l’extraction d’uranium (Niger, Canada), la construction de nouvelles centrales (Inde, Turquie) et l’emprise du nucléaire sur des terres ancestrales (États-Unis, Canada). La plénière de clôture, ouverte sur des réflexions de Bertrand Méheust sur le rapport entre science, société et nucléaire, suivie par une première synthèse à chaud des débats en ateliers puis par l’annonce du prochain forum (à Madrid en 2019, organisé par le Movimiento Iberico Antinuclear), a été bouleversée par la montée à la tribune d’un groupe de femmes décidées à y rester debout, pour dénoncer sa composition entièrement masculine – fait incontestable – mais aussi le poids disproportionné des hommes dans la lutte antinucléaireaffirmation beaucoup plus contestable, ne serait-ce qu’au regard de la forte proportion de femmes présentes tant dans l’organisation du FSM que dans l’assemblée, les autres tribunes de plénière et les ateliers.

Pour quel bilan?

En quoi une rencontre mondiale antinucléaire conçue sur le modèle des forums sociaux mondiaux – une rencontre de trois jours rassemblant des acteurs multiples autour de moments de débat multiples mais brefs, où le travail spécifique de coordination des forces n’arrive à se faire qu’à la marge – peut-elle servir la cause antinucléaire ? Au regard de cette expérience, la réponse ne peut être que très mitigée.

Le FSM a-t-il permis de se faire entendre la cause antinucléaire auprès d’un large public ?

Bien que le FSM se veuille un événement médiatique et que celui-ci ait pris place au cœur de Paris, tous les grands médias l’ont ignoré, malgré deux conférences de presse de présentation. De la part des médias mainstream, rien d’étonnant vu l’emprise du lobby nucléaire sur ces médias, et le peu de courage civique de leurs journalistes. Les moyens de franchir cet obstacle auraient dû faire l’objet d’une réflexion spécifique, ce qui n’a été le cas ni lors de la préparation ni au cours du forum lui-même. On touche là à la faible disposition du milieu antinucléaire à s’attaquer à des problèmes plus larges touchant à l’organisation sociale dans son ensemble. Mais il faut aussi relever le peu d’intérêt manifesté par les milieux dits écologistes et la presse critique ou militante : malgré l’échec économique et technique de cette industrie et les risques immenses qu’elle fait peser sur toute la population, l’emprise du discours présentant le nucléaire comme un état de fait incontournable – ou en tout cas comme un mal mineur dans le contexte du changement climatique – semble malheureusement déborder largement les cercles du pouvoir.

A-t-il donné des éléments d’information, et de réflexion, à un milieu sensible mais peu informé? Pour ceux qui s’étaient donné la peine de venir participer, il y avait largement matière, que ce soit à travers les témoignages vivants de gens venus d’autres pays lors des plénières (non exemptes, il est vrai, d’une dimension de spectacle, plus lourde en termes financiers que riche en information) ou à travers les multiples ateliers, animés par des militants dans l’ensemble très au fait de leur sujet. Le fait que le nucléaire militaire ait trouvé toute sa place dans les ateliers, notamment grâce au traité international récemment signé et au prix Nobel qu’il a valu à ses promoteurs, est un point particulièrement positif, étant donné la séparation de fait entre antinucléaires luttant contre le nucléaire civil et ceux luttant contre les armes nucléaires.

La diffusion sur Internet, en bonne partie déjà effective (voir liste ci-dessous), de vidéos des trois plénières et de quelques ateliers ainsi que d’une vidéo de synthèse de vingt minutes peut être un bon relais du travail d’information accompli, voire pallier un peu le faible relais médiatique. On peut s’interroger toutefois sur le choix des ateliers ayant bénéficié du travail du vidéaste, donc de ce qui restera de mémoire filmique du FSM : les tendances défendant le principe d’un arrêt immédiat du nucléaire resteront invisibles sur le Web, à la différence de celles – dominantes encore aujourd’hui dans l’espace médiatique mais aussi chez les antinucléaires – partisanes d’une sortie progressive.

On pourra aussi regretter le peu de sollicitations à l’engagement militant entendues lors du forum. A croire que la lutte antinucléaire continue à être perçue par les militants eux-mêmes comme l’affaire de groupes spécialisés.

A-t-il fait avancer le débat sur les questions difficiles ou qui divisent ?

Les ateliers, censés être des lieux de débat, ont pour beaucoup pris l’allure de conférences d’experts avec la parole de la salle réduite à la portion congrue. Cette façon de faire, courante dans les milieux politiques dits de gauche, l’est encore plus dans un milieu où l’expertise et la contre-expertise d’accompagnement ont souvent supplanté la lutte politique et sociale contre les centrales. Dans d’autres cas, l’atelier a surtout servi à permettre à l’organisation promotrice d’exposer sa position. La discussion politique entre positions différentes en a été assez largement squeezée. Selon certains, les ateliers les plus intéressants furent ceux menés sans animateurs.

Arrêtons-nous, parmi les questions abordées en atelier, sur celles qui font débat dans le milieu militant antinucléaire.

– L’atelier sur « l’arrêt immédiat du nucléaire » était le fruit d’un compromis laborieux entre trois collectifs, d’accord simplement sur la nécessité absolue d’une telle décision. ADN Savoie a proposé une réflexion nouvelle sur le recours aux échanges européens d’électricité comme possibilité immédiate de compensation, et Décroissance Ile-deFrance a défendu le recours passager aux énergies fossiles. Mais le débat a très vite pris une tournure polémique, éliminant la part de réflexion socio-politique que voulait amener le Collectif contre l’ordre atomique.

– L’atelier sur « nucléaire et changements climatiques » a, semble-t-il, montré la dimension fortement idéologique qu’a prise la question climatique, certaines « grandes voix » déclarant qu' »il n’est pas question de revendiquer l’arrêt immédiat du nucléaire qui conduirait à augmenter les émissions de gaz à effet de serre », tout en démontrant que cette augmentation ne serait que de 2,7% du total de ces émissions…

– Dans l’atelier sur le démantèlement, où toutes les interventions à la tribune ont montré par un biais ou un autre l’énorme dimension d’un problème qui n’est ni techniquement maîtrisé ni financé, la question cruciale de savoir s’il ne faut pas revendiquer un démantèlement des réacteurs différé, voire leur non-démantèlement après retrait du combustible, a été à peine débattue en toute fin d’atelier.

– La question des méthodes de lutte a été abordée de biais dans divers ateliers, et plus ouvertement dans celui du samedi matin, mais la part faite aux élus verts, évidemment vertement mis en cause, y a parasité un débat qui s’amorçait à peine sur les questions cruciales qui se posent aux antinucléaires « de terrain »: quelles formes d’action directe sont encore praticables? Faut-il nécessairement en passer par l’action spectaculaire? Comment toucher largement une population qui fait l’autruche? Comment briser le mur du silence médiatique? Comment éviter la répression? Etc.

Peu de réponses, ou d’amorces de réponses, à ces questions cruciales auront donc été apportées lors de ce FSM, dont l’un des plus grands défauts est le chevauchement temporel des divers ateliers, qui empêche de bénéficier de l’ensemble de l’information utile et de mener la réflexion de façon suivie et partagée.

A-t-il permis de créer des liens entre groupes militants de divers pays afin de promouvoir les échanges et l’entraide ? Si, comme l’a affirmé Chico Whitacker, le patriarche des FSM, tel est l’objectif principal des FSM, celui-ci aura en partie rempli sa fonction. Sans doute au moins autant grâce aux contacts informels établis dans les couloirs qu’aux échanges permis par les ateliers. Mais ces contacts ne devront pas attendre le prochain FSM prévu en 2019 en Espagne pour se consolider, car, dans un contexte où la crise de l’industrie nucléaire ne cesse de s’approfondir en multipliant les facteurs de risque de catastrophe, la mise en commun des forces devient une nécessité urgente.

En conclusion

Malgré son ambition et le gros travail d’organisation fourni, ce Forum social mondial antinucléaire n’a pas réussi à créer l’événement et n’a que peu contribué à faire avancer le débat entre militants antinucléaires. Sans faire l’impasse sur les faiblesses propres au « mouvement » antinucléaire (1), il y a lieu de s’interroger sur l’utilité de ce style de rencontre pour faire avancer la réflexion sur la réalité des rapports de force et les moyens de faire avancer la lutte dans le cadre concret de chacune des nations nucléarisées. Tout au moins le FSM aura-t-il contribué à la prise de conscience du caractère international de la menace que le nucléaire fait peser sur l’humanité et de la nécessité de rassembler nos forces.

Gianni et Nicole (du Collectif contre l’ordre atomique)

(1) Un débat vient de s’ouvrir à ce sujet avec la publication sur le site de Reporterre d’un article de Gaspard d’Allens, coauteur de Bure, la bataille du nucléaire (« Le mouvement nucléaire est trop vieux, il doit se réinventer« ) et une réponse de Guillaume Blavette, administrateur suppléant du RSN, sur son blog de Mediapart (« Non, le mouvement antinucléaire n’est pas un spectre moribond »). Ce débat mérite bien d’autres contributions !

Pour en savoir plus, sur Internet

Présentation radiophonique du FSM dans l’émission « Vive la Sociale » (sur FPP) du 19 octobre 2017 : http://www.vivelasociale.org/les-emissions-recentes/91-fsm-antinucleaire

Textes et comptes rendus d’atelier peuvent être consultés sur le site international des FSM: http://nuclearfreeworld.net/fr/

Le site accompagnant la préparation du Forum (http://fsm-antinucleaire2017.nuclearfreeworld.net/) est censé être fermé fin 2017.

Les vidéos des plénières et de quelques ateliers sont disponibles sur Youtube, regroupées à l’adresse suivante: 

Le nucléaire dans le monde et les coûts du nucléaire : https://www.youtube.com/watch?v=unxEAcc01Yc

Ethos à Fukushima: stratégie de l’ignorance et mainmise du lobby nucléaire international : https://www.youtube.com/watch?v=6UxzVApMe-0

Les actions de désobéissance civile en Europe contre le nucléaire militaire :

https://www.youtube.com/watch?v=6yLZQZXgKek

Nucléaire et finance : le pouvoir des lobbies contre la démocratie :

https://www.youtube.com/watch?v=WLCs3AWnKo4

Vers un mouvement antinucléaire européen : https://www.youtube.com/watch?v=7iRSL3NmQZY

Les enjeux de la gestion de l’eau dans le nucléaire. Bassin fluvial, bassin de luttes ? : https://www.youtube.com/watch?v=hJPOTytGkNQ

Fukushima 2011-2017. Etat des lieux : la multiplication du cancer de la thyroïde chez les enfants : https://www.youtube.com/watch?v=f0Rey2UMW_g

Démantèlement des centrales nucléaires : https://www.youtube.com/watch?v=lCS9kSd9hFs

Santé et nucléaire : de l’invisibilité des travailleurs irradiés au mythe de la radioactivité quasi inoffensive : https://www.youtube.com/watch?v=zPKtr1gKjQc

Sortir du nucléaire : une chance pour les travailleurs et pour l’emploi ! :

https://www.youtube.com/watch?v=MkCHuXrJSdU


Merci Nicole, merci Gianni.

J’ai comme l’impression que les nucléaristes de tous les pays peuvent continuer à dormir sur leurs deux oreilles.

Les cobayes bienveillants, indifférents ou impuissants que nous sommes, si bien « pris en otages » comme on dit dans les médias dominants (« Le nucléaire ou la bougie ! », « Le nucléaire ou le réchauffement climatique ! »), feraient mieux, eux, de dormir moins profondément.

 

http://www.dailymotion.com/video/x70fzr

 

http://www.dailymotion.com/video/x70g6q

 

http://www.dailymotion.com/video/x70plg

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=R4GLAKEjU4w

 

Belle brochette de contre-experts bien installés dans le gâteau à la crème malgré le discours de plus en plus radical, on leur apprend ça maintenant dans les écoles de commerce ? Il vous reste du goudron et des plumes ? :

 

http://www.fukushima-blog.com/article-appel-international-hiroshima-tchernobyl-fukushima-des-crimes-contre-l-humanite-101458831.html

 

http://archivesautonomies.org/IMG/pdf/situs/encyclopediedesnuisances/edn-n08.pdf

 

https://www.youtube.com/watch?v=BWcTygNI-YE