Mort de Durruti : une hypothèse sensée

il y aura 80 ans, mourait Buenaventura Durruti. Après les versions du tireur franquiste dans une zone sans combat, de l’accident grotesque causé par Durruti lui-même, etc. les Gimenologues présentent une hypothèse sérieuse : l’assassinat.

Dans un livre touchant, le marginal révolté qui se croyait anarchiste en 1936, Antoine Gimenez, a raconté sa guerre d’Espagne au sein du Groupe international de la colonne Durruti, un Groupe formé avant les Brigades internationales par les Français Berthomieu, Ridel et Carpentier. Il l’a écrit en 1974-76 et, comme aucun éditeur n’en voulut, le manuscrit fut déposé au Centre international de recherches sur l’anarchisme de Marseille. C’est là que des « doux dingues embéguinés de Gimenez » décidèrent de le publier après avoir accompli un travail de recherche et d’identification des membres de ce Groupe de francs-tireurs appelés à cette époque hijos de la noche. Les éditions Libertalia viennent d’en faire un coffret (les Souvenirs + les Notes issues de la recherche + un CD) à un prix modique (22 €).

 

La guerre de l’italien Antoine Gimenez (son premier nom est Bruno Salvadori) sur le front d’Aragon n’a rien à voir avec la guerre industrielle de 14-18 telle que Maurice Genevoix la raconte avec brio dans Ceux de 14, puisqu’elle est tout en mobilité et en dénuement (les troupes républicaines et en particulier celles des anarchistes n’ont jamais eu les armes nécessaires, ni en quantité ni en qualité), et parce qu’elle s’insère dans le cadre révolutionnaire des combattants : là où Gimenez lutte, se joue aussi un changement d’organisation sociale, et le milicien y apporte sa modeste contribution. Mais parce qu’il a décidé d’écrire sa vie quotidienne, y compris ses aventures sexuelles, parce que son récit n’est pas un chapelet de considérations politiques, de discours théoriques, Gimenez intéresse tout lecteur qui se penche sur son ouvrage, comme l’ont fait les Gimenologues.

 

Cette publication atypique retint notre attention en tant que témoignage personnel et historiquement validé au coeur de la colonne Durruti : Gimenez allait donc compléter nos connaissances sur l’illustre combattant anarchiste. Nous n’avons été déçu ni sur le récit, ni sur le minutieux travail de recherche.

 

 

Ici, nous retenons simplement un point capital. Dans le livre remarquable de Hans Magnus Enzensberger publié en 1972 et titré Le bref été de l’anarchie, qui fit l’objet ici-même d’une note,

http://www.alexandreanizy.com/article-la-vie-de-durruti-recomposee-par-hans-magnus-enzensberger-87572642.html

si les différentes hypothèses relatives à la mort de Durruti le 20 novembre 1936 sont bien présentées et discutées, nous n’étions pas convaincus par celle que privilégiait l’auteur : la mort accidentelle.

 

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Aujourd’hui, en lisant le travail d’investigation des Gimenologues sur ce sujet (nous ne reprendrons pas ici : les témoignages recoupés, l’observation balistique, la description de la veste que portait Durruti, etc.), nous pensons que l’hypothèse communiste qu’ils présentent est la plus probable. Nous vous la donnons sommairement ci-dessous.

 

            « Les pistes les plus sérieuses semblent donc mener à Manzana [NdAA : l’homme de confiance de Durruti, à ses côtés au moment fatidique]. Mais les questions surgissent alors : pourquoi aurait-il agi ainsi, et pour le compte de qui ? (…) Garcia Oliver, dans ses Mémoires, affirme que Largo Caballero accepta, au cours d’une réunion du Conseil supérieur de guerre tenue le 14 novembre, et sur sa proposition, de nommer Durruti à la tête de la Junte de défense de Madrid en remplacement de Miaja (avec pour condition, imposée par Caballero, de garder cette décision secrète pendant 8 jours). Si l’on accepte de croire Garcia Oliver sur ce point (…), on peut se demander si cet accord n’aurait pas fonctionné comme un piège mortel pour Durruti : Miaja, qui était assez fier de sa position et se prenait un peu pour le sauveur de l’Espagne (c’était la raison pour laquelle Caballero voulait le destituer et lui cherchait un remplaçant), n’allait certainement pas se laisser débarquer facilement. On pouvait donc ainsi lui laisser l’initiative, c’est à dire en l’occurrence décider quand et comment se débarrasser de Durruti. Pourquoi ne pas penser alors que Manzana aurait pu obéir à ses supérieurs, le général Miaja et le lieutenant-colonel Rojo, en bon soldat qu’il était (il faut savoir qu’il avait combattu dans le Rif, qu’il avait été plusieurs fois médaillé et que tous ses états de service dans l’armée étaient élogieux [NdAA : Manzana n’a rien du profil anarchiste] ) ? On a déjà émis l’hypothèse qu’il avait obéi à ses supérieurs militaires franquistes, mais a-t-on pensé qu’il a pu obéir à ses supérieurs du camp loyaliste ? Cette hypothèse devrait alors être comprise comme une variante de la piste communiste, qui eut toutes les faveurs auprès des miliciens, puisque aussi bien il était clair à ce moment que Miaja et Rojo étaient en grande partie contrôlés par les communistes et les agents soviétiques, qui profiteront bientôt à outrance de cet ascendant pour placer leurs hommes aux postes clés de l’armée en voie de reconstruction. Si l’on ajoute à cela le fait que Miaja et Rojo étaient membres, avant le 19 juillet 1936, de l’UME (Unión Militar Española) – une organisation secrète au sein de l’armée dont le but était de « dresser le moment venu une barrière capable de sauver l’Espagne du joug communiste » -, et que les communistes le savaient, ce qui constituait pour eux un excellent moyen de pression, on comprend à quel point il était vital pour eux de ne pas laisser entrer le loup Durruti dans la bergerie républicaine. » (dans p.571 à 573)

Monté par le NKVD, ce coup serait suffisamment tordu pour être plausible.

 

Plongez dans le récit d’Antoine Gimenez dans la colonne Durruti, picorez dans les notes biographiques et autres rédigées par les Gimenologues : ce sera une découverte.

médiapart