Le revenu ou salaire garanti est encore aujourd’hui défendu par nombre de courants, qui vont des libéraux jusqu’à l’extrême gauche. Petit tour d’horizon critique.
Les tenants libéraux du revenus garantis.
Une des premières manifestations du revenu garanti vient d’économistes entre le keynésianisme et le libéralisme. Parmi eux on peut citer Tobin, l’inventeur (libéral) de la taxe qui porte son nom. Celui ci avait notamment persuadé le candidat démocrate aux élections présidentielle américaine de 1972 Mac Govern d’inclure le revenu garanti à son programme. Raté, ce fut l’une des plus cuisantes défaites des démocrates, face au républicain Nixon.
En résumé (avec plus ou moins d’emballage) ce type de revenu est un parachute minimum qui permet d’avoir de quoi survivre très chichement. En échange, plus question de sécu, de retraites, etc : prend l’oseille et tire toi !
Si on met de côté les tenants libéraux d’un revenu minimal de base, en réalité une arme pour démanteler les couvertures sociales actuelles et faire pression sur les salaires, on peut énumérer trois différentes propositions de salaires garantis.
1) La proposition de Bernard Friot, qu’il a baptisé « le passage à la convention salariale du travail ».
Disons le tout de suite : cette proposition ressemble à un (mauvais) remake d’une (bonne) BD des années 80 : SOS bonheur. C’est assez fou, d’ailleurs. Cependant, si on devait faire un classement, on pourrait considérer cette proposition comme étant « la plus radicale ». Il s’agit tout de même de socialiser l’ensemble des profits.
Elle repose sur un récit historique qu’on peut résumer ainsi : Dans une partie des grands pays capitalistes dont la France, le 20e siècle aura été « LE » siècle de la montée en puissance du salariat, ( ce qui est juste) et de la cotisations sociale. Cette montée en puissance, particulièrement sur la phase 1945-1980, a ensuite été battue en brèche par ce que Friot appelle « la réforme ». Celle ci a consisté depuis lors à une attaque contre les cotisations, le tout pour « restaurer » la valeur travail et le capitalisme. ( voir notre notion sur la restructuration)
Il s’agirait alors, dans l’intérêt des prolétaires, de peser pour empêcher cette restauration, mais aussi pour faire une genre de révolution sociale qui instaurerait un autre type de société.
Dans cette société nouvelle, les profits serait versé comme cotisations servant à alimenter une sorte de caisse de sécurité sociale géante. Celle ci verserait ensuite de façon inconditionnelle un salaire, en fonction d’un niveau de qualification établi de 1 à 4 ( de 1500 à 6000 euros) et qu’on peut comparer avec les différentes catégories (ABC) de la fonction publique.
Ces niveaux de qualifications seraient attribués par des sortes de commissions bureaucratiques, qui de fait aurait le pouvoir énorme de classer la population en une des 4 catégories. Sans trop développer, vous imaginez un monde comme celui là : au moins, les rapports sont clairs entre les gens… Il suffit de demander à son interlocuteur de quel niveau il est, et on est fixé. Avec des super scène en perspective : « Moi, je ne laisserai jamais ma fille épouser un numéro 4 s’exclame Tonton Gilbert, un peu éméché, durant le repas de famille .»
De fait, dans le monde de Friot ( le Friotalisme ?) Les patrons ont été mis à la porte de leurs boites, qui sont désormais géré par un directeur d’entreprise ( mais ce directeur peut être l’ancien patron. Là dessus, Friot n’est pas clair) ; et le financement de l’économie est assuré par des sortes de mélange entre banque d’état et crédit mutuel. A noter que de ce côté là, le Friotalisme ressemble assez au capitalisme d’état de type soviétique.
Pour revenir à ce qui nous intéresse aujourd’hui, à Friotland, que vous travaillez ou pas, vous touchez un salaire qui vous est versé grosso modo par la sécu.
Friot appelle sa proposition « le passage de la convention capitaliste à la convention salariale », car pour lui, le capitalisme est une convention sociale, pas un mode de production. Cette formule est un peu difficile à traiter sérieusement parce qu’elle semble vouloir dire que le capitalisme, c’est comme le système métrique : quelque chose qui à été institué à un moment donné, et qu’on peut rectifier pour le rendre plus efficace, par le biais de décret.
Pour citer un extrait de son livre L’enjeu du salaire.
« Toutes les institutions sont des conventions car elles sont le fruit de rapports sociaux ; ce sont des constructions sociales en permanence travaillée pragmatiquement par ces rapports et qu’une action collective peut faire évoluer dans un sens délibéré politiquement. »
C’est peut-être ici que l’on peut comprendre un des problèmes central du raisonnement de Friot : Le capitalisme n’est pas une convention. C’est un mode de production. La valeur possède une existence réelle, bien que nous sommes d’accord pour dire qu’elle n’a rien de naturelle ( voir à ce sujet les notions qu’est ce que la valeur & la force de travail). Certes elle est issue d’un développement social et historique, mais c’est la base du système capitaliste : pour la supprimer, il faut en finir radicalement avec ce système.
2) Le salaire citoyen universel de Negri.
Cette proposition phare de A. Negri et du courant appelé couramment les négristes prend ses racines dans une vieille revendication : le salaire politique. Celle ci était déjà portée dans le début des années 70 par l’organisation Potere Operaio en Italie. Bien sûr, cette revendication à considérablement évolué depuis. Nous nous concentrerons sur son expression contemporaine : le salaire citoyen universel.
Celui ci repose sur l’affirmation que le capital a connu une grande mutation, la révolution des «Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication» (NTIC) qui transformeraient radicalement le travail et l’ensemble du système économique et social.
Cette grande mutation aurait donné naissance à un nouveau capitalisme : le capitalisme cognitif. Dans cette nouvelle configuration, le travail serait devenu de plus en plus intellectuel et immatériel. Par là même, la nouvelle figure du prolétaire révolutionnaire serait justement ceux bossant dans les NTIC, une masse d’intellos précaires baptisé « multitudes ». La richesse créée par cette multitude, dépendrait, pour résumer à grand trait, de leur créativité , leur inventivité. Elle ne serait donc pas lié avec le moment précis ou l’on bosse, mais diffuse, lorsqu’une idée émerge, dans l’air du temps, en quelque sorte.
On a envie de leur répondre : allez donc en parler un peu aux millions d’ouvriers chinois les iphones qui vous servent à jouer à candy crush… C’est en partant de ce constat, que les négristes mettent en avant la revendication d’un salaire citoyen universel , qui serait en fait la manière dont la société capitaliste paierait la création de valeur diffuse.
En dernière analyse, cette revendication à été réalisée par le capital, dans certains pays : il s’agit du RMI/RSA en France, par exemple. Bien sur, l’enjeu n’est pas celui prôné par les négristes, qui parlent donc « vrais revenus garanti » (ou de revenu garanti « optimal ») par opposition au RSA. Ces discours, on les entends sur chaque revendication, lorsqu’elle est intégrée par le capitalisme: après les 35 heures,par exemple, il fallait une « vraie réforme du temps de travail ».
Cette théorie est aujourd’hui un peu marginalisé, car elle n’a pas du tout vu venir la crise actuelle. C’est ce que montre une réponse de Negri, dans un entretien relaté dans le livre « Goodbye mister socialisme » daté de 2007, ou celui ci explique que les réformes néo-libérales sont terminées, et que l’Europe va relancer l’économie par de grandes mesures sociale, comme pourquoi pas le revenus citoyen… Oui, en 2007… Raté.
3) La proposition de Gorz, un hybride entre baisse du temps de travail et revenu garanti.
Nous ne nous attarderons pas trop sur la proposition de Gorz, qui n’est pas a proprement parler pour un revenu universel. Gorz, et avec lui d’autre économistes comme Jérémy Rifkins, voient dans la hausse de la productivité la perspective de la fin du travail. Il pense que cela se traduira par une hausse massive du chômage, et propose comme solution alternative de réduire le temps de travail, et d’annualiser, voir de décennaliser les heures. Pour simplifier, il propose que l’on puisse bosser a fond disons pendant un an, puis profiter d’une année sabbatique.
Des apologues du capital.
Toutes ces propositions ont une chose en commun : elles pensent que le capitalisme actuel a des défauts certes, qu’il faudrait amender, mais que c’est un système plein d’opportunité. Les bases d’une alternative viable y seraient déjà toutes contenues en germe. Pourquoi changer de voiture lorsqu’il suffit de changer de chauffeur et de repeindre la carrosserie ?
C’est en ce sens qu’on peut qualifier ces différents discours d’apologie du capital, ce qui est en dernière analyse une constante des discours réformistes depuis le début du capitalisme. Ces réformistes voudraient le capitalisme sans les capitalistes. C’est a la fois irréalisable, et le pire c’est que si ça l’était, ce serait de la merde.
Abolir le salariat, prendre des mesures communistes : une arme contre le capital.
Si ces projets se proposent de changer radicalement le capitalisme, pour gérer le salariat, il ne prennent pas en compte la dynamique même qui pourrait amener à ce changement : la révolution sociale. Or pour nous, l’abolition du salariat, ce n’est pas juste une belle idée : c’est une arme contre les capitalistes. Si, dans la révolution sociale, nous organisons la société en dehors des rapports capitalistes d’échanges et d’exploitation, à quoi leur servira leur capital, leur or, argent ? En somme, abolir le salaire, instaurer la gratuité c’est agir contre le pouvoir que procure l’argent.
Dans la crise actuelle, les différents discours réformistes ont une sacré épine dans le pied : le capitalisme, à l’heure actuelle n’est pas exactement en état pour améliorer les conditions des prolétaires de manière significative. On peut aller même plus loin : dans la période actuelle, toute nos mobilisations pour empêcher notre écrasement, le dégradations de nos conditions de vies, l’austérité, participe d’aggraver la crise du capitalisme.
Est-ce que a veux dire qu’il ne faut pas se battre ? Non, bien au contraire. Cela veux juste dire que nous n’avons rien à attendre du capitalisme, peu importe les manières dont on le gère : il s’agira toujours de gérer la pénurie qu’il organise. Enfin, poser la question de la révolution communiste, c’est aussi une perspective enthousiasmante. L’abolition du salariat, l’organisation révolutionnaire de la gratuité, l’abolition des classes, des genres, la fin de l’exploitation, c’est un monde nouveau, à explorer, loin, bien loin d’un aménagement du capital qui ferait de nous des citoyens, consommateurs responsable, etc.
Dans la crise actuelle, nous avons peut-être devant nous le risque effrayant d’une défaite qui serait synonyme d’un écrasement massif des prolétaires. Mais nous pouvons aussi gagner.
Et cela signifie ne pas s’arrêter au milieu du chemin. Nous voulons tout. Pour tout le monde.