Archives mensuelles : mai 2016

Bruxelles : nuit couchée pour le commissaire Vandersmissen [mis à jour]

Brèves du Désordre

[Mardi 24 mai en Belgique, la manifestation nationale à l’appel des trois syndicats contre les plans du gouvernement fédéral a été un succès. Entre 60 000 et 80 000 manifestants étaient au rendez-vous à Bruxelles.
L’appel à la manifestation répond à l’annonce du ministre fédéral de l’Emploi qui veut rendre possibles, avec des accords individuels entre travailleurs et patrons, des semaines de travail de 45 heures, en maintenant formellement la semaine de 38 heures en « moyenne annuelle », donc sans devoir payer de majoration pour des heures supplémentaires.]

Manifestation à Bruxelles : des dizaines de casseurs sèment la pagaille

Belga, mardi 24 mai 2016 à 18h09

La police a procédé à 21 arrestations administratives et deux arrestations judiciaires à la suite des émeutes en fin de manifestation mardi, indique la zone de police de Bruxelles-Capitale Ixelles.

Quatre manifestants et le commissaire Pierre Vandersmissen ont été blessés et transportés à l’hôpital. La manifestation s’est déroulée de manière bruyante mais dans le calme. Après l’arrivée du cortège gare du Midi, à 13h30, des affrontements ont eu lieu entre une dizaine de provocateurs, dont certains étaient masqués, et les forces de l’ordre. Des objets ont notamment été lancés vers la police.

Quatre manifestants ont été blessés ainsi que le commissaire Pierre Vandersmissen, qui a reçu un projectile sur la tête. Ils ont été transportés à l’hôpital, où le commissaire devra rester une nuit.

La Croix-Rouge a également pris en charge 16 personnes et trois agents de police.

Au total, 23 arrestations ont eu lieu, dont 21 administratives et deux judiciaires. Selon la police, il s’agit principalement de jeunes non syndicalistes.

Des dégâts ont été constatés au bâtiment du SPF Finances.

La FGTB condamne les violences

« La FGTB condamne (les) personnes qui profitent de chacune de nos manifestations pour nuire non seulement aux objectifs de nos actions mais aussi et surtout aux personnes », réagit mardi après-midi le syndicat socialiste. « Nous espérons que la justice pourra rapidement identifier la dizaine d’individus masqués qui a infiltré la manifestation et causé ces blessures« , note encore la FGTB dans un communiqué.


L’agresseur présumé du commissaire Vandersmissen s’est rendu à la police

Le Soir, 25/05/16 21:14

Le policier a été mis K-O par un manifestant lors de la manifestation nationale ce mardi 24 mai.

Un foulard rouge noué autour du cou et un t-shirt visiblement siglé FGTB. La police fédérale a diffusé la photo de l’agresseur présumé du commissaire Vandersmissen, mis K-O lors de la manifestation nationale de ce mardi à Bruxelles. Après s’être reconnu sur le cliché, l’homme s’est rendu à la police locale de Bruxelles ce mercredi en début de soirée. Il sera entendu en tant que suspect, a indiqué le parquet de Bruxelles qui ne fera pas d’autre commentaire avant un point presse, ce jeudi

Un printemps en France ? Projet de loi-Travail et Nuit debout

lu et relu sur temps critique

Le projet de loi El Khomri

1 Il s’agit ici, avant tout, comme dans le projet précédent de 2013 sur l’Accord natio­nal inter­pro­fes­sion­nel (ANI1), de parer au plus pressé afin de s’ali­gner sur les critères de compétiti­vité des autres pays européens (les fameu­ses réformes de struc­ture demandées par Bruxelles) qui ont tous mis en place des mesu­res de flexi­bi­lité de la force de tra­vail avec plus ou moins de sécuri­sa­tion des par­cours pro­fes­sion­nels.

2 À l’ori­gine, le modèle sem­blait être le Danemark, mais depuis quel­que temps les réformes Schröder en Allemagne avec les trois plans Hartz sem­blent ins­pi­rer les auto­rités françaises. Pourtant, les résul­tats de ces plans sont aujourd’hui connus : baisse du chômage en Allemagne, mais dévelop­pe­ment des petits bou­lots et des tra­vailleurs pau­vres ; insécurité sociale et baisse du pou­voir d’achat ren­forcées en Espagne et Italie (cf. le Jobs Act de Matteo Renzi) sans baisse signi­fi­ca­tive du chômage. Beaucoup d’écono­mis­tes dou­tent d’ailleurs de la moin­dre corrélation entre flexi­bi­lité volon­ta­riste et générale de la force de tra­vail d’un côté et reprise des embau­ches de l’autre. Sans parler du fait que cet appau­vris­se­ment d’une partie de la force de tra­vail pèse tel­le­ment sur la demande que par­tout, y com­pris dans les pays les plus libéraux comme la Grande-Bretagne, on se met à fixer ou reva­lo­ri­ser les équi­va­lents du SMIC français2.

3 Dans tous les cas cela semble être la qua­dra­ture du cercle. En effet, les diri­geants du MEDEF représen­tent de fait les intérêts des gros­ses entre­pri­ses. Ces dernières sont jus­te­ment celles qui restruc­tu­rent, déloca­li­sent, privilégient les inves­tis­se­ments de pro­duc­ti­vité parce qu’elles sont les plus exposées à la concur­rence inter­na­tio­nale ce sont donc aussi celles qui licen­cient et embau­chent pro­por­tion­nel­le­ment le moins ! Or, ce sont leurs sou­haits qui sont écoutés en prio­rité, alors que ceux des PME, qui cons­ti­tuent les plus gros employeurs et offrent poten­tiel­le­ment les meilleu­res pers­pec­ti­ves de nou­veaux emplois, sont négligés. On vient encore d’en avoir un exem­ple avec un amen­de­ment au projet de loi El Khomri qui va aller un peu plus dans la direc­tion de ce que veu­lent ces PME tel­le­ment le projet ini­tial était mal ficelé sur ce point comme sur d’autres. Facteur aggra­vant, il n’en émanait pas une vision glo­bale. Il en est de même sur les sta­tuts : les grands grou­pes ont besoin de plus de flexi­bi­lité « struc­tu­relle », parce qu’en interne ils ont beau­coup de CDI et cher­chent à conser­ver et fidéliser de la « res­source humaine », alors que la flexi­bi­lité « natu­relle » que dévelop­pent les PME à tra­vers le recours à de nom­breux CDD trouve ses limi­tes dans le fait qu’elles pei­nent par­fois à recru­ter dans cer­tains sec­teurs à cause de cette récur­rence de contrats courts utilisés par faci­lité, ainsi que de salai­res plus bas que la moyenne, d’une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle interne insuf­fi­sante et de condi­tions de tra­vail médio­cres ou mau­vai­ses.

Les débuts du mouvement

4 Le mou­ve­ment contre l’avant-projet de loi El Khomri s’est développé à partir de plu­sieurs pôles ; d’abord celui autour de Caroline de Haas et de sa pétition pour le retrait du projet. Une ini­tia­tive qui se vou­lait « à la base », mais qui ne l’était pas de fait puisqu’on retrou­vait, parmi les ini­tia­teurs, d’anciens diri­geants de l’UNEF. Elle a été très vite relayée d’un côté, par les syn­di­cats dits « de contes­ta­tion » comme la CGT, SUD, la FSU, l’UNEF et par FO, ce der­nier se présen­tant désor­mais en cham­pion du Non à tous les pro­jets, en défen­seur du statu quo ; et de l’autre par les lycéens et les étudiants de cer­tai­nes uni­ver­sités (Nanterre, Saint-Denis3, Tolbiac pour ce qui est de Paris) dans les­quel­les l’admi­nis­tra­tion a laissé faire ou même encou­ragé indi­rec­te­ment le mou­ve­ment en arrêtant les cours et sus­pen­dant les exa­mens. Mais, malgré quel­ques blo­ca­ges les cours ont continué à se dérouler. C’est le signe que le mou­ve­ment, à l’ori­gine, est très mino­ri­taire et se retrouve devant des dilem­mes inso­lu­bles. En effet, si les étudiants font une AG avant de blo­quer ils n’arri­vent pas à avoir la majo­rité dans l’AG et donc ils ne blo­quent rien. La démocra­tie des AG joue contre les mou­ve­ments du moins au début. Par contre, si les étudiants com­men­cent par le blo­cage, ils peu­vent avoir la majo­rité à l’AG puis­que les plus tena­ces et/ou poli­tisés sont présents à l’AG et là les oppo­si­tions sont moin­dres et ils arri­vent à faire voter le blo­cage pour le jour sui­vant, mais c’est une cari­ca­ture de démocra­tie à laquelle pour­tant ils disent tenir tant.

5  Le mou­ve­ment des places naît ensuite d’une volonté d’assu­rer une conti­nuité de la lutte entre les temps forts dictés de fait par les orga­ni­sa­tions syn­di­ca­les (pas grand-chose de nou­veau sous le soleil plombé… de la société capi­ta­lisée). Des grou­pes autour du bar « Le lieu dit », du jour­nal Fakir et de son direc­teur y par­ti­ci­pent. Ils ont diffusé peu avant leur film Merci patron qui connaît un cer­tain succès com­mer­cial et orga­nisé une réunion à la Bourse du tra­vail de Paris le 23 février, sous le titre : « Leur faire peur ». Ils sont aussi à l’ori­gine de la première Nuit debout, place de la Républi­que à Paris le 31 mars à la suite d’une mani­fes­ta­tion où ils enton­nent un « Je ne rentre pas chez moi ». De son côté Frédéric Lordon a écrit un arti­cle dans Le Monde Diplomatique de mars 2016 (« Le feu aux foules ») qui présente favo­ra­ble­ment le film Merci patron.

Plusieurs remarques sur le démarrage de la lutte

6 Le rejet du projet de loi est global chez les lycéens et étudiants mobi­lisés, mais contrai­re­ment à 1994 (projet de contrat d’inser­tion pro­fes­sion­nelle ou CIP) et 2006 (loi sur le contrat pre­mier emploi ou CPE adoptée par le Parlement le 20 mars 2006 puis non appliqué ensuite) ou les pro­jets les visaient direc­te­ment en orga­ni­sant clai­re­ment une différen­cia­tion et fina­le­ment une dis­cri­mi­na­tion dans le cadre de contrats-jeunes et où le mou­ve­ment contre était extrêmement massif avec occu­pa­tions et blo­cage des lieux, c’est aujourd’hui une mino­rité qui mani­feste, même si elle est très déterminée4, contre un projet qui ne vise pas les jeunes en prio­rité. En effet, les cours conti­nuent pres­que par­tout et les par­tiels d’exa­mens se pas­sent sans boy­cott. Il est vrai que la police est présente aux abords des établis­se­ments, mais c’est plus vrai pour empêcher les blo­ca­ges lycéens que pour les uni­ver­sités où l’ambiance est d’ailleurs, sauf excep­tion, assez molle.

7 Le projet est vu comme déjà ficelé, comme s’il était déjà à l’état de loi, comme si on avait affaire encore à un projet type CIP ou une loi comme le CPE où il suf­fi­sait de dire Non. C’est un pre­mier accroc dans le mou­ve­ment de conver­gence qui s’est amorcé avec les syn­di­cats car eux savent bien qu’il n’en est rien et que ce projet est amené à être négocié avec les orga­ni­sa­tions syn­di­ca­les, puis discuté et éven­tuel­le­ment amendé au Parlement. Les syn­di­cats perçoivent donc immédia­te­ment l’intérêt d’une conver­gence des ini­tia­ti­ves entre un mou­ve­ment de la jeu­nesse sco­la­risée et un appel à la mobi­li­sa­tion des salariés, mais pas sur la base du retrait pur et simple. Ils la voient comme un élément qui peut faire bas­cu­ler en leur faveur un rap­port de force a priori défavo­ra­ble aux salariés. Il n’y a pas vrai­ment mani­pu­la­tion, mais c’est quand même un jeu de dupes. Cette conver­gence se concrétise lors de deux mani­fes­ta­tions de type tra­di­tion­nel en mars et avril sans que la grève prenne corps dans les entre­pri­ses. Après une première mani­fes­ta­tion un jeudi, le choix des jours de mani­fes­ta­tion est ensuite soi­gneu­se­ment étudié (le mer­credi et le samedi) de façon à brouiller la visi­bi­lité du rap­port de force puisqu’il s’avère que la grève n’a pas pris, hormis dans les bas­tions syn­di­caux que demeu­rent la fonc­tion publi­que et les salariés ter­ri­to­riaux, a priori d’ailleurs les moins concernés par le projet de loi.

8 À côté de la mobi­li­sa­tion tra­di­tion­nelle des syn­di­cats, l’inter­net et plus générale­ment les NTIC et les réseaux sociaux cons­ti­tuent le moyen essen­tiel de la mobi­li­sa­tion, mais il n’empêche que cela se trouve amplifié par la caisse de résonance que lui pro­cu­rent les médias tra­di­tion­nels. En effet, si ceux-ci sont très partagés sur la loi El Khomri, comme le sont d’ailleurs les écono­mis­tes et socio­lo­gues qu’ils ont invités à pro­po­ser leur point de vue res­pec­tifs ; s’ils sont aussi, en général peu favo­ra­bles aux posi­tions jugées cor­po­ra­tis­tes et quasi rétro­gra­des de la CGT et de FO, ils sont par contre plus ouverts à tout ce qui vient de la jeu­nesse et par­ti­culièrement à ce qui, pro­gres­si­ve­ment, va pren­dre le dessus dans la visi­bi­lité de la lutte, à savoir le « mou­ve­ment des places ».

9 Ce projet, s’il est abon­dam­ment discuté dans les médias comme on vient de le dire, l’est peu dans le mou­ve­ment pro­pre­ment dit. Il est perçu, en bloc, comme une atta­que directe et glo­bale contre les pro­tec­tions du sala­riat. Le mou­ve­ment et les mili­tants poli­ti­ques le font ren­trer sans plus de ques­tion dans le cadre et l’objec­tif d’un « plan du capi­tal », ce qui revient à lui donner une ligne stratégique (celle du « néolibéralisme ») qu’il est loin de posséder comme nous l’avons dit dans notre première partie, parce qu’il cher­che avant tout et de façon prag­ma­ti­que, à faire bais­ser le chômage et en tirer des gains élec­to­raux pour les échéances de 2017. Ce n’est que dans un second temps qu’inter­vient une vision plus large, d’obédience néo-libérale, d’une préférence pour une poli­ti­que de l’offre plutôt que de la demande qui fait croire que la reprise de l’embau­che et donc la baisse du chômage passe non seu­le­ment par des mesu­res inter­ven­tion­nis­tes de l’État en faveur des jeunes, mais aussi par des condi­tions plus favo­ra­bles aux entre­pri­ses et donc par plus de flexi­bi­lité. Autant dire une pure vue de l’esprit tant que le taux de crois­sance du PIB ne reprend pas un cer­tain essor, au moins autour de 2 ou 3 % l’an, plan­cher à partir duquel les anti­ci­pa­tions des entre­pri­ses devien­nent plus opti­mis­tes et où les inves­tis­se­ments peu­vent être créateurs d’emplois dans la mesure où ils ne sont plus sim­ple­ment de pro­duc­ti­vité, mais aussi de capa­cité.

Un oublié de « l’histoire » : le rapport Badinter pour un nouveau code du travail

10 Là où affleure une vision plus stratégique, ce n’est ni dans le projet El Khomri ni dans sa contes­ta­tion syn­di­cale et bureau­cra­ti­que, ni même dans le mou­ve­ment en général, nous y revien­drons, mais dans le projet de réforme du Code de tra­vail par la com­mis­sion présidée par Robert Badinter. Un projet très peu discuté en vérité et que la plus grande actua­lité du projet El Khomri semble avoir masqué.

11 Que nous dit ce rap­port ? Qu’il faut pren­dre acte du fait que le tra­vail est en voie de dis­pa­ri­tion : le tra­vail au sens qui lui a été donné dans le cadre du dévelop­pe­ment du sala­riat de la première à la seconde révolu­tion indus­trielle et qui a été pro­gres­si­ve­ment ins­ti­tu­tion­na­lisé dans un cadre précis don­nant lieu à un code du tra­vail régis­sant ce que Michel Aglietta et Anton Brender5 ont appelé la « société sala­riale ». Les sta­tuts anciens qui protégeaient les salariés (comme le CDI) et le droit au tra­vail ins­crit dans la cons­ti­tu­tion de 1946 mar­quaient cette cen­tra­lité du tra­vail salarié dans la norme for­diste du com­pro­mis de clas­ses. C’est ce qui ne tient plus quand le tra­vail vivant n’est plus au centre de la valo­ri­sa­tion, n’est plus qu’un élément de l’ensem­ble, quand le pro­ces­sus de sub­sti­tu­tion capi­tal/tra­vail s’accélère avec l’intégra­tion de la tech­nos­cience dans le procès de pro­duc­tion, etc.

12 Cette évanes­cence de la valeur ; qui donne la fausse impres­sion à beau­coup d’une déconnexion entre écono­mie réelle et écono­mie vir­tuelle ou/et financière, induit parallèlement une évanes­cence du tra­vail dont la nature et son rap­port à la conjonc­ture devien­nent de plus en plus flous. Si le droit du tra­vail ne s’adapte pas immédia­te­ment à ces nou­vel­les situa­tions (quel est le statut à donner aux sta­giai­res et per­son­nes en for­ma­tion par exem­ple), l’appa­reil sta­tis­ti­que en tient compte plus rapi­de­ment comme le montre la modi­fi­ca­tion de la défini­tion de la « popu­la­tion active » par l’Institut natio­nal de la sta­tis­ti­que et des études écono­mi­ques (INSEE).

13 En effet, dans la première nomen­cla­ture de 1952, confirmée en 1982, la popu­la­tion active com­prend les chômeurs dans la mesure où l’hypothèse de départ étant le plein emploi des Trente glo­rieu­ses et du droit au tra­vail, le chômage est défini comme « fric­tion­nel », c’est-à-dire comme absence conjonc­tu­relle de tra­vail dans une période d’ajus­te­ment tem­po­raire. Le chômage n’est donc qu’une parenthèse entre deux périodes de tra­vail et en conséquence le chômeur est un actif avec des allo­ca­tions cor­res­pon­dan­tes qui ne posent pas de problèmes d’apprécia­tion sub­jec­tive sur la réalité indi­vi­duelle du chômeur. Ce der­nier n’est pas jugé res­pon­sa­ble de sa situa­tion. Il n’est pas stig­ma­tisé.

14 C’est ce qui change à partir du moment où la situa­tion du marché du tra­vail n’est plus représen­ta­ble en zone de tra­vail et zone de non-tra­vail mais connaît de plus en plus de zones grises entre ces deux situa­tions (temps par­tiels choi­sis, temps par­tiels subis, tra­vail inter­mit­tent, stages de for­ma­tion, stages de reconver­sion, chômage de longue durée).

15 L’INSEE va alors reclas­si­fier les chômeurs en fonc­tion de cette nou­velle situa­tion. Dévelop­pe­ment des CDD et de l’intérim aidant, le chômage est devenu plus massif, de plus longue durée et, pour une pro­por­tion non négli­gea­ble de chômeurs, le temps de tra­vail devient une parenthèse entre deux périodes de non-tra­vail. Trois chan­ge­ments d’impor­tance décou­lent de cette nou­velle clas­si­fi­ca­tion :

– le chômeur ne va plus être classé auto­ma­ti­que­ment dans les actifs ou, plus exac­te­ment, on va main­te­nant dis­tin­guer à l’intérieur des actifs la popu­la­tion réelle­ment active, c’est-à-dire ceux qui tra­vaillent effec­ti­ve­ment au temps « t » de ceux qui ne tra­vaillent pas à ce moment-là ;

– le chômeur devient une per­sonne à part qu’on rend peu ou prou res­pon­sa­ble de sa situa­tion parce qu’elle per­dure et qu’on émet (les ins­ti­tu­tions, l’opi­nion publi­que, d’autres tra­vailleurs aussi) des doutes sur la réalité de sa recher­che de tra­vail. On tend donc à le rendre res­pon­sa­ble per­son­nel­le­ment de sa situa­tion alors qu’aupa­ra­vant le capi­ta­lisme, le « système » et la crise étaient invoqués pour expli­quer le phénomène du chômage. Dans ce contexte culpa­bi­li­sant, réaffir­mer le tra­vail comme une « valeur » et refu­ser le revenu garanti comme de l’assis­ta­nat (Jospin en 1998 devant les luttes des chômeurs) n’est plus une posi­tion bien tena­ble long­temps, car elle inter­vient à un moment où s’inten­si­fie encore davan­tage l’ines­sen­tia­li­sa­tion de la force de tra­vail dans le procès de valo­ri­sa­tion, pro­ces­sus qui met en crise la théorie de la valeur-tra­vail et le tra­vail comme valeur ;

– le chômeur étant jugé res­pon­sa­ble de sa situa­tion, il doit en payer les conséquen­ces aussi bien du point de vue de la dégres­si­vité de ses allo­ca­tions que de ce qu’on peut lui deman­der en échange de ces allo­ca­tions. Il doit répondre à des convo­ca­tions en bonne et due forme à Pôle-Emploi, convo­ca­tions qui revêtent un caractère de contrôle puisqu’il n’y est sou­vent rien proposé, le marché de l’emploi pas­sant de moins en moins par cet intermédiaire ; et quand un emploi est proposé, il y a de moins en moins de pos­si­bi­lités de le refu­ser même s’il ne cor­res­pond pas à votre qua­li­fi­ca­tion ou à votre lieu d’habi­ta­tion.

16 C’est de tout cela que tient compte le rap­port Badinter. Donc, si le sala­riat se trans­forme, si le salarié n’est plus vrai­ment un « tra­vailleur » le droit du tra­vail doit non seu­le­ment évoluer, mais cesser d’être stric­te­ment un droit du tra­vail pour deve­nir un droit du citoyen au tra­vail, un droit de la per­sonne qui a une fonc­tion dans la société. C’est aussi ce que pense plus ou moins la CFDT qui est la seule cen­trale syn­di­cale à assu­mer l’idée d’une crise du tra­vail (mais dans une pers­pec­tive réfor­miste) et non pas seu­le­ment d’un problème d’emploi. Cela définit un nou­veau code, non pas du tra­vail, mais de l’indi­vidu en situa­tion d’acti­vité, celle-ci s’éten­dant sur toute la vie active. C’est un peu le modèle du statut des inter­mit­tents du spec­ta­cle qui semble ici être évoqué. Mais l’étendre à tous serait forcément reve­nir sur des acquis des luttes de clas­ses qui concer­nent par­ti­culièrement les salariés les plus protégés et où la syn­di­ca­li­sa­tion est la plus forte. La plu­part des syn­di­cats refu­sent donc d’échan­ger le salaire contre le revenu esti­mant que c’est lâcher la proie pour l’ombre. Ils étaient pour l’abo­li­tion du sala­riat il y a un siècle dans le cadre d’une pers­pec­tive révolu­tion­naire, ils sont main­te­nant pour un sala­riat aménagé, dans le cadre d’une pers­pec­tive qui ne cher­che qu’à main­te­nir la cen­tra­lité du tra­vail dans le rap­port social capi­ta­liste. C’est ce qui expli­que leur posi­tion actuelle sur le salaire comme juste rétri­bu­tion du tra­vail et leur défiance par rap­port à tout rem­pla­ce­ment par un revenu garanti en fonc­tion d’une acti­vité vague­ment définie. Finalement, un syn­di­cat comme la CGT se conten­te­rait d’une sécuri­sa­tion négociée des par­cours pro­fes­sion­nels.

17 Là encore, on peut se rendre compte de notre défaite et en revan­che de l’effec­ti­vité par contre de ce que nous avons appelé « la révolu­tion du capi­tal ». Notre cri­ti­que du tra­vail énoncée en référence aux théories cri­ti­ques des années 1960-70 dans le contexte des luttes d’OS dans de nom­breux pays a main­te­nant été rem­placée — évidem­ment pas dans le même cadre et les mêmes pers­pec­ti­ves — par celle du capi­tal dont l’utopie est tou­jours celle de se passer du tra­vail (au sens ancien, pro­duc­tif, qua­lifié) mais dans le cadre du main­tien et même de l’exten­sion de l’emploi sous forme de jobs et bou­lots.

18 « Sous le tra­vail, l’acti­vité », c’est ce que sem­blent nous dire aujourd’hui de nom­breux experts du capi­tal, répétant sans s’en rendre compte ce que disaient de nom­breux contes­ta­tai­res du capi­ta­lisme dans la période précédente. Tous les dis­cours sur l’auto-entre­pre­neu­riat, l’écono­mie soli­daire, l’acti­vité col­la­bo­ra­tive, les livres de Dominique Méda et de Jérémy Rifkin, etc. conver­gent vers cette même pers­pec­tive de l’utilité sociale se sub­sti­tuant à l’utilité pour le capi­tal.

19 Quelles que soient leurs pers­pec­ti­ves res­pec­ti­ves, ces auteurs et ces acti­vis­tes sont sortis de l’idéologie du tra­vail pro­duc­tif et aussi de la vision marxiste, que cer­tains n’ont d’ailleurs jamais eue, de l’armée indus­trielle de réserve prête à servir en cas de besoin. Ils cher­chent à lutter contre la démobi­li­sa­tion sociale qui résul­te­rait du pas­sage d’une mise en jachère de la force du tra­vail à son évic­tion poten­tielle, mais déjà en partie réelle6. Mais leur prise en compte de la crise du tra­vail a sou­vent ten­dance à ne lui oppo­ser qu’une mytho­lo­gie de l’acti­vité par rap­port à ce qu’ils appel­lent une démobi­li­sa­tion (il serait plus juste de parler de désœuvre­ment) qui n’ouvri­rait que sur la pas­si­vité sociale et que l’opi­nion publi­que ne voit que comme un signe d’époque de la paresse ambiante.

20  

21 Pour résumer, le rap­port entre com­mis­sion Badinter et projet El Khomri peut être com­pris comme suit : stratégique et à long terme pour le pre­mier, mais un peu à la manière d’un think tank, en dehors des cli­va­ges poli­ti­ciens ; tac­ti­que et à court terme pour le second dans la mesure où il s’agit de gérer quo­ti­dien­ne­ment et sur le ter­rain les rap­ports sociaux de pro­duc­tion. Il n’y a d’ailleurs pas d’incom­pa­ti­bi­lité entre les deux comme le mon­trent les mesu­res concer­nant le tra­vail ubérisé dans le projet El Khomri (cf. Le Monde du 26 avril) où un droit de grève et une acti­vité syn­di­cale sont reconnus pour ce type de tra­vailleurs indépen­dants7. Ils auraient ainsi la pos­si­bi­lité de refu­ser conjonc­tu­rel­le­ment leurs ser­vi­ces en vue de défendre des reven­di­ca­tions pro­fes­sion­nel­les sans être accusés de rup­ture contrac­tuelle. Il s’agit donc bien là aussi de se pro­je­ter vers un avenir du tra­vail non forcément salarié au sens clas­si­que, mais dans le souci du trai­te­ment immédiat du problème crée par une situa­tion nou­velle qui ne doit pas rester hors loi.

22 Pour les oppo­sants au projet, la dif­fi­culté pro­vient du fait que nous ne sommes plus dans la société bour­geoise où il suf­fi­sait de dénoncer la classe domi­nante ou telle ou telle de ses frac­tions. Dans la société du capi­tal, la domi­na­tion et le pou­voir s’arti­cu­lent différem­ment8. Dit autre­ment, le rap­port Badinter serait plus de l’ordre de la repro­duc­tion du rap­port social capi­ta­liste dans sa glo­ba­lité, alors que la loi El Khomri serait plus au niveau de la ges­tion du rap­port social capi­tal/tra­vail dans l’ordre de la pro­duc­tion.

Le mouvement des places

23 On peut s’accor­der pour dire que le mou­ve­ment des places ne se s’ins­crit pas direc­te­ment dans le fil rouge des luttes de clas­ses. Les ouvriers et employés et même les salariés en acti­vité y sont d’ailleurs en mino­rité. Comme y sont en mino­rité les habi­tants des ban­lieues, qui vien­nent certes en ville, mais pour y consom­mer ou y flâner, à la limite pour y battre le pavé au cours d’une mani­fes­ta­tion offi­cielle où ils savent ne pas être en mino­rité, mais beau­coup plus rare­ment pour y « mili­ter » en tant qu’indi­vi­dus.

24 Ce mou­ve­ment cher­che quand même à se trou­ver une filia­tion his­to­ri­que qui est tout d’abord celle des Indignados et de son mou­ve­ment des places dans plu­sieurs villes d’Espagne, acces­soi­re­ment celle des Occupy Wall Street et aussi celle des prin­temps arabes (place Tahrir au Caire), de la révolte de la jeu­nesse turque (place Taksim et parc Gezi à Istanbul). On peut y voir une recher­che de ter­ri­to­ria­li­sa­tion ou de reter­ri­to­ria­li­sa­tion dans une société capi­ta­lisée de fait pro­fondément déter­ri­to­ria­lisée. Cette déter­ri­to­ria­li­sa­tion que la jeu­nesse res­sent par­ti­culièrement dans la mesure où ce pro­ces­sus qui touche tout le monde et à tout âge vient se conju­guer avec une détem­po­ra­lité spécifi­que (les étudiants pour­sui­vent des études qui durent car elles sont de plus en plus entre­coupées de période de tra­vail tem­po­raire et précaire, ils sont de moins en moins étudiants à temps com­plet, ils res­tent à nou­veau plus long­temps chez leurs parents, etc.).

25 Le moins qu’on puisse dire c’est que la for­mule du général de Gaulle en 1968 à l’adresse des Français : « Il faut que les tra­vailleurs tra­vaillent, il faut que les étudiants étudient… ») tom­be­rait aujourd’hui complètement à plat, pour les uns et les autres.

26 Ce mou­ve­ment cher­che aussi sa référence dans une filia­tion avec la révolu­tion française et à ses pra­ti­ques de libre cir­cu­la­tion de la parole telles qu’elles se mani­fes­taient dans les clubs révolu­tion­nai­res de 1789.

27 Un lien est aussi noué avec ce qui s’est passé au len­de­main des atten­tats du 6-7 jan­vier 2015 dans la mesure où la réaction y a été en partie citoyenne. Mais il y a ici un point impor­tant. Il faut en effet, dis­tin­guer ce qui a été désigné sous le terme de « citoyen­nisme » depuis les années 1990 et qui a été en partie initié par l’État avec ses appels à des « conférences citoyen­nes » et des « concer­ta­tions citoyen­nes » censées rendre la parole aux citoyens, ini­tia­ti­ves relayées ensuite par des mou­ve­ments citoyens se posant comme nou­vel­les média­tions chargées de donner un nou­veau sens au « social ». C’est le sens d’ini­tia­ti­ves comme celle de Stéphane Hessel avec sa bro­chure Indignez-vous ! Par contre, aujourd’hui, la référence citoyenne a plutôt ten­dance à occulter l’ins­ti­tu­tion qui impli­que la ver­ti­ca­lité, la hiérar­chie et le pou­voir, c’est-à-dire un cadre tra­di­tion­nel des rap­ports à l’État qui était encore accepté par le citoyen­nisme à la Hessel, lequel s’adres­sait direc­te­ment à l’État en vou­lant res­sus­ci­ter le pro­gramme du CNR de 1945.

28 À l’inverse la référence actuelle au citoyen semble échap­per à ce qu’on a appelé de façon péjora­tive, le citoyen­nisme. En effet si aujourd’hui l’État conti­nue à faire appel à ce sen­ti­ment citoyen et dis­pense auprès de sa jeu­nesse des cours d’ins­truc­tion civi­que mis au goût du jour, l’aspect citoyen du mou­ve­ment, qui ne cons­ti­tue qu’un élément de son contenu général, mais un élément réel quand même, tend à ne plus s’adres­ser prin­ci­pa­le­ment à l’ins­ti­tu­tion dont nous avons déjà dit qu’elle était résorbée dans une ges­tion des intermédiai­res9.

29 Ce qu’il pro­pose, c’est une appro­che hori­zon­tale qui ne cher­che plus à se confron­ter à l’ins­ti­tu­tion mais à la contour­ner. Changer le monde sans pren­dre le pou­voir (une thèse proche de celle défendue par John Holloway pour­tant jamais cité ni par le mou­ve­ment ni par les médias) comme en 1968 certes, mais sans se confron­ter au pou­voir parce que, fina­le­ment, l’idéologie Occupy Wall Street est tel­le­ment prégnante et perçue comme un allant de soi avec l’idée des 99 % que cela donne l’impres­sion qu’il n’y a plus de pou­voir du tout, que c’est une coquille vide, que l’on peut soit négliger en fai­sant « séces­sion » (tou­jours une idée d’Holloway, mais aussi du « Comité invi­si­ble »), soit faci­le­ment le rem­pla­cer en appe­lant à la for­ma­tion d’une Constituante.

30 D’où aussi, contrai­re­ment à 1968 et aux mou­ve­ments de cette époque dans le monde, un rap­port ambi­va­lent aux forces de l’ordre, rap­port rendu encore plus ambigu par la situa­tion créée par les atten­tats de 2015 pen­dant laquelle la police a paru avoir un com­por­te­ment citoyen qui la réintégrait dans le rap­port social, alors qu’elle se livre à des accès de bru­ta­lité dans les mani­fes­ta­tions contre la loi tra­vail. Se côtoient donc aujourd’hui dans les cortèges, des « la police avec nous », une haine pal­pa­ble des flics de la part d’une partie de la jeu­nesse et des sortes de grou­pes de sur­veillance sur les agis­se­ments de la police. Ce qui est sûr c’est que la police conti­nue d’agir dans le cadre d’une logi­que de main­tien de l’ordre étati­que ordi­naire, c’est-à-dire d’évite­ment des blessés et des morts. Ce qui inter­pelle plutôt c’est de savoir jusqu’à quel point l’impéritie d’un gou­ver­ne­ment de gauche sur cette ques­tion peut lui lais­ser une cer­taine marge d’auto­no­mie. Le gou­ver­ne­ment semble inter­dire plus ou moins for­mel­le­ment l’uti­li­sa­tion des gre­na­des de désen­cer­cle­ment, mais pas les flash-balls. N’est-ce pas un signe de fai­blesse par rap­port aux syn­di­cats de police ?

31 On peut voir dans ce com­pro­mis concer­nant l’uti­li­sa­tion mesurée des moyens tech­ni­ques de la police un signe de fai­blesse l’État. C’est cer­tain, mais il faut aussi repla­cer cette stratégie dans le phénomène général que nous avons nommé une résorp­tion des ins­ti­tu­tions dans la ges­tion des intermédiai­res et par la ges­tion des intermédiai­res. S’agis­sant de l’ins­ti­tu­tion régalienne de la police on peut obser­ver cette muta­tion à tra­vers, au moins deux dis­po­si­tifs :

– le dévelop­pe­ment rapide et général des outils tech­no­lo­gi­ques avancés et des équi­pe­ments pro­fes­sion­nels : infor­ma­ti­sa­tion, vir­tua­li­sa­tion des moyens de contrôle, arme­ment sophis­tiqué, coopération avec les autres orga­ni­sa­tions de contrôle et de sécurité, réorga­ni­sa­tion du temps de tra­vail des poli­ciers pour pal­lier leur dimi­nu­tion, col­la­bo­ra­tion avec des asso­cia­tions citoyen­nes, etc.

– une sorte de co-ges­tion des poli­ti­ques sécuri­tai­res entre l’État et les syn­di­cats de poli­ciers. Cela apparaît très clai­re­ment quand on entend des lea­ders syn­di­ca­lis­tes poli­ciers cri­ti­quer les stratégies du minis­tre de l’Intérieur ou bien cri­ti­quer les cas­seurs et les fau­teurs de trou­ble, c’est-à-dire expri­mer une posi­tion poli­ti­que si ce n’est indépen­dante, du moins lar­ge­ment auto­no­misée par rap­port à l’État et aussi par rap­port aux intermédiai­res « citoyens ».

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33 Dans le contour­ne­ment des ins­ti­tu­tions que recher­che Nuit debout, il n’y a plus l’idée de négation (le fameux tra­vail du négatif de la dia­lec­ti­que marxienne), mais celle d’affir­ma­tion. C’est pour cela que nous avons parlé de ten­ta­tive de séces­sion. Cette séces­sion est d’ailleurs assez illu­soire puis­que le mou­ve­ment est obligé de négocier sa présence sur les places, les condi­tions de sécurité et d’hygiène ou de voi­si­nage. Négocier tout cela est une pra­ti­que concrète qui condi­tionne une lutte, certes auto­li­mitée, mais ce n’est pas du citoyen­nisme si on donne à ce terme non pas le caractère d’une simple référence au citoyen qui peut être plus ou moins poli­ti­que (référence à la Révolu­tion française par exem­ple) ou très vague, mais le sens d’une vérita­ble idéologie comme celle que Hessel et d’autres ont pu jus­te­ment dévelop­per. La marge de manœuvre est certes étroite puis­que de nom­breu­ses asso­cia­tions qui sou­tien­nent le mou­ve­ment Nuit debout (cf. l’arti­cle pétition dans le jour­nal Libération du 26 avril) sont effec­ti­ve­ment dans le citoyen­nisme. En effet, les asso­cia­tions qui veu­lent agir loca­le­ment, les pro­jets de coopérati­ves, les pro­jets sociaux ou cultu­rels divers et variés repo­sent tous sur des deman­des de finan­ce­ment public. Donc c’est bien auprès de l’État que ces mou­ve­ments quéman­dent des locaux pour se réunir, des sub­ven­tions pour payer leurs salariés ou pour éditer leurs publi­ca­tions, des tarifs pos­taux moins chers pour les dif­fu­ser, mais ce n’est pas (ou pas encore) le cas de Nuit debout qui reste dans l’infor­mel et cher­che plus à orga­ni­ser qu’à ins­ti­tu­tion­na­li­ser.

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35 Nous ne sommes évidem­ment pas d’accord poli­ti­que­ment avec Lordon (son idée de Républi­que sociale sou­ve­raine n’a pas de portée poli­ti­que aujourd’hui), mais nous reconnais­sons qu’il « colle » bien à la réalité du mou­ve­ment dans son état actuel.

36 Lordon parle ainsi de « luttes affir­ma­ti­ves » qu’il dis­tin­gue des « luttes reven­di­ca­ti­ves ». Si on décrypte, cela sous-entend que les luttes affir­ma­ti­ves sont des luttes de ras­sem­ble­ment, « glo­ba­les et uni­ver­sel­les » qui repo­sent sur la com­mune situa­tion d’indi­vi­dus salariés présents ou à venir pour ce qui est du tra­vail et d’indi­vi­dus-démocra­ti­ques et citoyens pour ce qui est de la poli­ti­que et des « valeurs » (aujourd’hui on ne parle plus en termes d’idéologie)

37 Ces pra­ti­ques d’affir­ma­tion seraient offen­si­ves, car pour lui le mou­ve­ment doit cesser de dire ce qu’il ne veut pas pour com­men­cer à dire ce qu’il veut. Mais sa cri­ti­que de la reven­di­ca­tion est ici une pose facile quand tout repose sur le dis­cours et que la parole n’est pas sou­te­nue par une vérita­ble lutte ancrée dans les rap­ports sociaux de pro­duc­tion et de tra­vail. Dans les années 1960-70 aussi, l’idée de lutte sans reven­di­ca­tion comme dépas­sant la simple défense de la condi­tion ouvrière a pu être défendue par les com­mu­nis­tes radi­caux de même qu’au niveau syn­di­cal, la CFDT, dans sa brève phase gau­chiste de l’après-mai 68 a opposé ses reven­di­ca­tions « qua­li­ta­ti­ves » aux reven­di­ca­tions « quan­ti­ta­ti­ves » de la CGT, mais c’était dans le cadre des luttes de clas­ses contre le capi­tal et pour abolir le sala­riat. À tort ou à raison c’était la négati­vité du mou­ve­ment qui l’empor­tait ou qui était mise en avant, non sa posi­ti­vité et c’est cela qui fai­sait peur à l’État et au patro­nat.

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39 Le mou­ve­ment des places n’est en effet pas très « anti ». L’anti­ca­pi­ta­liste ne cons­ti­tue pas sa moti­va­tion première loin de là et il ne serait pas juste de le dire « anti-système », une appel­la­tion qui est plutôt la chasse gardée du FN et qui ne concerne que le champ poli­ti­cien. Il est plutôt pro-citoyen, pro-démocrate, pro-Constituante, pro-vie. Sur ce der­nier point, il semble se rat­ta­cher à ce qui s’est passé au moment des atten­tats de jan­vier et novem­bre 2015. Il n’y a pas la rage du « lumpen » qui semble préférer rester dans ses quar­tiers, il n’y a pas non plus la haine de classe, certes un peu de haine du flic mais très cir­cons­crite ; le mou­ve­ment est dans l’après-révolte dit Schneidermann dans Libération du 11 avril 2016.

40 L’indi­vidu qui adhère à Nuit debout ne récri­mine pas et il n’est pas dans le res­sen­ti­ment ; il posi­tive. Là encore il semble donner raison à Lordon pour qui les luttes reven­di­ca­ti­ves sépare­raient les différentes frac­tions du corps social alors que les luttes affir­ma­ti­ves font l’unité. En effet, les AG de Nuit debout sem­blent res­pi­rer le consen­suel. C’est que, au moins autant que la référence au mou­ve­ment des places des Indignados, celle au slogan des Occupy Wall Street « Nous sommes les 99 % » semble être prégnante et au fon­de­ment de l’idée qu’il suf­fi­rait de se débar­ras­ser des 1 % de domi­nants et d’exploi­teurs pour pou­voir pro­fi­ter de la vie, lui retrou­ver un sens, etc.

41 Le gou­ver­ne­ment a bien cons­cience qu’une cer­taine alchi­mie, qu’il n’avait pas prévue et qu’il ne maîtrise pas, a conduit à un rejet du projet de loi assez bien partagé même si comme d’habi­tude la majo­rité reste silen­cieuse. Il cher­che donc à tirer le mou­ve­ment vers le frac­tion­ne­ment. Tout d’abord en répon­dant sur des aspects par­tiels, qui per­met­tent des amen­de­ments au projet de loi comme les mesu­res spécifi­ques en faveur des jeunes et pour les PME ; ensuite, en trai­tant de façon différenciée les orga­ni­sa­tions syn­di­ca­les. Priorité va être donnée à l’orga­ni­sa­tion étudiante (l’UNEF) parce que les jeunes s’agi­tent et qu’il faut s’adres­ser à des « res­pon­sa­bles » même s’ils ne représen­tent pas grand-chose ; et à la négocia­tion avec des syn­di­cats réfor­mis­tes comme la CFDT et l’UNSA afin de briser le front syn­di­cal du refus qui s’est cons­titué au début du mou­ve­ment.

42 Pour le reste, le gou­ver­ne­ment fait confiance à la bêtise poli­ti­que des têtes de gon­dole média­ti­ques du mou­ve­ment qui n’ont jamais eu de pra­ti­que mili­tante et se retrou­vent tri­buns de manière un peu impro­visée. À ce niveau Lordon en est la cari­ca­ture qui déclare à Tolbiac : « Revendiquer, c’est déjà être soumis, c’est s’adres­ser à des puis­san­ces tutélaires aima­bles » (cf. Libération du 4 avril). Un genre de dis­cours qui n’est prononçable et audi­ble que devant une assemblée qui ne compte que très peu de salariés, car qui­conque a un tant soit peu tra­vaillé dans un uni­vers de contrainte et de hiérar­chie sait que les reven­di­ca­tions les plus basi­ques sont cons­ti­tu­ti­ves des différentes formes de résis­tance quo­ti­dienne au tra­vail qui per­met­tent de sur­vi­vre en milieu hos­tile. Les salariés de Goodyear et d’Air France, ceux aujourd’hui en grève chez Bosch ou les inter­mit­tents du spec­ta­cle apprécie­ront.

43 Le « On vaut mieux que ça » est exem­plaire de cet état d’esprit. La ques­tion éthique, celle de la « dignité » est tout de suite posée comme supérieure à la ques­tion de la lutte contre l’exploi­ta­tion parce que le mou­ve­ment actuel inclut une majo­rité de per­son­nes qui se pen­sent sous-cotées par rap­port à leurs diplômes, par rap­port à leur ori­gine sociale, par rap­port à l’idéologie démocra­ti­que divulguée dans les cursus de for­ma­tion.

44 Dit autre­ment, ils ne se reconnais­sent glo­ba­le­ment pas comme force de tra­vail, mais comme res­source humaine et ils trou­vent générale­ment qu’ils sont sous-utilisés ou mal utilisés et soit sous-payés ou par­fois bien payés mais dans les deux cas, pressés comme des citrons et ensuite jetés parce qu’ayant donné tout leur jus. Il y a bien sûr du vrai là-dedans mais il ne faut pas s’étonner que le mou­ve­ment soit affir­ma­tif et peu contes­ta­taire. La fierté ouvrière, la pro­fes­sio­na­lità ita­lienne de l’ancien mou­ve­ment ouvrier ne pous­saient certes pas au sabo­tage de l’outil de tra­vail, mais le tra­vail bien fait ne deman­dait pas de récom­pense. Il pou­vait par­fois donner lieu à une satis­fac­tion per­son­nelle, ne serait-ce que dans la cama­ra­de­rie qui l’accom­pa­gnait, mais jamais il ne serait venu à l’idée d’un mineur de fond « qu’il valait mieux que ça ». C’est avec les mou­ve­ments des OS et jeunes ouvriers des années 1960-70 que cette idéologie pro­duc­tive ouvrière a com­mencé à se fis­su­rer dans les luttes anti-tra­vail, mais il n’était pas pour autant ques­tion de « on vaut mieux que ça » mais bien plutôt de « plus jamais ça ».

45 C’est aussi une ques­tion de sens à donner aux mots : deman­der le retrait du projet c’est bien reven­di­quer quel­que chose, mais c’est vrai, les Nuits debout ne le font pas dans les mêmes formes que les oppo­sants au CIP ou au CPE à leur époque, car le projet ne s’adresse pas direc­te­ment et uni­que­ment à la jeu­nesse sco­la­risée et cela crée un décalage.

46 Visiblement Lordon recy­cle du Deleuze (l’affir­ma­tion par la cons­truc­tion de quel­que chose plutôt que la négation par la cri­ti­que et la dénon­cia­tion10) et du Spinoza mâtiné de Negri (la puis­sance vir­tuelle de la mul­ti­tude : « on vaut mieux que ça ») et il res­sert du Freud versus Lyotard11 comme si cela pou­vait faire arrêter « la machine12 ».

47 Ce qui est sûr c’est que ce n’est pas en oppo­sant affir­ma­tion et reven­di­ca­tion que le mou­ve­ment s’appro­fon­dira et pren­dra de l’exten­sion. Il faut que les deux aspects puis­sent conver­ger. C’est l’impasse par exem­ple de la lutte chez Goodyear où les salariés de la CGT qui ont été condamnés en jus­tice ne trou­vent pas de réponse et de riposte à la répres­sion auprès de leur cen­trale syn­di­cale. Celle-ci affirme pour­tant les sou­te­nir, mais en ne leur garan­tis­sant pas un temps de parole à son congrès ! C’est qu’elle ne peut pas « enten­dre » la vio­lence qu’ils ont perpétrée dans leur lutte et la vio­lence qu’ils ont subies dans la répres­sion, comme le double signe d’un épui­se­ment d’une logi­que du capi­tal qui tour­nait jusque-là autour de la dépen­dance récipro­que entre capi­tal et tra­vail. Si elle n’enre­gis­tre pas le pro­ces­sus d’ines­sen­tia­li­sa­tion de la force de tra­vail dans le procès de valo­ri­sa­tion du capi­tal, elle ne peut plus vrai­ment jouer son rôle de défen­seur de la force de tra­vail. Quoi qu’elle fasse et dise, elle est dans l’immo­bi­lisme.

Un mouvement qui défie l’état d’urgence ?

48 Qu’est-ce que l’état d’urgence actuel­le­ment en France ? Une ques­tion à peine posée pour­rions-nous dire.

49 Certains le confon­dent avec l’État d’excep­tion selon Carl Schmitt qui délimite une ligne de par­tage amis/enne­mis, ces der­niers étant dorénavant des enne­mis de l’intérieur. C’est le cas du cou­rant autour de « L’insur­rec­tion qui ne vient pas », d’autres l’assi­mi­lent à l’État réduit au ministère de l’Intérieur comme le disent les liber­tai­res qui voient par­tout une cri­mi­na­li­sa­tion des luttes alors qu’il n’y a pénali­sa­tion que parce que les luttes res­tent isolées et n’attei­gnent pas le niveau suf­fi­sant qui per­met­trait qu’elles ne le soient pas ou alors qu’elles le soient, mais dans une guerre sociale vrai­ment déclarée.

50 Sans tomber dans la phi­lo­lo­gie, il faut différen­cier l’état d’urgence, avec une lettre ini­tiale en minus­cule, de l’État d’urgence avec une lettre ini­tiale en majus­cule. Dans le pre­mier cas, il s’agit d’une situa­tion conjonc­tu­relle qui n’a pas de caractère de per­ma­nence même si comme en France cette situa­tion vient d’être pro­longée ; dans le second cas d’une ins­ti­tu­tion, qui plus est, l’ins­ti­tu­tion suprême qui s’érige à un tel niveau qu’il peut se passer des lois. À l’oral, la différence ne s’entend pas, mais ce n’est pas le cas à l’écrit et sur­tout du point de vue du sens.

51 Les mesu­res actuel­les prises par les États démocra­ti­ques pour se défendre contre la menace ter­ro­riste ne sont pas excep­tion­nel­les, excepté celles concer­nant la prison de Guantanamo. Elles res­sor­tent de tout un arse­nal de mesu­res préven­ti­ves et répres­si­ves utilisées par les démocra­ties bour­geoi­ses/capi­ta­lis­tes au cours de l’his­toire contem­po­raine13. Ce qui est nou­veau, c’est que des moyens tech­ni­ques sophis­tiqués leur don­nent des capa­cités à établir non pas une répres­sion plus grande (ce que cer­tains appel­lent l’État pénal, cf. Loïc Wacquant), mais des procédures de contrôle plus fines, des traçages faci­lités par les nou­vel­les tech­no­lo­gies, le dévelop­pe­ment d’une sur­veillance de proxi­mité par l’usage des cartes de crédit et de consom­ma­tion en ligne, etc. Comme les nou­vel­les tech­no­lo­gies l’État se met en réseau, s’hori­zon­ta­lise, se bana­lise comme dans les contrôles aux aéroports ou actuel­le­ment dans le contrôle du contenu des sacs à l’entrée des grands maga­sins ou des édifi­ces publics. Il imprègne le social et le quo­ti­dien et fina­le­ment ne s’en dis­tin­gue plus guère puis­que ces der­niers contrôles ne sont même pas effectués par la police, mais par des salariés d’un nou­veau type dont on peine à définir « l’acti­vité ».

52 L’état d’urgence peut donc bien être com­pa­ti­ble avec un État dans sa forme réseau et donc ne pas impli­quer d’État d’excep­tion.

53 Ce qui est impor­tant, ce ne sont donc pas les mesu­res répres­si­ves mises en place qui, si on y pense, sont bien moins répres­si­ves que celles de l’État-Marcellin du début des années 1970. La mort de l’étudiant Malik Oussekine vic­time des bri­ga­des à motos en 1986 au cours d’une mani­fes­ta­tion contre le projet Devaquet de sélec­tion à l’entrée de l’uni­ver­sité, l’œil crevé et le visage cabossé de Richard Deshayes du Front de libération de la jeu­nesse et du groupe Vive la révolu­tion le 9 février 1971 par une gre­nade à tir tendu n’ont pas attendu le flash-ball pour signi­fier la puis­sance de l’État quand il défend l’ordre établi.

54 Mais quoi de plus logi­que quand on porte l’atta­que contre l’État ? Ce qui est moins compréhen­si­ble, c’est que les vic­ti­mes sont de moins en moins des per­son­nes qui por­tent l’atta­que au cœur de l’État, mais bien plutôt le tout venant des mani­fes­tants (cf. le lycéen tabassé devant son lycée Bergson ou les inci­dents au lycée Voltaire ou encore au lycée Doisneau dans la ban­lieue lyon­naise, il y a quel­ques jours) ce qui fait que le main­tien de l’ordre s’appa­rente immédia­te­ment à une vio­lence policière qui, elle-même, apparaît dis­pro­por­tionnée à un point tel que l’IGPN est obligée d’inter­ve­nir.

55 Tout cet arse­nal ordi­naire de l’appa­reil d’État existe tou­jours bel et bien, mais il a perdu de son ancienne légiti­mité bour­geoise. En effet, il ne fonc­tion­nait qu’en tant que recours de l’État-nation pour défendre sa qualité de régime démocra­ti­que et, pour ce qui est de la France, d’État républi­cain. C’est cette légiti­mité qui est remise en ques­tion aujourd’hui quand on passe de la forme État-nation à la forme réseau. Ce sont alors toutes les ins­ti­tu­tions déjà désta­bi­lisées par le chan­ge­ment de forme de l’État qui se retrou­vent délégitimées de l’ancien exer­cice de la vio­lence (policière et judi­ciaire) dans l’État républi­cain. Cela donne l’impres­sion que la police est par­tout (c’est faux) et que la jus­tice est nulle part (c’est juste).

56 Toutefois les sen­ti­ments ambi­va­lents sont prédomi­nants, car d’un côté la délégiti­ma­tion des ins­ti­tu­tions dans la forme État-réseau fait voir les poli­ciers comme des « sbires » et non comme des fonc­tion­nai­res du ministère de l’Intérieur, dans un contexte général (hors ter­ro­risme) de dimi­nu­tion de la vio­lence reconnue par tous les socio­lo­gues de gauche, alors que de l’autre, la police est de plus en plus amenée à gérer du social dans les plain­tes pour mal­trai­tan­ces ou viols, les vols, etc., avec une présence féminine de plus en plus impor­tante en son sein, même si ces femmes offi­cient sur­tout dans des bureaux avec des emplois para-sociaux et rele­vant de la psy­cho­lo­gie ou d’une quel­conque exper­tise scien­ti­fi­que. Cette ambi­va­lence est bien présente, et de façon extrémisée pour­rait-on dire, dans les posi­tions sur la police depuis les atten­tats : de sur­pre­nan­tes accla­ma­tions d’un côté, des pétitions alar­man­tes de l’autre par rap­port à des vio­len­ces et dérives policières depuis l’état d’urgence et pen­dant le mou­ve­ment anti-projet El Khomri14.

57 Contrairement à ce qui se dit aux assemblées des Nuits debout, la crise poli­ti­que actuelle n’est pas une crise de représen­ta­tion d’un per­son­nel poli­ti­que qui ne serait plus adéquat (cela, c’est la posi­tion Podemos), mais une crise du pou­voir en tant que tel et une crise de la notion de sou­ve­rai­neté, ce qui bien évidem­ment donne du poids à ceux qui veu­lent res­tau­rer cette pers­pec­tive sou­ve­rai­niste. Le poids donné par les médias à Frédéric Lordon, ce sou­ve­rai­niste social (il se réclame de la « Républi­que sociale », cf. son arti­cle dans Le Monde diplo­ma­ti­que de mars 2016) en est un exem­ple. Nous y revien­drons.

58 C’est peut-être aussi pour cela que le mou­ve­ment des places semble tour­ner en rond comme d’ailleurs, à cer­tains moments, le mou­ve­ment de mai 68 a pu aussi donner la même impres­sion par son refus de pren­dre en compte la ques­tion du pou­voir et aussi celle de la représen­ta­tion. On peut se rap­pe­ler une mani­fes­ta­tion pari­sienne de mai pas­sant devant la Chambre des députés sans détour­ner le regard pen­dant que les « socia­los » les plus aven­tu­ris­tes (Fillioud et Estier) fai­saient de grands gestes de sym­pa­thie pour atti­rer l’atten­tion.

59 C’est peut être aussi à cause de cela que les Ruffin et autres Lordon à la détente poli­ti­cienne facile ont appelé, le 21 avril dans un mee­ting en marge des Nuits debout à rejoin­dre les syn­di­cats de salariés le 1er mai.

60 Les sous-marins élec­to­raux et poli­ti­ciens sem­blent man­quer de patience…

61 Cet appel pour­rait certes faire penser à celui lancé par le Mouvement du 22 mars et l’UNEF en direc­tion des syn­di­cats pour le 13 mai 1968, mais il s’agis­sait quand même là d’amor­cer la grève générale et non pas de célébrer la fête du Travail ! Nous ne sommes pas dans la même situa­tion his­to­ri­que. Aucun signe de per­tur­ba­tion ne pro­vient des entre­pri­ses et du monde du tra­vail, en tout cas de sa base et même si la CGT est moins hos­tile au mou­ve­ment aujourd’hui qu’hier, les ouvriers de Goodyear n’ont fina­le­ment pas pu inter­ve­nir à son der­nier congrès et le syn­di­cat des jour­na­lis­tes (SNJ) n’a pu y faire inter­ve­nir Ruffin à la tri­bune des invités. Mais, par ailleurs, la défiance du mou­ve­ment vis-à-vis des appa­reils syn­di­caux et poli­ti­ques est beau­coup plus forte qu’aupa­ra­vant comme l’a montré la réaction du « public » aux dernières pro­po­si­tions de Ruffin au cours du mee­ting « L’étape d’après », le 20 avril 2016 à la Bourse du tra­vail à Paris. Il n’a fina­le­ment pas obtenu de mandat pour négocier sa pro­po­si­tion auprès des syn­di­cats. Toutefois, le 28 au soir, les syn­di­cats, à com­men­cer par Martinez, étaient bien là et on leur posait res­pec­tueu­se­ment des ques­tions… Pourquoi la CGT est-elle allée à Canossa ? Difficile à expli­quer. Il y a sans doute deux lec­tu­res de cette présence ; la première à usage externe où il faut donner l’impres­sion d’être dans le mou­ve­ment. Certes pas dans le mou­ve­ment Nuit debout, mais dans un mou­ve­ment plus vaste anti-projet de loi-tra­vail et anti-gou­ver­ne­men­tal ; la seconde à usage interne dans la mesure où la CGT doit faire face à l’impa­tience d’une partie de sa base (mili­tants che­mi­nots, hos­pi­ta­liers, d’Air France) qui pousse vers la grève générale. Comme sou­vent depuis qu’elle est en posi­tion de fai­blesse (perte de mili­tants et pro­gres­sion atten­due de la CFDT aux pro­chai­nes élec­tions pro­fes­sion­nel­les), elle prend le pouls sans pren­dre de risque et préfère pour le moment se défaus­ser en ren­voyant la décision au niveau des unions loca­les, les­quel­les font enten­dre une cer­taine impa­tience devant l’atten­tisme de la direc­tion par rap­port au mot d’ordre de grève générale.

62 Il n’empêche que pour les indi­vi­dus-mani­fes­tants-acti­vis­tes qui impo­sent leur présence à un moment donné et dans l’illégalité au départ, l’état d’urgence qui inter­dit les ras­sem­ble­ments est bel et bien bravé et il com­porte des ris­ques (une tren­taine d’arres­ta­tions de lycéens à Vaulx-en-Velin par exem­ple et une condam­na­tion ferme, plus de 200 arres­ta­tions en France au len­de­main de la manif du 28 février). Cette bra­vade n’est peut-être qu’un geste bra­va­che, mais elle cons­ti­tue quand même un élément per­tur­ba­teur de l’état d’urgence qui se trouve alors réduit à un climat d’urgence dont la fac­ti­cité apparaît aux yeux de tous… et mani­feste effec­ti­ve­ment l’évanes­cence des ins­ti­tu­tions de la forme ancienne d’État-nation et le côté ridi­cule ou vain du dit état d’urgence. François Fillon l’a d’ailleurs bien com­pris qui somme le gou­ver­ne­ment de mettre fin à tout cela… pour faire res­pec­ter l’état d’urgence, car il n’existe que si on démontre son exis­tence ou qu’on y fait croire.

63 Le mou­ve­ment a donc fait état de cer­tai­nes capa­cités qui peu­vent conte­nir des poten­tia­lités, une dyna­mi­que qui fait qu’à un cer­tain moment, dans une situa­tion donnée, une mise en branle de l’ordre établi par un cer­tain nombre de pra­ti­ques peut être un « pré-requis » pour éven­tuel­le­ment aller plus loin ou ailleurs. Il y a tou­jours plus à atten­dre (et même si c’est en pure perte fina­le­ment) d’un mou­ve­ment qui impose ses formes et son rythme que d’un mou­ve­ment qui quémande des auto­ri­sa­tions et suit « l’agenda poli­ti­que ou syn­di­cal » pour parler comme les jour­na­lis­tes, même si on sait qu’il y a pres­que tou­jours une dia­lec­ti­que qui se crée entre les deux ten­dan­ces.

Les limites actuelles du mouvement Nuit debout

64 Le mou­ve­ment Nuit debout a le défaut de se pren­dre pour ce qu’il n’est pas. Sa « libre parole » cor­res­pond trop à un code d’entre soi, sur le mode twee­ter-texto-SMS. C’est plus un code génération­nel d’indi­vi­dus connectés qu’une pra­ti­que d’inter­ven­tion poli­ti­que. Le lan­gage des signes, le minu­tage des inter­ven­tions, l’ins­crip­tion sur les listes des tours de parole qui empêchent toute inter­pel­la­tion entre inter­ve­nants et toute polémique sur le vif, favo­ri­sent certes l’expres­sion mais au sein de l’hypothèse consen­suelle.

65 Des indi­vi­dus du mou­ve­ment disent sou­vent qu’ils peu­vent se passer des médias parce qu’ils ont les leurs qui leur seraient pro­pres, mais ils sont encore dans l’idéologie tech­ni­ciste-pro­gres­siste de croire qu’on peut lutter contre le capi­tal avec les armes du capi­tal en les retour­nant contre lui. On doit certes uti­li­ser les moyens à dis­po­si­tion mais sans illu­sion15.

66 Nuit debout sacri­fie trop aux formes et à l’orga­ni­sa­tion pour l’orga­ni­sa­tion. Il a ten­dance à délais­ser les conte­nus. Peut-être cela pro­vient-il aussi de sa ten­dance à tout écraser, tout rendre équi­va­lent par son obses­sion de l’hori­zon­ta­lité. Un fait exem­plaire : alors qu’à l’ori­gine, le mou­ve­ment exige le retrait du projet de loi El Khomri parce qu’il accroîtrait l’insécurité sociale et qu’il pose la lutte contre la précarité comme son objec­tif ; alors que c’est sur ce point que se fait la jonc­tion avec les syn­di­cats de salariés, et bien cet aspect se dis­sout complètement dans la « com­mis­sion­nite » du mou­ve­ment des places.

67 Un exem­ple dans l’exem­ple : le pro­gramme des com­mis­sions de Nuit debout Paris pour la période du 23 avril au 7 mai com­prend des dizai­nes et des dizai­nes de sujets, mais pas un seul concer­nant les ques­tions du tra­vail ! Par contre on y trouve en bonne place tous les grands sujets dits « de société » qui ont rem­placé l’ancienne ques­tion sociale : le féminisme radi­cal, l’homo­sexua­lité et les ques­tions de genre, la libération ani­male et l’écolo­gie16. Des réunions non mixtes sont même orga­nisées et les éven­tuels contre­ve­nants fai­sant remar­quer que c’est repro­duire les sépara­tions d’un mou­ve­ment qui veut pour­tant s’affran­chir des barrières et frontières, sont ver­te­ment remis à leur place. Le mou­ve­ment des places assi­gne bien des places. Tous par­lent de conver­gence des luttes (cf. le col­lec­tif du même nom) alors que c’est l’idée même d’intérêt commun qui se perd. Alors que beau­coup d’auteurs et mili­tants poli­ti­ques insis­tent sur la nécessité de se réappro­prier les « com­muns » (Hardt et Negri, Dardot et Laval) dans une pers­pec­tive plus ou moins affirmée de com­mu­nauté humaine17, le commun et l’unité sont sur­tout perçus sur les places à tra­vers l’idéologie de « l’inter­sec­tion­na­lité », notion d’ori­gine anglo-saxonne portée par les par­ti­cu­la­ris­mes radi­caux, mais repo­sant en fait sur l’indi­vi­dua­lisme métho­do­lo­gi­que qui ne conçoit l’unité que comme agrégation des sépara­tions.

68 Ainsi, Lordon, dans son arti­cle précité « Le feu aux foules » en appelle à la conver­gence des luttes qui res­tent dis­persées et qui vont de la lutte pour des papiers à celle qui s’oppose à la réforme des collèges. Il ne veut pas com­pren­dre qu’un ensei­gnant ou un parent peut d’une part lutter pour les papiers pour tous dans le cadre de RESF et donc être contre la poli­ti­que migra­toire de l’État et d’autre part ne pas être contre un projet de réforme de l’EN qui, même s’il n’est pas satis­fai­sant, se trouve attaqué par les ensei­gnants les plus cor­po­ra­tis­tes et les parents les plus élitis­tes et les plus par­ti­sans de l’ordre. On voit là l’inanité de ce prétendu slogan de conver­gence. C’est aussi bête que de croire à la conver­gence des luttes de « tra­vailleu­ses du sexe » pour la libre dis­po­si­tion de leur corps et de musul­ma­nes pour le port du voile à l’école.

69 En tout cas, sur ces bases, il apparaît dif­fi­cile d’étendre le mou­ve­ment aux usines et à la ban­lieue et d’appe­ler à la grève reconduc­ti­ble, slogan liber­taire répété à l’envi et de façon pav­lo­vienne à chaque embryon de mou­ve­ment ! Les échecs des ten­ta­ti­ves de dépla­ce­ment des Nuit debout dans les ban­lieues et les entre­pri­ses sont emblémati­ques des limi­tes inter­nes de ce mou­ve­ment. Ainsi, à Marseille, le samedi 23 avril, le mou­ve­ment a essayé de se déloca­li­ser du cours Julien, dans le centre de Marseille, vers les quar­tiers Nord, de la cité des Flamands dans le 14e arron­dis­se­ment. La greffe n’y a pas été facile. Les asso­cia­tions loca­les comme « Pas sans nous » ont exprimé le fait qu’elles n’avaient pas attendu les Nuits debout pour ne pas vivre à genoux mais se lever et être debout. Que la volonté de conver­gence res­tait un vœu pieux tant que le sens de la conver­gence n’était pas fixé plus précisément. Eux n’ont rien à faire de l’inter­sec­tion­na­lité ! Le projet de loi El Khomri ? Quand le chômage atteint un tel niveau dans cer­tains quar­tiers, que bien des per­son­nes n’y sont d’ailleurs plus ins­cri­tes sans pour cela être au tra­vail, aucune loi ne peut les attein­dre et en tout cas aggra­ver la situa­tion. Pour conver­ger avec le mou­ve­ment des places encore fau­drait-il qu’il y ait un sens commun à donner à la conver­gence au lieu de la poser abs­trai­te­ment comme une évidence.

70 D’une manière générale les appels à la conver­gence des luttes sont nom­breux, mais ils sont empreints d’une naïveté désar­mante. Mais cette naïveté trouve ici ou là ses contre-exem­ples : à Lyon, par exem­ple, le lycée de Vaulx-en-Velin, en ban­lieue Est, est à la pointe de la lutte lycéenne dans la région et des minis­tres venant en visite de façon inopinée à Vaulx, une conver­gence concrète avec Nuit debout a pu être projetée avec une mani­fes­ta­tion orga­nisée à Vaulx et qui a débordé dans quel­ques affron­te­ments spo­ra­di­ques. Mais dans l’ensem­ble les conver­gen­ces concrètes sont rares et ren­dues en outre dif­fi­ci­les, car visi­ble­ment la plu­part des présents ne se sont jamais égarés en ban­lieue… ni vers une usine. Quelques voix isolées ont tou­te­fois men­tionné sur la place Guichard à Lyon que plutôt que d’appe­ler abs­trai­te­ment à la conver­gence ou de vou­loir aller porter la bonne parole aux ouvriers sur le projet de loi El Khomri, il vau­drait peut-être mieux déjà aller là où il se mène une lutte comme chez Bosch.

71 Ces limi­tes inter­nes appa­rais­sent aussi dans le fait que l’auto­no­mie du mou­ve­ment est toute rela­tive. Nous avons vu pour­quoi quand nous avons parlé de son lan­ce­ment. Mais il s’agit aussi d’autre chose, à savoir la présence sur les places d’orga­ni­sa­tions et d’asso­cia­tions représen­tant les par­ti­cu­la­ris­mes précédem­ment cités qui se sont ins­tallés tout tran­quille­ment et quasi natu­rel­le­ment avec tout leur matériel orga­ni­sa­tion­nel… comme si elles n’étaient pas des orga­ni­sa­tions poli­ti­ques, mais de sim­ples bonnes causes dont la présence ne fait pas ques­tion. Peu sou­cieu­ses de ce qui se passe autour d’elles, elles ven­dent leur soupe comme si de rien n’était, en tou­ris­tes pro­fi­tant de l’occa­sion. Mais ce qui a tou­jours été reproché aux gau­chis­tes récupérateurs et mani­pu­la­teurs ne leur est pas reproché. Elles sont au-dessus de tout soupçon, car elles sont dans l’air du temps qui est pour­tant celui de la dyna­mi­que du capi­tal, du recul des limi­tes. Cet épar­pille­ment dans lequel cer­tains voient une force est ren­forcé par un mode d’inter­ven­tion qui fait se succéder à la tri­bune et en un temps record tous les défen­seurs de ces différentes causes dont beau­coup sem­blent défendre avant tout leur souci de soi.

Petit bilan provisoire

72 Les réunions Nuit debout à Paris et dans nombre de villes de pro­vince sem­blent avoir atteint un régime de croisière. Le mou­ve­ment peine à trou­ver un second souf­fle. Les pro­ta­go­nis­tes et orga­ni­sa­teurs présents dès l’ori­gine du mou­ve­ment Nuit debout à Paris reconnais­sent d’ailleurs eux-mêmes qu’il n’y a pas plus de monde au bout d’un mois d’acti­visme qu’au début de l’occu­pa­tion. Beaucoup d’étudiants, des jeunes chômeurs, quel­ques retraités, la nuit, et même le jour, pren­nent la parole comme pour dire leur ras-le-bol ou leur souf­france en dehors et contre les médias aux mains des privilégiés, mais on sent une impos­si­bi­lité quasi struc­tu­relle à inter­ve­nir dans le monde réel, c’est-à-dire dans les entre­pri­ses, sur les trans­ports, la santé, l’éduca­tion ou le loge­ment, à pro­po­ser un contenu et un rap­port de force.

73 Des places sont occupées, mais le mou­ve­ment d’occu­pa­tion ne gêne pas tant qu’il reste cir­cons­crit. Or, dès qu’il déborde, il risque d’être stoppé, car il n’a pas d’autre ancrage pro­tec­teur, celui que four­nis­sait autre­fois la grande usine (« la for­te­resse ouvrière ») ; pas de base arrière comme celle que peut encore par­fois four­nir l’uni­ver­sité. Même si elles précèdent le mou­ve­ment actuel, les actions des salariés de Goodyear et d’Air France ainsi que la répres­sion qui s’en est suivi (licen­cie­ments et condam­na­tions pénales) sont de bons indi­ca­teurs du rap­port de force actuel. Tout ce qui n’est pas massif et généralisé risque la pénali­sa­tion de ce qui ne sont plus que des actions de résis­tance.

74 Les éven­tuels appels à l’insur­rec­tion au cours de mani­fes­ta­tions « sau­va­ges » comme à Marseille18, d’opérations coups de poing comme à Lyon ou de fin de mani­fes­ta­tion comme à Paris, Rennes ou ailleurs ne sont pas des suites logi­ques du mou­ve­ment, son exten­sion vio­lente et mas­sive, mais des excrois­san­ces jus­te­ment faci­les à réprimer pour cela.

75 En l’absence de luttes parallèles et signi­fi­ca­ti­ves de la part des salariés, il n’y a per­sonne pour pren­dre le relais ou donner un coup de pouce au mou­ve­ment. Les appels pathétiques à la Grève générale19 expri­ment ce divorce res­senti obscurément, sans avoir les moyens réels de briser les dik­tats du capi­tal et d’oppo­ser d’autres pra­ti­ques direc­tes contre l’écono­mie.

76 Par exem­ple com­ment rendre les trans­ports en commun gra­tuits immédia­te­ment ? La ques­tion de la vio­lence se pose alors différem­ment, non pas à tra­vers le culte de la vio­lence ou la haine du flic ou du fas­ciste, comme essaient de l’impo­ser avec les mêmes méthodes les « anti­fas » ou les petits grou­pes de lycéens venus en découdre, mais concrètement en s’en pre­nant aux dis­po­si­tifs de contrôles, aux machi­nes, aux moyens de paie­ment, et non pas en orien­tant la vio­lence sur les per­son­nes. Pour le moment nous n’en sommes pas là et le mou­ve­ment n’ouvre pas une telle pers­pec­tive. À l’ancienne lutte des clas­ses anti­ca­pi­ta­liste, se sub­sti­tue le cli­vage idéolo­gi­que gauche-droite qui est cons­tam­ment réactivé, par une nébuleuse grou­pus­cu­laire qui s’affi­che liber­taire et anti­fas­ciste au mieux, sou­ve­rai­niste au pire. Sur les places où les gens se ras­sem­blent, on parle tou­jours de conver­gence des luttes, mais sans se mettre d’accord sur ce qu’est une lutte et sur­tout ce qu’est et/ou ce que serait une lutte contre le capi­tal20.

 

2 mai 2016

 

Notes

1 – Cf. Interventions n° 11 de mars 2013 : « Flexisécurité à la française : l’impro­ba­ble régula­tion du rap­port social capi­ta­liste », ici : http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle307

2 – Comme c’est sou­vent le cas (cf. 1981), la France rame à contre-cou­rant. Alors qu’il lui est demandé de faire assaut de libéralisme pour rat­tra­per son « retard » et que ses gou­ver­nants sem­blent par­fois s’y résoudre, ses par­te­nai­res les plus engagés dans la voie néolibérale ont ten­dance à rétropédaler. C’est que, contrai­re­ment à ce que disent les contemp­teurs patentés d’un néolibéralisme qui s’annon­ce­rait tou­jours plus radi­cal, de nom­breu­ses voix écono­mi­ques et poli­ti­ques, y com­pris aux États-Unis, se font enten­dre pour tirer la son­nette d’alarme et amor­cer un nou­veau tour­nant vers un keynésia­nisme tempéré (pres­sions pour que l’Allemagne relance la consom­ma­tion, injec­tions monétaires des ban­ques cen­tra­les auprès des par­ti­cu­liers ; des­ser­re­ment des règles budgétaires en Europe).

3 – À Saint-Denis (Paris VIII) par exem­ple, les étudiants de socio­lo­gie et de phi­lo­so­phie démar­rent au quart de tour, d’autant que ces der­niers vien­nent de ter­mi­ner un cycle de cours et d’inter­ven­tion sur la phi­lo­so­phie du tra­vail et la ques­tion de l’acti­vité. Les tra­vaux pra­ti­ques peu­vent donc com­men­cer avec l’appui des ensei­gnants concernés. Toutefois, à notre connais­sance, les enjeux pro­fonds du projet ne sem­blent pas ques­tionnés. Des dis­cus­sions plus larges ont lieu dans d’autres com­mis­sions, mais sur les sujets habi­tuels de recher­che (par exem­ple, les études de genre).
À Nanterre, des étudiants occu­pent un espace qu’ils ont baptisé « Ulrike Meinhof », ce qui leur a valu d’être traités de suppôts de Daech par des ensei­gnants qui avaient dû lire trop d’arti­cles d’Olivier Roy sur « l’isla­mi­sa­tion de la radi­ca­lité »… Une ensei­gnante, « spécia­liste » des ques­tions de la lutte armée, y a animé un soir un débat sur la ques­tion de la vio­lence. Les inter­ven­tions étaient intéres­san­tes, très loin des pon­cifs et on y a abordé, entre autres, la ques­tion de la dérive, aujourd’hui fréquente, de l’anti­sio­nisme vers l’antisémitisme.

4 – Le Mouvement inter-lycées (MILI) créé en 2013 au moment de l’expul­sion de Leonarda a joué un rôle précur­seur et il a donné lieu aujourd’hui Mouvement inter­lut­tes indépen­dant, en gar­dant le même sigle, mais avec une volonté d’ouver­ture plus grande. De ten­dance anti­fas­ciste et anti-flics, ils par­lent de l’état d’urgence en termes « d’État d’urgence », avec une majus­cule donc. Leur slogan : « Le monde ou rien ». Leur com­po­si­tion : des lycéens, des étudiants, des appren­tis, des précaires, deux tiers de garçons et un tiers de filles, inégale représen­ta­tion de sexe qui ne semble pas leur poser de problème.

5 – Cf. Aglietta A. et Brender A., Les métamor­pho­ses de la société sala­riale, Calmann-Lévy, 1984.

6 – Les dernières simu­la­tions sta­tis­ti­ques sur les effets futurs des NTIC et de « l’ubérisa­tion » de l’acti­vité son­nent comme des cris d’alarme pour tous ceux qui veu­lent main­te­nir l’idéologie du tra­vail et le sala­riat comme système de repro­duc­tion prédomi­nant des rap­ports sociaux. Dans de nom­breux sec­teurs, les effec­tifs pour­raient être au moins divisés par deux. Et ce pro­ces­sus ne touche pas que les pays domi­nants. Les pays dits émer­gents sont eux aussi concernés.
Malgré tous les dis­cours assénés depuis la fin des années 1990 et les mou­ve­ments de chômeurs contre l’assis­ta­nat puis après l’épisode des 35 heures en faveur du « tra­vailler plus pour gagner plus », le recours au revenu garanti se pose à nou­veau comme on peut le voir avec le futur projet du député PS de l’Ardèche sur l’exten­sion du RSA aux moins de 25 ans.

7 – Il n’est donc pas ques­tion de « reve­nir au XIXe siècle » comme on l’entend par­fois dans les défilés ou sur les places. De la même façon, le slogan « le droit du tra­vail est à nous » marque une méconnais­sance de l’his­toire ouvrière et des conflits de clas­ses qui ont jus­te­ment, entre autres, été arbitrés et ins­ti­tu­tion­na­lisés dans le Code du tra­vail.

8 – Comme nous avons essayé de le définir dans notre modèle en trois niveaux (cf. le n° 15 de la revue Temps cri­ti­ques).

9 – Cf. J. Guigou « L’ins­ti­tu­tion résorbée », Temps cri­ti­ques n° 12, hiver 2001. Ici : http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle103

10 – Une logi­que de dénon­cia­tion qui conduit tra­di­tion­nel­le­ment la cri­ti­que dia­lec­ti­que à condam­ner la démocra­tie for­melle et le capi­tal alors que depuis les Indignados, la ten­dance mou­ve­men­tiste qui s’exprime un peu par­tout sur les places du monde entier y com­pris à Hong Kong et Taïwan est celle de « la démocra­tie ici et main­te­nant ».

11 – Dans Dérive à partir de Marx et Freud, Bourgois, col­lec­tion 10/18, 1973, Lyotard passe de l’écono­mie poli­ti­que à l’écono­mie du désir. Lordon embraye pres­que cin­quante plus tard avec La société des affects. Pour un struc­tu­ra­lisme des pas­sions, Le Seuil, 2015, dont la seconde partie du titre relève déjà en soi de l’oxy­more. Le contenu est du même ton­neau qui nous présente non pas la vision hégélienne de la dia­lec­ti­que du maître et de l’esclave, mais celle qui affirme le plai­sir dans la domi­na­tion, un plai­sir qui se trou­ve­rait fina­le­ment des deux côtés, domi­nant comme dominé. À propos du tra­vail il y aurait donc deux vérités, une objec­tive qui est celle de l’exploi­ta­tion et l’autre sub­jec­tive qui fait qu’on peut trou­ver un cer­tain plai­sir, sous des formes diver­ses, à cette inégalité de fond. Il confond visi­ble­ment le rap­port hiérar­chi­que et l’exploi­ta­tion avec le maso­chisme, Merci patron et Portier de nuit.

12 – Même si nous avons dit qu’il col­lait bien au mou­ve­ment des places dans son état actuel, il ne faut pas accor­der trop de crédit aux dires de Lordon qui dit tout et son contraire : ainsi il vante sa trans­ver­sa­lité et son hori­zon­ta­lité tout en décla­rant dans son der­nier livre Impérium (La Fabrique, 2015) que la domi­na­tion étati­que du ver­ti­cal sur l’hori­zon­tal est néces­saire. L’hori­zon­ta­lité ne peut être qu’une « ten­sion », mais la ver­ti­ca­lité s’impo­se­rait tou­jours dans les corps sociaux et qu’elle s’exprime le mieux dans la prégnance quasi orga­ni­que de l’appar­te­nance natio­nale (cf. La cri­ti­que de Ph. Corcuff dans Libération du 14 avril 2016). Dans Grands for­mats, dos­sier « Nuits debout », on apprend aussi qu’il est pour « l’insur­rec­tion » mais qu’il faut l’orga­ni­ser ! On ne saura pas qui est le « on » et donc on ne saura pas non plus quelle est la différence dans ce cas entre insur­rec­tion et grand soir bolchévique.

13 – Ainsi, en Allemagne, pour se prémunir du retour d’un scénario à la Hindenburg-Hitler, mais en même temps pour se protéger sur le front de l’Est (RDA et URSS), l’Allemagne a ins­crit, dans sa Constitution de 1949, une clause par­ti­culière, dite « clause d’éternité » inter­di­sant la remise en cause de la forme par­le­men­taire de l’État. Pour Carl Schmitt qui offi­ciait encore à l’époque en tant que grand juriste cons­ti­tu­tion­na­liste, cela établis­sait « une dic­ta­ture sou­ve­raine légale ». Cela fut d’ailleurs confirmé avec la rapide inter­dic­tion du KPD sta­li­nien. Il ne s’agis­sait donc en rien d’une mesure d’excep­tion.
En France, les « lois scélérates » contre les anar­chis­tes, les lois de 1934 contre les fac­tieux réutilisées par le Front popu­laire contre les apa­tri­des radi­caux et les lea­ders d’orga­ni­sa­tions anti-colo­nia­lis­tes, l’arti­cle 16 de la cons­ti­tu­tion gaul­liste, la dis­so­lu­tion des orga­ni­sa­tions gau­chis­tes en juin 1968, les tri­bu­naux et cours spéciales de jus­tice des années 1970 confir­ment la nor­ma­lité de ces lois coer­ci­ti­ves au sein même des démocra­ties et ne signa­lent nulle fas­ci­sa­tion, contrai­re­ment à ce que cla­ment les anti­fas­cis­tes pro­fes­sion­nels.

14 – Cf. la pétition des 300 uni­ver­si­tai­res, artis­tes, mili­tants asso­cia­tifs « sur un pou­voir qui matra­que » dans Libération du 21 avril 2016.

15 – Il faut reconnaître à la radio en ligne Nuit debout une cer­taine qualité. Ses rup­tu­res avec la mono­to­nie des comp­tes rendus des AG et com­mis­sions par le fait d’y convier des inter­ve­nants qui ont quel­que chose à dire sont les bien­ve­nues.

16 – Pour une cri­ti­que du privé comme poli­ti­que et des par­ti­cu­la­ris­mes radi­caux, on peut se repor­ter aux deux livres de J. Wajnsztejn, Capitalisme et nou­vel­les mora­les de l’intérêt et du goût, L’Harmattan, 2002 et Rapports à la nature, sexe, genre et capi­ta­lisme, Acratie, 2014.

17 – Dans un entre­tien récent à propos de Nuit debout (voir ici : https://www.media­part.fr/jour­nal/culture-idees/300416/jac­ques-ran­ciere-la-trans­for­ma­tion-d-une-jeu­nesse-en-deuil-en-jeu­nesse-en-lutte), Jacques Rancière — plus que jamais obnu­bilé par l’abso­lu­tisme égali­taire — sou­li­gne qu’une des limi­tes de ce mou­ve­ment serait « la fétichi­sa­tion de l’assemblée ». Il met en garde les acti­vis­tes des places dans ces termes : « que le désir de com­mu­nauté égale ne freine pas la puis­sance d’inven­tion égali­taire ». Mais de quelle com­mu­nauté au juste parle-t-il ? Cela reste imprécis. Implicitement c’est à deux formes ancien­nes de com­mu­nauté aux­quel­les il se réfère : la com­mu­nauté ouvrière des luttes de clas­ses dans la société bour­geoise (cf. La Commune) et la com­mu­nauté natio­nale dans cette même société bour­geoise. Or ces deux formes sont aujourd’hui en grande partie cadu­ques et il ne se réfère guère à la com­mu­nauté humaine comme pers­pec­tive. Tout juste avance-t-il la nécessité de « créer du commun », comme d’autres cher­chent à se « réappro­prier les com­muns » (Hardt-Negri, Dardot-Laval) en tant que média­tion vers la com­mu­nauté humaine.

18 – La feuille mar­seillaise Camarade (jour­nal com­mu­niste gra­tuit dont l’adresse élec­tro­ni­que est anti­ges­tion@­ri­seup.net et le site 19h17.info) com­prend dans son numéro 2 une bonne ana­lyse des limi­tes de cet insur­rec­tion­nisme et mar­quent bien l’ambi­va­lence d’un mou­ve­ment dont nombre de mem­bres sou­hai­tent le capi­tal, mais sans les capi­ta­lis­tes. Cf. aussi les indi­vi­dus qui ani­ment « tan­quil.net ».

19 – « Reconductible » rajou­tent cer­tains pour faire bonne mesure et comme si cela pou­vait sonner comme un aver­tis­se­ment contre toute hypothèse bureau­cra­ti­que d’une grève générale d’un jour… qui n’est même pas à l’ordre du jour !

20 – Certains slo­gans sont à cet égard très révélateurs. Le « On vaut mieux que ça », très répandu et consen­suel, est emblémati­que du côté « affir­ma­tif » et non pas négatif du mou­ve­ment. Il est un signe patent de la rup­ture avec le fil rouge des luttes prolétarien­nes. La lutte pour des places est reven­diquée au lieu de la lutte de clas­ses. Le « système » ne reconnaît pas « nos » mérites, il nous traite mal, il sous-emploie nos capa­cités, il gas­pille de la res­source humaine. C’est tout à fait vrai, mais c’est un point de vue indi­vi­duel qui, même agrégé à d’autres points de vue indi­vi­duels, ne donne aucune force col­lec­tive.
Un autre slogan, plus négatif celui-là, a fleuri ces der­niers jours sur les murs des lycées sous forme d’affi­chet­tes ; il s’agit du « Se lever pour 1200 euros par mois c’est insul­tant ». Le « se lever » signale peut être une référence au « droit à la paresse », mais le « 1200 euros » signale sûrement à quel point la culture de la « thune » est deve­nue domi­nante. Les auteurs (affi­chet­tes sans signa­ture) pen­sent sûrement valoir plus eux aussi et se sentir insultés par le niveau du SMIC, mais ce qu’ils expri­ment là sans le savoir, c’est leur mépris pour tous ceux qui doi­vent concrètement aujourd’hui s’en conten­ter.

Documents joints

Un printemps en France ? Projet de loi-Travail et Nuit debout
(Format A5, 32 pages, 8 feuilles A4, PDF – 193.7 ko)

 

Paris 11e/20e : attaques contre Pôle Emploi et Espace Insertion

Indy Nantes, 25 mai 2016

Dans la nuit du 23 au 24 mai 2016, le Pôle Emploi rue des Nanettes, dans le XIe arrondissement de Paris, a été attaqué. Deux tags sont apparus sur la façade, « ni loi ni travail » et « révolte » et trois vitres sont tombées.

Dans le XXe arrondissement, c’est l’Espace Insertion rue de Buzenval, dans le XXe arrondissement, qui a pris cher lui aussi. Sa façade a été repeinte jusqu’au premier étage et des vitres ont été étoilées.

Une dizaine d’autres suppôts du travail ont été épargnés mais ils ne perdent rien pour attendre.

Du travail, y en a pas, ça tombe bien on en veut pas !

Quelques chômeurs et chômeuses en heures sup’

Rennes : attaque solidaire de Pôle Emploi

Petite pique de rappel au pôle emploi

Indy Nantes, 25 mai 2016

Quelques insomniacs ont profité de la pénombre et de la tranquilité nocturne d’un quartier occupé et survolé par la police toute la journée pour aller exprimer leur colère.
Des vitres du pôle emploi de Rennes Sud, un des symboles du contrôle des pauvres, ont été étoilés à coup de marteau.

De jour comme de nuit, en solo, avec des potes ou en manif, ils ne pourront mettre des flics devant chaque entreprise, chaque institution, chaque responsable qui nous font la vie dure.
A nous d’être là où il ne nous attendent pas, de la manière qui nous convient le mieux.

Solidarité avec toutes celles et ceux qui subissent la répression, du taf à la taule, de la rue aux tribunaux comme dans les administrations.

Besançon] Contre la loi, le travail et les casseurs de la révolte / Récit des 17 et 19 mai

Le Chat Noir Emeutier reçoit et transmet:

Un récit des journées des 17 et 19 mai à Besançon et quelques éléments critiques sur leur déroulement.

Il y a eu quelques blocages à Besançon en marge des grandes messes syndicales, qui étaient prévues les 17 et 19 mai.

Mardi 17 mai, le lycée Jules Haag est bloqué dès son ouverture jusqu’à 11h. Malheureusement, ce blocus n’a pas permis de partir en manif sauvage et de rameuter du monde à la manif de 14h. Toutefois, une action est menée au centre-ville : la distribution de bouffe de merde du Quick de la Grande Rue est totalement interrompue pendant une petite heure à midi.

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A la fin de la manif de l’après-midi, 200 personnes décident de poursuivre la journée : une fois arrivées devant la préfecture, qui est devenue le lieu de dispersion à chaque manif. C’est le moment choisi pour la CGT de craquer plusieurs fumigènes, plutôt que de partir en cortège en direction de la gare Viotte dans le but d’envahir les voies. Un comité d’accueil d’une dizaine de flics casqués et de bacqueux nous attend. On se dit direct que ça va être chaud, mais on est déterminé à y aller. Pendant que certains se détachent du cortège pour mobiliser quelques flics à certaines entrées, d’autres se mettent à courir. Le dispositif policier est débordé, malgré le fait que les bleus aient obtenu du chef de gare que l’accès au souterrain qui donne accès aux voies soit fermé. Une bonne cinquantaine de personnes réussit à s’introduire sur les voies, non sans avoir pour certains récolté quelques coups de matraque. Tous commencent à s’enchaîner et à faire bloc. Les flics n’ont d’autre choix que de se tourner vers la grande majorité des manifestants restée à l’entrée des voies. Le chef de gare se met à intimider les manifestants et à les filmer, tout comme un cheminot syndiqué qui dit que c’est pas le moment et que la grève commence demain. Un manifestant lui rétorque que les actions spontanées de blocage sont nécessaires pour perturber les flux dans le cadre du mouvement. Notre « camarade » n’aime pas les imprévus. La grève, il la voit comme une routine, quelque chose qui ne doit pas déranger. Ce « camarade » a, bien sûr, tout fait pour empêcher les autres manifestants d’envahir d’autres voies. Mais alors que la situation était en notre faveur (les flics étant en sous-nombre par rapport aux manifestants), certaines personnes du groupe se sont faits monter la tête par quelques citoyens flippés et ont fait part de leur intention de partir, alors que ça faisait à peine 20 minutes que les trains étaient bloqués. En réalité, il semble que certains chefs auto-proclamés de la lutte aient négocié une présence sur les voies dès le départ avec le chef de gare. C’est bien mignon de scander des slogans contre le compromis des syndicats et la négociation du genre « on ne négocie pas la régression sociale, on la combat par la grève générale (qu’on peut attendre longtemps) ! ». Il serait peut-être temps de rompre avec les chefs, ces porte-paroles minables qui placent leurs pions dans l’échiquier politique de demain. Malgré la détermination apparente d’une bonne partie des gens présents à bloquer le trafic ferroviaire, la répression s’est faite dans les têtes. C’est la peur qui a maté notre force collective, et en aucun cas la police qui, si l’on en croit le torchon local du lendemain, a évacué manu-militari les opposants à la loi travail ».

L’une des « porte-paroles » auto-proclamée du mouvement à Besançon, Ariane Gallet, future politicienne du PCF, qui montre sa gueule absolument partout quand elle le peut, n’a pas hésité le lendemain à tenir des propos pro-flic auprès des journalistes de France 3 Franche-Comté (vidéo en bas de l’article) : alors qu’une trentaine de policiers se plaignaient devant le commissariat pour dénoncer la « haine anti-flic » dont ils sont la cible et ainsi exiger davantage de répression, cette collabo a tenu à apporter son soutien aux SO des syndicats CGT et FO de plusieurs villes qui, dit-elle, « sont attaqués par des « casseurs », pourtant bien connus des services de police ». La vieille théorie stalinienne des « éléments perturbateurs manipulés par le gouvernement » est recrachée sans qu’il n’y ait aucune réaction d’hostilité à son encontre. Gerbant ! Rappelons que ces fameux SO se font pourrir par une grande partie des manifestants, y compris depuis les rangs de syndicalistes et manifestants lambda, qui sont parfaitement conscients de leur fonction de milice réprimant aux côtés des flics. Un citoyen a aussi vomi sa collaboration de classe au micro de la radio locale « Radio Bip », clamant haut et fort que le problème n’est pas la police, mais le « comportement violent » de certains agents. En plus de « comprendre le ras-le-bol des policiers » (comme tous les bureaucrates syndicaux de FO et de la CGT), son ignorance crasse du rôle de la police (qui a pour but de mater tout mouvement de révolte) l’amène à dire sans rire « la police avec nous ». Oui, il y a des claques dans la gueule qui se perdent !

BlocagePasteur

Jeudi 19 mai à l’aube, une vingtaine de personnes barricade les nombreuses entrées du lycée Pasteur à l’aide de poubelles et de palettes, ainsi que de substances pour obstruer quelques serrures de portes. Le proviseur, rapidement sur les lieux, constate, dépité, le blocus. Comme d’habitude, il fait appel aux keufs qui, une fois arrivés, contrôleront une personne. Malgré les multiples alertes du proviseur concernant les risques de blocage de l’établissement depuis la rentrée, le blocus a bel et bien eut lieu. Par ailleurs, on apprend dans la presse locale que la permanence de Jacques Grosperrin (LR) a été recouverte de tags anarchistes dans la nuit.

Vers 10h00, un bruit court selon lequel il serait question de démonter les barricades du lycée avant de partir en manif sauvage. Cette rumeur n’en est pas une, et c’est une nouvelle tentative délibérée de ces mêmes négociateurs professionnels du mouvement « jeune » d’obéir aux coups de pression du proviseur et de l’administration. Cependant, ce réformisme ambiant ne reçoit aucun écho chez les lycéens de « Pasteur », qui s’organisent entre eux et sans chef. En effet, la tentative de la chefferie étudiante, qui une fois de plus parlemente au nom de tous, échoue clairement. Le cortège qui s’élance depuis le lycée est très bruyant, bien qu’il reste trop sage étant donné le peu de flics présents : après avoir emprunté les voies du tram et organisé un sit-in sur le pont Battant (bloquant un bon moment la circulation du tram), le cortège rejoint le parking d’où partait la manif de l’intersyndicale. La suite est morne, avec plusieurs personnes qui s’époumonent à gueuler des slogans dans le vide le long de rues désertes encadrées par les flics et les syndicats, sans croiser personne. Arrivés place Leclerc, quelques énervés prennent des barrières de chantier pour bloquer le gigantesque carrefour. Un journaflic de « l’Est Républicain », en quête d’images et de sensationnalisme, se fait volontairement bousculer par un manifestant masqué qui lui lance un « dégage collabo ». Après une longue pause sur le carrefour, le cortège prend la direction de la Chambre du Commerce et de l’Industrie, sur laquelle tags insurrectionnels et traces de peinture d’une attaque datant de plusieurs semaines sont toujours visibles (Il semble par contre que les vitres brisées aient été remplacées). Quelques flics anti-émeute ridicules stationnent au-dessus des marches. On voit sur le champs qu’ils ne sont pas confiants face à une foule de plusieurs centaines de personnes. Ce qui était prévu arriva : la foule avance en force et repousse les flics jusqu’au pied du bâtiment. Les casqués font usage de leur bombes lacrymo et gel au poivre, ce qui fait reculer la foule. Quelques pétards et projectiles volent sur la rangée des flics qui protège l’entrée de la CCI. Et là, qui se met entre la foule et les flics ? Un syndicaliste de la CGT, qui prend la parole au mégaphone pour dire « qu’il faut se calmer et partir ». Il se fait copieusement insulter (« vendu ! ; collabo ! »…) pendant plusieurs minutes.
Le reste sera sans intérêt (un feu encadré devant la préf’ et un pique-nique sur le carrefour à Chamars, occasionnant l’arrêt de la circulation des tram et des bagnoles).

Ce que l’on peut tirer comme enseignements de ces journées, c’est qu’il existe des ennemis identifiés qui se font plus bruyants et qui n’hésitent plus à se dissocier publiquement et à cracher à la gueule d’une partie de ceux qui composent cette « lutte » depuis le début. Il serait difficile de ne pas mettre cela en corrélation avec la répression étatique qui s’accroît partout ailleurs, particulièrement là où la révolte est intense : la répression ayant franchi un cap depuis le 12 mai avec de nombreuses interdictions de manifester (comme à Paris et à Nantes), des lycéens poursuivis pour « vol de poubelles » à Montpellier et des flics qui empêchent les blocages de lycées à l’aube, des contrôles judiciaires stricts et des incarcérations contre ceux qui mettent leur haine en pratique contre la flicaille et le capital (pour un « croche-patte » à un keuf zélé, un lycéen au casier vierge a été incarcéré en préventive à Nantes, dans l’attente de son jugement en Cour d’Assises pour « tentative d’homicide volontaire sur un policier »).

Les casseurs de la révolte (citoyens, politiciens et bureaucrates syndicalistes) sont des ennemis à combattre au même titre que l’Etat et ses flics. Il n’y a pas de réconciliation possible ni de « convergence des luttes » à mener avec ces partenaires sociaux qui refusent de voir l’antagonisme de classes qu’il existe entre exploités et exploiteurs, entre opprimés et oppresseurs. Montrons notre aversion face aux chefs, notre hostilité à ceux qui tentent de parler au nom de tous. Dégageons les journaleux qui ne perdent pas une occasion pour contribuer à la répression en cours (pour exemple récent, ce sont bien les clichés d’un journaflic de « L’Obs » qui ont permis l’arrestation de cinq personnes pour l’incendie d’une voiture de police ce mercredi 18 mai à Paris, en marge d’un rassemblement des gardiens de l’ordre place de la République).

Ces quelques critiques ne doivent en aucun cas avoir un effet paralysant, bien au contraire. C’est en se libérant de l’emprise de quelques-uns que nous représenterons à l’avenir un réel danger pour le pouvoir. La ministre du travail El Khomri compte venir ce vendredi 27 mai à Besançon. Elle prévoit de visiter la nouvelle école de Thierry Marx  à Palente (symbole de la “réussite sociale” et du goût du travail aliénant). Soyons prêts à l’accueillir comme il se doit.

Paris : un en prison préventive et trois sous contrôle judiciaire pour pour les accusés de l’incendie de la voiture de flics

 lu et copié sur  Brèves du Désordre

Voiture de police incendiée : trois des mis en examen remis en liberté

Le Monde | 25.05.2016 à 00h59

Trois des quatre hommes mis en examen dans l’enquête sur desviolences contre la police le 18 mai près de la place de la République à Paris ont été remis en liberté, mardi 24 mai, à l’issue de leur audience devant un juge des libertés et de la détention. Ils sont placés sous contrôle judiciaire.

Un autre a été placé en détention provisoire. Ils avaient été mis en examen pour tentative d’homicide volontaire et violences volontaires en réunion sur personne dépositaire de l’autorité publique. Le parquet avait réclamé la détention pour les quatre hommes, et a annoncé qu’il allait faire appel d’au moins l’une des remises en liberté.

L’attaque de la voiture de police avait eu lieu non loin de la place de la République, où se tenait une manifestation contre la « haine anti-flics » à l’appel de syndicats de police. Deux policiers de la compagnie du périphérique de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) se trouvaient à bord quand un objet ressemblant à un fumigène a été jeté à l’intérieur. Kevin Philippy, qui était au volant, a reçu dix jours d’incapacité temporaire de travail (ITT), sa collègue Alison Barthélemy quatre jours. Le premier ministre, Manuel Valls, avait réclamé des sanctions « implacables » contre ceux qui « veulent se payer un flic ».

Identifiés par un témoignage d’un policier infiltré

Etudiants pour les trois plus jeunes, âgés de 18 à 21 ans, au chômage pour le plus âgé, qui a 32 ans, les quatre suspects sont présentés par le parquet comme issus de la mouvance des « antifas », ce que certains d’entre eux contestent, d’après une source proche de l’enquête. Une source au ministère de l’intérieur a précisé au Monde qu’«  ils étaient déjà connus par les services ».

« Les investigations se poursuivent pour déterminer le rôle exact de chacun » et « interpeller d’éventuels autres suspects », avait fait savoir le parquet samedi.

Les suspects n’avaient pas été interpellés sur place mais identifiés après les incidents grâce à un témoignage anonyme, qui s’est avéré être celui d’un policier infiltré sur place, son nom apparaissant dans un procès-verbal par erreur, ont expliqué des sources proches du dossier.


Voiture de police incendiée : trois des mis en examen remis en liberté

AFP, 24/05/2016 à 21:44 (extrait)

Des vidéos de l’attaque, très relayées sur internet, montrent une personne brisant la fenêtre côté conducteur, puis une autre frappant le policier assis. Un autre homme casse la vitre arrière à l’aide d’un plot métallique puis un autre lance un fumigène allumé dans la voiture, provoquant l’embrasement du véhicule et forçant un policier et sa collègue à en sortir. Selon une source proche de l’enquête, aucun des quatre mis en examen, dont deux frères, n’est à ce stade soupçonné d’être celui qui a lancé le fumigène, mais les enquêteurs pensent que l’un d’eux est celui qui a brisé la vitre arrière de la voiture de police.

Ce dernier figure parmi les trois remis en liberté mardi sous contrôle judiciaire. A ce stade, le parquet a indiqué qu’il faisait appel dans son cas. Les suspects n’avaient pas été interpellés sur place mais identifiés après les incidents, grâce à un témoignage anonyme, qui s’est avéré être celui d’un policier infiltré sur place, son nom apparaissant sur un procès-verbal par erreur, ont expliqué des sources proches du dossier.

« Ce dossier est une farce honteuse », s’était insurgé samedi Antoine Comte, l’avocat du plus âgé des mis en examen. « Ce qui fait la particularité stupéfiante du dossier, c’est qu’il repose sur un renseignement de police recueilli après coup », avait dénoncé pour sa part une autre avocate, Irène Terrel, dénonçant des « pressions politiques » autour de l’affair

Espagne : Rien ne se termine ici (une lettre de Francisco Solar)

Brèves du Désordre

[Pour rappel, le compagnon Francisco (ensemble à Monica) a été condamné le 30 mars 2016 à 12 ans de prison pour « dommages et blessures à finalité terroriste » et relaxé des accusations d’« appartenance à une organisation terroriste » et de « conspiration ». La justice lui reproche d’être l’un des auteur de l’attaque explosive contre la basilique de Saragosse en octobre 2013]

Communiqué de Francisco Solar : Rien ne se termine ici.
Sur la nécessité d’assumer nos choix dans toute leur dimension.

“Les prisonnier-e-s anarchistes ne sont pas seul.e.s ” ou “s’ils touchent à l’une, ils nous touchent toutes” sont des slogans qui, une fois de plus, se sont incarnés en pratique, dans l’agir quotidien anarchiste, avant, pendant et après le procès qui a eu lieu à notre encontre. Les cris de mépris envers l’autorité qui ont traversé les contrôles policiers et les murs des tribunaux ont provoqué une rage visible quoique contenue sur les figures des juges et procureurs et dessiné un sourire sur les nôtres. Au cours de ces trois jours, la présence dans la salle de visages solidaires, connus et inconnus, nous a rempli-e-s de fierté et de joie, privant totalement les accusations et réquisitions de leur velléité de menace. Ils ne pourront pas nous arrêter. Les actions subversives solidaires et négatrices de l’existant qui se sont multipliées dans divers territoires démontrent une fois de plus que nous sommes partout, que nous ne connaissons pas de frontières et que la solidarité est inséparable de notre pratique.

Aux compagnon-ne-s qui ont parié et continuent à miser sur l’affrontement, s’aventurant, tentant de faire de leurs vies le reflet de leurs désirs, de leurs élans et de leurs passions d’en finir avec le pouvoir partout et sous toutes ses formes , qui ne se satisfont pas de discours creux et auto-complaisants, qui insistent et s’exposent dans des gestes de solidarité active, j‘envoie tout mon respect et ma tendresse. Leur audace et leur courage me confortent énormément. C’est dans cette tentative de faire ce qu’on dit et ce qu’on pense, de transformer en fait les discours et les idées, que nous commençons à nous approprier nos vies, que nous cessons d’être des spectateurs pour devenir des acteurs désireux de prendre les rênes de leur existence en main, en définissant de manière autonome nos priorités, nos rythmes, nos temps et nos projets. En prenant l’initiative, nous nous positionnons à l’offensive, sans attendre que des évènements ou des appels de mouvements qui n’ont rien à voir avec nous surgissent et viennent déterminer notre lutte. Nous avons une riche histoire, des idées fortes et beaucoup d’imagination pour nous réinventer constamment. Assumer la vie dans cette perspective revient aussi à assumer la prison dans la mesure où elle est inséparable d’une position de confrontation. La prison fait partie de notre quotidien, non seulement pour nous qui sommes à l’intérieur, mais aussi pour toutes celles et ceux qui font le pari du conflit permanent contre le pouvoir. Elle est dans nos conversations, dans nos pensées et dans nos projets, elle est présente à chaque pas que nous faisons sur le chemin pour la libération totale. C’est pourquoi il est indispensable de dédramatiser ce sujet.

Pour tenter de creuser un peu cette idée : lorsque nous optons pour mener une vie contraire à toute forme d’autorité et de pouvoir, en nous déclarant ouvertement ses ennemis, nous en assumons les conséquences, entre autres la prison, de même que nous assumons beaucoup d’autres éléments que ce positionnement implique. Cependant, tout commence avec notre choix librement consenti de combattre l’existant, et le passage par la prison étant contenu dans ce choix, elle en fait partie. En regardant dans l’histoire, nous pouvons voir que toutes celles et ceux qui ont tenté de détruire le pouvoir ont eu à faire avec la prison, directement ou indirectement. La prison devient inéluctable pour quiconque décide de suivre la pratique dont il est question, plus qu’une possibilité, elle se transforme en sorte de certitude, en conséquence difficile à esquiver. Elle devient inséparable de la lutte. Alors, si la prison est un élément qui fait partie intégrante de la vie que nous choisissons, nous pouvons affirmer qu’en définitive, il s’agit d’une option. Nous sommes conscients des risques qu’implique le fait de s’affronter à l’autorité et pourtant nous nous y aventurons, nous nous attachons à tenter de créer des fissures qui provoquent des ruptures dans cette réalité en sachant que nous pouvons passer beaucoup de temps enfermé-e-s, car de la même manière que la prison devient une certitude, nous avons la certitude que nous n’en finirons pas avec le pouvoir.

L’anarchisme est une tension, pas une réalisation. Dire cela ne signifie pas appeler à la passivité, au contraire, c’est la recherche constante de moments de liberté, ainsi que l’extension et la multiplication de ceux-ci qui donne de la chaleur et de la couleur à nos vies. C’est la tentative de briser avec les vérités absolues qui nous encourage à
continuer.Ainsi, si nous partons du principe que la prison, même si nous essayons de l’éviter, se transforme en option assumée dès lors que nous assumons la lutte, il est nécessaire de comprendre qu’avec elle rien se termine, qu’elle ne représente pas le point culminant de projets, d’idées et de pratiques, mais un autre espace à partir duquel lutter, d’où poursuivre la lutte. C’est ainsi que j’ai l’intention de vivre ces années d’enfermement, de les comprendre comme faisant partie d’une option prise, une option qui, malgré les limites évidentes et connues, pose une perspective différente, non seulement en ce qui concerne la lutte anti-carcérale, mais aussi la lutte anarchiste en général. Dans ce sens, je pense que les anarchistes en prison nous ne sommes pas seulement des “prisonnier-e-s”, nous réduire uniquement à cette définition reviendrait à limiter nos questionnements en empêchant que continuions à participer à la lutte pour la libération totale dans toute son amplitude et sa complexité. Nous considérer seulement comme des “prisonnier-e-s”, centrer toutes nos initiatives sur le cadre de la vie en prison, serait pratiquement nous reléguer à l’espace dans lequel le pouvoir nous oblige à être et je pense qu’il est nécessaire d’essayer de dépasser cela. Nous ne serons pas toujours emprisonné-e-s, nous ne sommes que temporairement en captivité pour ensuite sortir d’ici et tenter de contribuer aux dynamiques anarchistes dans la rue. En définitive, nous percevoir exclusivement comme des “prisonnier-e-s” équivaudrait à nous anéantir politiquement, ce qui est, entre autres choses, ce que veut le pouvoir.

D’autre part, les luttes et revendications à l’intérieur de la prison font évidemment partie de notre agir, c’est une constante qui marque notre quotidien car il est impossible de rester en marge, leur approfondissement et leur multiplication, tout comme la tentative d’aiguiser des positions, des pratiques et des idées constituent autant d’aspects présents dans la dynamique anti-carcérale qui se renforce à mesure que nous créons et que nous tissons plus étroitement des liens d’amitié et de complicité. Cependant, cette perspective anti-carcérale ne se développe pas ni à part ni en parallèle à la lutte anarchiste, elles se complètent et se renforcent. La lutte pour la libération totale implique la lutte contre les prisons puisqu’elles constituent l’une des expressions les plus patentes de la société, elles sont une des preuves les plus claires de la misère de l’existant. Dans chaque initiative libertaire il y a l’idée et l’intention d’en finir avec les prisons, la participation des prisonnier.e.s anarchistes aux différentes expériences de confrontation, de discussion ou de débat amène nécessairement le point de vue anti-carcéral, mais comme je le disais auparavant, elle ne doit pas en rester là si l’on veut mettre à bas les murs et ne pas être
réduits à cet espace.

Rien n’est terminé, tout continue.
Dans la confrontation, récupérons nos vies.
Vive l’anarchie.

Francisco Solar.
Printemps 2016

[Traduit de l’espagnol d’Indy Barcelone, 21 mai 2016]

Grenoble (Isère) : à chacun sa manière [Mis à jour]

Brèves du désordre

Le siège du PS visé par des tirs cette nuit à Grenoble

F3 Alpes, 23 mai 2016 à 15:30

Au moins une douzaine d’impacts de balles sur la devanture du siège du PS de Grenoble cette nuit : une enquête a été ouverte.

Le siège du Parti socialiste de l’Isère à Grenoble, rue Nicolas-Chorier, a été la cible de tirs d’armes à feu dans la nuit de dimanche à lundi.

Plusieurs douilles ont été retrouvées au sol, 5 ou 6, nous a précisé la police. Il s’agirait d’un calibre de 9 mm. En tout une douzaine d’impacts ont été relevés sur le volet roulant.

Plusieurs détonations ont été entendues dans la nuit par des riverains, qui ont appelé la police. Une patrouille a d’abord cherché à localiser un ou des individus armés, en vain. Ce n’est qu’au matin que les douilles ont été trouvées.

La police et l’identification judicaire sont actuellement sur place, ils n’ont trouvé aucune revendication sur les lieux. Un responsable du Parti socialiste du département de l’Isère est également arrivé, sans faire de commentaire pour l’instant. Une enquête pour « dégradation volontaire avec arme » a été ouverte et confiée à la Sûreté départementale de l’Isère.


Le PS s’inquiète de la multiplication d’actes de vandalisme contre ses locaux

Le Monde | 23.05.2016 à 18h45 |

Et maintenant, des tirs à balles réelles. Lundi 23 mai au matin, en découvrant douze impacts de calibre 9 mm sur le rideau de fer du siège de sa fédération de l’Isère, à Grenoble, le Parti socialiste (PS) n’a pu que prendre acte d’une nouvelle escalade dans les attaques contre ses locaux, qui se multiplient depuis des semaines. Si aucune trace de revendication n’a été retrouvée sur place et que les raisons des tirs sont encore inconnues, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, n’a pas eu besoin de ces informations pour dénoncer « une atteinte insupportable à la vie démocratique dans notre pays ». « Une enquête pour dégradation volontaire avec arme a été ouverte et confiée à la sûreté départementale de l’Isère », a-t-il également annoncé dans un communiqué.

« Nous condamnons avec la plus grande fermeté et nous allons immédiatement porter plainte », a de son côté réagi le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, auprès du Monde, dans la matinée. Depuis près de deux semaines, le député de Paris, qui a écrit « à tous les partis pour leur demander de réagir », dénonce un « climat des années 1930 » qui serait selon lui en train de s’installer dans le pays dans l’indifférence générale.

Les photos, parfois impressionnantes, de dégradation de locaux publiées depuis plusieurs jours sur le blog anonyme et ironiquement appelé « PS Déco » n’ont en effet pas beaucoup ému l’opinion publique ou les médias. On peut pourtant y voir un local aux vitres entièrement brisées à Lyon, le 10 mai, une inscription « Valls on te pendra » sur la devanture du local de la section de Rouen (le 19 mai), des énormes jets de peintures roses sur tout le mur de la fédération de Lille (le 15 avril), l’intérieur du local du Havre complètement saccagé (le 11 mai)… mais aussi des dégradations bien plus légères comme des petits tags sur les murs (Valence, le 2 mai), des murs en parpaings construits devant la porte (Toulouse, le 17 mai) voire même de simples affichettes collées avec du scotch (Rodez, le 12 mai).

31 attaques depuis décembre selon le Parti socialiste

Pour l’heure, difficile de différencier clairement ce qui relève de véritables saccages (comme par exemple à Caen où les dégâts ont été estimés à 20 000 euros) et les dégradations plus mineures. Le PS a communiqué au Monde, mardi, une liste faisant état de 31 attaques depuis le 14 décembre contre divers locaux socialistes et qui montre une nette accélération depuis la fin du mois d’avril, mais elle mêle tous les actes, quelle que soit leur gravité.

Toutefois, pour le moment, au moins trois parlementaires socialistes visés ont estimé que les faits méritaient d’être traités par la justice et ont porté plainte : Catherine Lemorton en Haute-Garonne, Laurent Grandguillaume en Côte-d’Or et Bernard Roman dans le Nord, deux fois. Quatre fédérations socialistes ont fait de même : celles de l’Hérault, du Calvados, de Seine-Maritime et de l’Isère. Cette dernière compte déposer une sixième plainte suite aux tirs à balles réelles de mardi matin.

Valence( Drôme) chronique de la répression ordinaire et 2016, « année de la Marseillaise »

On publie ce texte . ; c’est une mise au point après une discussion qui a eu lieu  devant le  blocage du lycée Camille Vernet avec une animatrice de nuit debout Romans.. Celle -ci se justifie d’avoir chanté la marseillaise au mégaphone parmi le cortège lycéen lors de la manifestation du 9 mars contre la loi El Khomri

le 3 mai des adultes ( l’administration du lycée) ont utilisé leur violence pour tenter d’empêcher le blocage lycéen tout celà sous les yeux d’un flic en bourgeois  .

Note : pour ce blocage trois lycéenEs ont été condamnéEs par l’administration du lycée Camille Vernet

A ce jour cette répression reste inaudible parmi les syndicats valentinois. et aussi par tout ceux et celles qui ont participé aux manifestations  contre la « loi travail »

Après les propositions de loi « Jour de Mémoire » et « Journée du drapeau » déposées par des parlementaires, le président de la république, grand maître du barnum patriotique, a décidé de faire de l’année 2016 l’« année de la Marseillaise » à l’école. Et comme à son habitude, l’Education nationale a mobilisé dans l’urgence toute sa hiérarchie, frissonnante de peur ou d’enthousiasme, pour satisfaire le dernier caprice en date du chef, après beaucoup d’autres.

Comme le précise la circulaire parue le 3 février au BOEN, il s’agit de faire « célébrer » ce chant dans le cadre « du parcours citoyen et du parcours d’éducation artistique et culturelle de chaque élève ». Car pour l’Education nationale, il ne fait pas de doute que la citoyenneté et la culture sont solubles dans la Marseillaise. De fait, c’est un véritable phagocytage du monde éducatif et du quotidien des élèves et même au-delà qui se voit ainsi mis en œuvre :

- par une « mobilisation des chorales scolaires » ;
- à travers la réalisation de travaux interdisciplinaires, dont on voit qu’ils peuvent servir à tout à condition de savoir s’en servir ;
- sur temps scolaire également, pendant les cours d’histoire et d’éducation morale et civique (EMC) ;
- dans le cadre de la Fête de la musique, où « une attention toute particulière devra être accordée à l’interprétation de l’hymne national » (reviens, Wolfgang, ils sont devenus fous…) ;
- dans le cadre des manifestations sportives (coupe d’Europe etc) ;
- sans oublier, naturellement, « la participation des élèves aux commémorations patriotiques », dernière lubie de l’Education nationale ;
- le tout appuyé par un partenariat renforcé avec des institutions aux compétences éducatives bien connues comme le ministère de la Défense et les associations d’anciens combattants.

La présence de la Marseillaise à l’école n’est pas une chose nouvelle, incrustée dans les programmes d’éducation civique depuis 1985, malgré les critiques récurrentes qui lui sont adressées, portant à la fois sur sa finalité comme sur ses modalités d’appropriation par les élèves confrontés à des tournures de style, à une phraséologie datées, à une rhétorique ambigüe, qui la rendent, au choix, inintelligible, ridicule ou profondément perverse, ou les trois à la fois. Car quoiqu’on puisse avancer sur le contexte révolutionnaire de sa création, il reste quand même une contradiction fondamentale qui consiste à promouvoir une éducation à la citoyenneté qui s’appuierait sur la violence, la légitimité de la guerre, la haine et la déshumanisation de l’autre vu comme un ennemi.

Contradiction, également, entre le principe d’esprit critique que l’école est censée développer chez les élèves et la sacralisation d’un hymne, d’une sorte de prière obligatoire aux fondements d’ailleurs tellement peu solides que le législateur s’est senti obligé de le protéger par la contrainte d’un impensable « délit d’outrage aux symboles nationaux », punissable de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.

Contradiction, surtout, au regard de la finalité ultime attribuée à la Marseillaise, à l’école comme dans la vie : car un hymne national restant par principe un hymne à la nation, il paraitrait curieux que celle-ci n’ait jamais de comptes à rendre, surtout dans le contexte actuel où l’hysterisation des questions identitaires corrompt en profondeur le débat public. Dans le cadre du lancement de sa nouvelle campagne de communication, Najat Vallaud-Belkacem, en représentation devant les enfants d’une école du Val-de-Marne (et devant les caméras) s’est laissée aller : « C’est un hymne dont on a bien vu qu’il est rassembleur, qu’il permet de porter un certain nombre de valeurs de la France, de combat pour la dignité de l’homme pour les libertés. »

« Dignité de l’homme pour les libertés » ? C’est pour rire, madame la ministre ? Car cette dernière pantalonnade patriotique qui cible une nouvelle fois l’école – après le déploiement du drapeau en façade des établissements, après le recentrage des programmes d’histoire sur le fait national, après le détournement, l’instrumentalisation des anniversaires historiques, après la militarisation du « parcours de citoyenneté » – est d’autant plus indécente qu’elle relève de la même logique que celle qu’on voit à l’œuvre dans toute la politique nationale/sécuritaire conduite ces derniers mois par des politiciens en plein naufrage. « Dignité de l’homme pour les libertés », quand le gouvernement décrète l’état d’exception permanent, quand il s’essuie les pieds sur les libertés publiques et se couvre de honte en avançant des mesures ouvertement discriminatoires ? « Dignité de l’homme pour les libertés » quand des milliers de réfugiés viennent s’échouer contre les barrières dressées aux frontières au nom de « la défense des intérêts nationaux » ? La mort d’Aylan et de centaines d’enfants dans des conditions épouvantables : la nation, son orgueil et sa suffisance, sa grande peur de l’autre, sa brutalité, son éternelle bonne conscience n’y seraient pour rien ? Et faut-il vraiment que de ce côté-ci des frontières, on s’obstine à empoisonner les enfants dès leur plus jeune âge par des hymnes et des représentations dont l’effet le plus sûr est de les empêcher de grandir dans la tolérance et le respect de l’autre, de se voir comme des humains plutôt que comme des Français ? La vie en société, la vie dans le monde, devenir adulte, ça ne s’apprend pas avec des cantiques ou des leçons de morale, les belles paroles, les grands discours ou les mouvements du menton mais bien plutôt dans le quotidien d’une salle de classe.

L’année de la Marseillaise à l’école, ce n’est pas seulement une sinistre farce, c’est le signe d’un régime politique qui a perdu, avec le sens des réalités, toute conscience morale.

[Bâle, Suisse] Incendie d’une voiture du constructeur de prisons ‘BAM’ – 16 mai 2016

repris du le  Chat Noir Emeutier

Bam, Bam… brûle!

bam-f520f-92f36-1Le ‘Bam international Group’ planifie et construit partout dans le monde des zones d’enfermement et de contrôle, comme par exemple des prisons en Belgique et en Allemagne, des écoles, des centres de biotechnologie, des postes de police et d’autres projets d’infrastructures importants pour le maintien de l’existant. La filiale suisse de ‘Bam’ s’enrichit aussi de ce travail horrible, comme par exemple avec le centre judiciaire de ‘Burgdorf’ à Berne. De nouvelles prisons sont prévues et construites partout, ainsi que l’extension des murs de la prison pour sans-papiers de ‘Basslergut’ à Bâle.

La nuit dernière [16 mai 2016, NdT], le feu – qui a jailli continuellement à l’intérieur et autour des prisons belges ces dernières années (et qui est justement très actuel) – s’est propagé à une voiture de ces collaborateurs de taules à Bâle.

Solidarité offensive avec tous les amants de la liberté qui gardent la tête haute.

1000 raisons d’attaquer.

[Traduit de l’allemand de contrainfo, 17 Mai 2016]