Archives mensuelles : février 2015

[ Drôme]Centrale du Tricastin : feu vert pour dix ans de plus = 40 ans du réacteur n°2

On ne va pas rire d’une  ambulance, mais tout de même avec toute la  couverture  médiatique qu ‘il a bénéficié  ici et   ceux qui  s’intitulaient collectif  Stop Ticastin  ont été remis en place par les nucléocrates et le  mensonge continue avec ses opérations publicitaires et intégré dans le fonctionement  de l’état nucléaire et aussi  pour la carrière  bureaucratique de certains. Les spectacles  de toutes cette engeance qui proposent à la population sont intégrés dans le national- nucléarisme.

Et maintenant les choses sont devenus évidentes. !! on n’est pas moutons pour continuer ainsi sous domination

mais la décision est arrivée

source de la publication des nucléocrates

« Le réacteur n°2 de la centrale nucléaire du Tricastin est autorisé à fonctionner 10 ans de plus, jusqu’à ses 40 ans. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a signé l’autorisation cette semaine.

La décision ne sera officielle que dans quelques jours mais le chef de la division de Lyon de l’ASN l’a annoncée aujourd’hui aux membres de la Cligeet (Commission locale d’information des grands équipements énergétiques du Tricastin). »

 

ce n’est pas des individu-e-s enchaînées volontairement  qui vont faire reculer les nucléocrates

complément d’informations fournies par des individus associés:

. Areva-Eurodif Tricastin (Vaucluse – Drôme) 2015-DC-0486

Pour la Socatri qui est un maillon de l’opération Prisme ((Projet de Rinçage Intensif Suivi d’une MisE à l’air).

. Areva-Socatri Tricastin (Vaucluse – Drôme) 2015-DC-0487

 

L’être humain est la véritable communauté des hommes

de quelques discussions à Valence, éparses  ( de ci de là), la décision a été prise de publier ce texte recopié là.

Quelques dits sur l’événement de janvier 2015 à Paris

mardi 3 février 2015, par Temps critiques

Pourquoi notre intervention ?


En pre­mier lieu parce que nous ne sommes ni indifférents ni étran­gers à ce qui s’est passé, à l’hor­reur de l’événement. En second lieu parce que nous vou­lons mar­quer non pas notre différence, mais notre abso­lue sépara­tion d’avec une majo­rité de tracts ou textes de type gau­chiste qui font porter l’essen­tiel de leurs atta­ques non pas contre les assaillants ou ce qu’ils représen­tent, mais contre l’État français sans tenir compte des trans­for­ma­tions récentes de cet État. Elles pro­vien­nent soit d’une lec­ture anti-impéria­liste ou post-colo­niale très générale de la situa­tion, soit d’une lec­ture clas­siste et inter­na­tio­na­liste affir­mant des posi­tions de prin­cipe si éloignées de l’événement qu’elle pour­rait avoir été écrites il y a un an, dix ans ou même davan­tage à propos d’un tout autre fait.


Relevons quel­ques points com­muns entre ces appro­ches :


– un refus de l’événement en tant que tel qui conduit à ne parler que de ses causes pos­si­bles ou encore à tenter de l’expli­quer sans voir sa sin­gu­la­rité. Cela a pour effet de mini­mi­ser les actes eux-mêmes, voire de les jus­ti­fier impli­ci­te­ment ;


– une ana­lyse plaquée mêlant géopo­li­ti­que et sim­pli­fi­ca­tions socio-poli­ti­ques (impor­ta­tion des conflits extérieurs, Palestine occupée, quar­tiers en déshérence, jeunes à la révolte dévoyée, etc.) ;


– une dif­fi­culté à nommer « l’ennemi » par peur de favo­ri­ser l’islamo­phobie ou d’être traité soi-même d’isla­mo­phobe ou encore de perdre le contact avec les jeunes de ban­lieue. Il est remar­qua­ble d’ailleurs que cette dif­fi­culté soit com­mune à l’État et à ces « radi­caux ». Le terme utilisé pour le désigner devient alors « fas­ciste » ou « fas­ciste isla­miste1 » sans que la moin­dre ana­lyse vienne cor­ro­bo­rer une quel­conque res­sem­blance avec les différentes formes de fas­cisme his­to­ri­que ; la fina­lité du propos étant sans doute de rester en ter­ri­toire poli­ti­que connu de façon à ne pas avoir à se poser des ques­tions trop désta­bi­li­san­tes ;


– ces inter­ven­tions pro­vien­nent de per­son­nes ayant, pour différentes rai­sons, un res­sen­ti­ment contre le fait que les mani­fes­ta­tions qui ont suivi les atten­tats ont été une réussite et qu’elles ont pu, malgré tout, représenter autre chose qu’une mani­pu­la­tion gou­ver­ne­men­tale ou une illu­sion démocra­ti­que ;


– une absence totale d’empa­thie mini­mum avec les vic­ti­mes. On laisse enten­dre que les jour­na­lis­tes de Charlie à ten­dan­ces isla­mo­pho­bes l’auraient bien cherché, que quatre juifs assas­sinés c’est rien du tout par rap­port à la situa­tion faite à nos « pau­vres musul­mans » (lire Islam = reli­gion des pau­vres), vic­ti­mes reléguées et dis­cri­minées ou par rap­port aux enfants pales­ti­niens tués par l’armée israélienne ; qu’un bon flic est un flic mort2, etc.


Nous pou­vons com­pren­dre que ceux qui se pen­sent révolu­tion­nai­res soient dépités de se voir renvoyés à leur iso­le­ment et à « l’insur­rec­tion qui ne vient pas » ou encore à l’absence du prolétariat. Mais oppo­ser une froi­deur révolu­tion­naire à la froi­deur du capi­tal n’est que l’arme de ceux qui sont inca­pa­bles d’aimer pour­rait-on dire pour para­phra­ser J. Camatte. Ce n’est en tout cas pas le chemin qui peut per­met­tre d’ouvrir une brèche vers la révolu­tion à titre humain et la com­mu­nauté humaine.

Crise du couple État-nation et déclin du citoyennisme


Si le sen­ti­ment col­lec­tif qui s’est brièvement exprimé dans ce moment-Charlie est autant problémati­que à éluci­der ne serait-ce pas aussi parce qu’il échappe quel­que peu à nos modèles domi­nants en matière de théorie cri­ti­que ?


Le citoyen­nisme des années 1980/1990 n’était pas présent dans ces mar­ches, ces ras­sem­ble­ments. Pourquoi ? Parce que la figure tra­di­tion­nelle de l’État-nation ne l’était guère non plus. Pour que des poli­ti­ques citoyen­nis­tes, des orga­ni­sa­tions civi­ques (modi­fier le Service civil comme le sou­haite Hollande, par exem­ple) pren­nent corps socia­le­ment et idéolo­gi­que­ment, il faut que l’État assure les condi­tions ins­ti­tu­tion­nel­les et budgétaires de ces poli­ti­ques. Or, ce n’est plus le cas aujour­d’hui. Même la hiérar­chie mili­taire ne veut pas du rétablis­se­ment du ser­vice mili­taire pour tous puis­que la haute tech­ni­cité de la guerre moderne impli­que uni­que­ment des pro­fes­sion­nels qua­lifiés. De plus les dernières orien­ta­tions budgétaires visent une baisse struc­tu­relle des dépenses publi­ques dans ce sec­teur qu’une aug­men­ta­tion pour des rai­sons cir­cons­tan­ciel­les ne nous paraît pas infir­mer. Tout au plus, sui­vant en cela les der­niers son­da­ges d’opi­nion, l’État peut-il opter pour un ser­vice de quel­ques mois gérable au niveau de l’État-réseau ? Un ser­vice décen­tra­lisé, par exem­ple au niveau des régions, dans le cadre de tra­vaux d’intérêt général assor­tis d’un zeste d’ins­truc­tion civi­que pour faire bonne mesure ? Mais l’effort risque d’être vain. La ten­dance à l’État-réseau se réali­sant davan­tage, les média­tions de l’État-nation s’affai­blis­sant, la forme de l’indi­vidu-citoyen se dis­sout égale­ment. Par exem­ple, les rares réactions à cette res­tric­tion budgétaire pro­ve­nant des popu­la­tions civi­les ne se font pas au nom du patrio­tisme et de la défense du ter­ri­toire, mais des emplois menacés. D’ailleurs com­ment pour­rait-on être citoyen de la glo­ba­li­sa­tion et de la mon­dia­li­sa­tion ? À la limite les « branchés » de toute sorte peu­vent se sentir appar­te­nir au « vil­lage global », mais les autres (et nous parmi ces autres) nul­le­ment.


Cette nou­velle donne rend démago­gi­que les appels à une nou­velle citoyen­neté pour lutter contre un supposé « apar­theid social et eth­ni­que » comme vient de le faire Valls le 20 jan­vier der­nier. Pour garder la maîtrise de sa majo­rité et même tenter de l’étendre jusqu’à l’extrême-gauche et aux anar­chis­tes, habi­tuels déposi­tai­res de ce label, Valls durcit son lan­gage. Il prend la pose d’un com­mis­saire poli­ti­que qui conduit l’auto-cri­ti­que, blâme et culpa­bi­lise toute la classe poli­ti­que et il le fait dans des termes censés expri­mer un nou­veau radi­ca­lisme de gauche aux anti­po­des de l’extrémisme des solu­tions FN ou des effets d’annonce de Sarkozy (la poli­ti­que du Kärcher).


Laisser enten­dre que les ban­lieues en France seraient assi­mi­la­bles à ce qu’a été l’apar­theid en Afrique du Sud3 ou bien encore à cer­tai­nes ban­lieues américai­nes actuel­les c’est faire comme si la Républi­que n’y exis­tait plus du tout ; c’est parler comme ces jour­naux étasu­niens qui décri­vent des villes françaises en partie sou­mi­ses aux sala­fis­tes !


C’est aussi ren­voyer les quar­tiers où les musul­mans sont nom­breux à une sorte de « milieu » duquel on ne pour­rait sortir qu’à force de com­bi­nes, de tra­fics, d’appar­te­nance à des gangs voire… par des kalach­ni­kovs. Au lieu de cher­cher à cerner la com­plexité qui caractérise la dif­fi­cile repro­duc­tion des rap­ports sociaux dans cer­tai­nes zones, Valls ne fait que tour­ner le bâton dans l’autre sens : ah ! on igno­rait le degré de gravité de la situa­tion et les poli­ti­ques de la ville se sont avérées inadéquates, mais on va voir ce qu’on va voir main­te­nant que la poli­ti­que est remise au poste de com­man­de­ment ! Cette pos­ture à la Mao au petit pied ren­voie au néant tout le tra­vail qui se fait dans les ban­lieues de la part des ser­vi­ces publics, des ensei­gnants, des soi­gnants, des muni­ci­pa­lités, mais aussi les ini­tia­ti­ves des indi­vi­dus, des grou­pes des asso­cia­tions qui agis­sent dans les domai­nes écono­mi­que, social, cultu­rel, spor­tif, etc. De façon périphérique c’est aussi très contre-pro­duc­tif pour l’unité natio­nale préten­du­ment recherchée puis­que cela accroît, de fait, la stig­ma­ti­sa­tion de popu­la­tions dont on apprend qu’elles vivraient dans un autre monde.


Or, il reste que la Républi­que existe tou­jours dans les ban­lieues, mais que les réalités et la puis­sance des réseaux, ceux de l’État comme ceux des forces écono­mi­ques socia­les ou reli­gieu­ses y engen­drent ins­ta­bi­lité, ten­sions, conflits et vio­len­ces. À l’ancienne fixité des ins­ti­tu­tions républi­cai­nes, les­quel­les assu­raient une cer­taine sécurité, y com­pris pour la main-d’œuvre immigrée jugée néces­saire et dont l’arrivée se fai­sait par gran­des vagues suc­ces­si­ves, se sont sub­stitués des flux inces­sants et réver­si­bles de mar­chan­di­ses, de capi­taux et d’indi­vi­dus. Dans ce contexte, il n’est pas éton­nant que cer­tains de ces flux orien­tent des indi­vi­dus vers la Syrie… ou qu’ils revien­nent par le Yémen. Libre cir­cu­la­tion de la finance, des mar­chan­di­ses et des hommes, cela est certes la devise du libéralisme, mais elle ne s’était jamais autant matérialisée que dans la société capi­ta­lisée aujourd’hui.

Une pratique de la mémoire révolutionnaire ?


Dans cette « res­pi­ra­tion col­lec­tive », assez dif­fuse et frag­mentée qui a pu sur­pren­dre par sa promp­ti­tude, sa spon­tanéité et son ampleur, ne pour­rait-on y déceler une mémoire, une réacti­va­tion de cer­tains moments de la Révolu­tion française, notam­ment ceux qui célébraient l’union de la nation ? Une aspi­ra­tion à une com­mu­nauté d’êtres humains égaux et libres ras­semblés par leur seule volonté com­mune ins­ti­tuante4.


C’est l’idéal des révolu­tion­nai­res français les plus radi­caux d’une nation sans État. Une nation où ce sont les ins­ti­tu­tions qui orga­ni­sent la vie de la société. C’est le moment ins­ti­tuant de la révolu­tion, celui qui a été théorisé par C. Castoriadis avec sa notion « d’ins­ti­tu­tion ima­gi­naire de la société5 ».


Pour en reve­nir à la situa­tion présente, il faut remar­quer qu’aucune référence aux ancien­nes uto­pies de gauche n’a été visi­ble ni audi­ble dans le moment-Charlie. Le sens de com­mu­nauté humaine qui impli­que l’idée de genre humain et qui était présent dans les dernières mani­fes­ta­tions n’a amené per­sonne à y chan­ter l’Internationale. Qu’on le veuille ou non, la pers­pec­tive n’est plus celle du mou­ve­ment socia­liste/commu­niste, même à ses débuts uni­tai­res, ver­sion Première inter­na­tio­nale.


La ten­dance est à repar­tir des fon­de­ments de la Révolu­tion française, « l’inter­na­tio­na­li­sa­tion » se fai­sant ensuite sur cette base via son uni­ver­sa­lisme. Les nom­breux chants de La Marseillaise ont sur­pris alors qu’on s’atten­dait plutôt à des mani­fes­ta­tions silen­cieu­ses. Peut-être que son caractère révolu­tion­naire d’ori­gine don­nait l’impres­sion à la pro­tes­ta­tion de trou­ver un élan, de se dyna­mi­ser, de sym­bo­li­ser l’unité dans le refus de ce qui venait de se passer plus qu’une unité natio­nale autour de l’hymne. Mais on sait aussi qu’en France ces Marseillaises ont pu être ins­tru­men­ta­lisées, par exem­ple, par les mem­bres de l’UMP présents dans les mani­fes­ta­tions. En tout cas penser cette reprise de La Marseillaise comme une célébra­tion de l’hymne natio­nal (elle a été chantée à l’étran­ger aussi au cours des mani­fes­ta­tions qui s’y sont déroulées) et comme une adhésion mas­sive au natio­na­lisme nous semble une erreur quand on sait qu’en temps normal son contenu est très cri­tiqué pour ses paro­les guerrières et pour une lec­ture post-colo­niale de la phrase : « qu’un sang impur abreuve nos sillons » qui n’avait d’ailleurs pas ce sens-là à l’époque ; le sang impur étant celui des roya­lis­tes et de leurs alliés.


Cette pos­si­ble lec­ture cri­ti­que a été balayée par la force de l’événement. On était plutôt dans une dimen­sion uni­ver­sa­liste de la poli­ti­que, qu’on pour­rait dire proche de la « reli­gion civile » de Rousseau. Et le prétexte de la liberté d’expres­sion per­met­tait bien sa mise à jour, en tout cas mieux que si la révolte contre les actes des ter­ro­ris­tes s’était centrée sur le second atten­tat et la mort des quatre per­son­nes du maga­sin casher ce qui aurait alors contribué à ravi­ver des frac­tu­res par­ti­cu­la­ris­tes et com­mu­nau­ta­ris­tes que la masse des mani­fes­tants vou­laient jus­te­ment oublier et même éradi­quer6.


Si nous nous référons à la Révolu­tion française, ce n’est pas non plus pour dire qu’on en revien­drait au début du capi­tal et à la forme bour­geoise de la révolu­tion et donc à « l’éter­ni­sa­tion du capi­tal ». D’ailleurs, l’expres­sion « éter­ni­sa­tion du capi­tal », jadis employée par l’ultra gauche bor­di­guiste, a tou­jours été abu­sive pour ana­ly­ser la dyna­mi­que his­to­ri­que du capi­tal. Ce qui est éternel n’a ni com­men­ce­ment ni fin. Ce n’est pas le cas du capi­tal. C’est le terme de péren­ni­sa­tion qui est le plus appro­prié pour décrire le phénomène fluc­tuant, chao­ti­que et contra­dic­toire qu’a été et que conti­nue d’être le capi­tal.


Il est incontes­ta­ble que la représen­ta­tion poli­ti­que glo­bale (c’est-à-dire la référence ima­gi­naire col­lec­tive) qui était présente et sou­vent exprimée dans les mar­ches et les dis­cus­sions des deux jours qui, en France, ont suivi l’événement, était celle de la Révolu­tion française. Constater cela ne signi­fie pas, bien évidem­ment, contri­buer à un éternel retour, mais seu­le­ment — et au mini­mum — ne pas pla­quer des schémas clas­sis­tes et prolétariens sur une réalité qui ne le permet plus.


Ce que nous vou­lons dire, c’est seu­le­ment que rien n’est dépassé. La dia­lec­ti­que n’a pas cassé les bri­ques ! Et se pen­cher à nou­veau sur la Révolu­tion française est aussi une façon de réfléchir à la per­ti­nence ou non de la pers­pec­tive d’une « révolu­tion à titre humain ».


Dans ce moment-Charlie, ce qui s’est exprimé immédia­te­ment marque l’écart qui existe aujourd’hui entre État et nation. Les liens entre État et société civile, entre public et privé assurés par un pacte poli­ti­que républi­cain autour de l’État-nation et sta­bi­lisés par la IIIe Républi­que, ont vécu. L’État-réseau clientéliste n’apparaît plus que comme un pres­ta­taire de ser­vi­ces et donc sans aura par­ti­culière. L’indi­vidu-démocra­ti­que fait appel à lui quand il en a besoin (sécurité sociale et sécurité des per­son­nes) mais autre­ment, il est l’État repous­soir, celui qui empêche d’entre­pren­dre, qui taxe et vole le contri­bua­ble. Il n’apparaît plus comme le lieu de la sou­ve­rai­neté, seu­le­ment celui de la gabe­gie à tra­vers les scan­da­les poli­tico-finan­ciers et une admi­nis­tra­tion jugée aujourd’hui tou­jours trop plétho­ri­que.


Malgré la ten­ta­tive de l’État de trans­for­mer l’émotion des mani­fes­ta­tions du mer­credi 7 jan­vier 2015 et leur dimen­sion de réaction à titre humain, en une marche citoyenne le diman­che 11, on a pu remar­quer la différence avec les références poli­ti­ques des années précédentes. La pro­gres­sion parallèle de la glo­ba­li­sa­tion et de la restruc­tu­ra­tion de l’État dans sa forme réseau accrois­sent la cadu­cité de tout ce qui pour­rait rap­pe­ler une société civile.


En conséquence de quoi le citoyen­nisme devient impos­si­ble. Le rap­port État-nation est dis­tendu à un point tel que l’émotion natio­nale n’a que peu à voir avec une expres­sion natio­na­liste et impli­que plutôt une dimen­sion uni­ver­sa­liste, une réaction à titre humain7.


Les déter­mi­na­tions par­ti­cu­la­ris­tes ne sont pas niées mais mises entre parenthèses ou minorées tant que l’émotion poli­ti­que domine. Mais c’est aussi cela qui a rendu plus dif­fi­cile la par­ti­ci­pa­tion de ceux qui se définis­sent d’abord comme musul­mans, dans la mesure où cette réaction col­lec­tive s’est faite au nom du « je suis Charlie » (nous y revien­drons). En effet, beau­coup d’entre eux préféreraient une posi­tion sous la forme du « pas en notre nom ». Position qui s’est déjà développée au niveau inter­na­tio­nal suite à différents actes bar­ba­res commis par L’État isla­miste (EI) ou autres frac­tions ter­ro­ris­tes isla­mis­tes radi­ca­les. C’est qu’elle garde le caractère d’une pro­tes­ta­tion iden­ti­taire, ce qui faci­lite sa mise en place, le col­lec­tif étant vite défini, à l’interne. Mais par contre elle rend problémati­que la par­ti­ci­pa­tion com­mune à la réaction d’ensem­ble des « gens d’ici », col­lec­tif qui n’est pas défini de façon stric­te­ment natio­nale et en tout cas qui ne s’entend pas au sens natio­na­liste du terme, mais plutôt au sens ter­ri­to­rial et de références his­to­ri­ques et poli­ti­ques com­mu­nes.


Un « je » très ambi­va­lent dans la mesure où il doit trou­ver son être col­lec­tif sur le chemin étroit que bor­dent d’un côté l’indi­vi­dua­lisme démocra­ti­que et consom­ma­teur et de l’autre le « nous » des iden­ti­tai­res et autres com­mu­nau­ta­ris­tes. Un « je » ambi­va­lent aussi dans la mesure où s’il porte une exi­gence forte, celle de la liberté et de la fra­ter­nité, sans plus trop s’occu­per de l’égalité d’ailleurs, il n’empêche qu’il souf­fre d’immédia­tisme : le « je suis Charlie » n’est qu’une forme sans contenu puis­que le contenu de Charlie n’est pas discuté, la liberté d’expres­sion étant indis­cu­ta­ble dans la pers­pec­tive défendue. Dans cette mesure, la pro­tes­ta­tion est restée for­melle malgré l’élan pro­duit vers autre chose. Les indi­vi­dus qui y ont par­ti­cipé n’ont fait que s’y côtoyer. L’absence de création de liens réels, même si quel­ques « Comités Charlie » sont nés ici ou là, a fait que la pro­tes­ta­tion n’a pu se cons­ti­tuer en mou­ve­ment.

Les théories de la Nation à la moulinette de la globalisation


Tout se passe comme si la plus grande partie des immigrés, de fraîche ou de longue date et leurs des­cen­dants ne se sen­taient pas forcément « français » mais avaient, le plus sou­vent impli­ci­te­ment, des références assez précises8 à une concep­tion spécifi­que de la nation française. Une concep­tion qui repose ori­gi­nai­re­ment (chez Sieyès et dans les premières cons­ti­tu­tions de la républi­que par exem­ple, puis chez Renan) sur la théorie dite sub­jec­tive de la nation, à savoir celle qui se fonde sur la volonté, l’adhésion et la mémoire col­lec­tive par oppo­si­tion à la théorie alle­mande de la nation (Fichte et Herder) dite objec­tive (sang et sol + langue).


Dans ses meilleurs moments his­to­ri­ques cette théorie sub­jec­tive a permis que se dévelop­pent un cos­mo­po­li­tisme et même un inter­na­tio­na­lisme théorique (qui comme son nom littéral l’indi­que n’a jamais dépassé l’hori­zon natio­nal, mais seu­le­ment l’hori­zon natio­na­liste) suivi d’effets concrets aussi bien au sein de la Révolu­tion française que de la Commune aux­quels beau­coup « d’étran­gers » par­ti­cipèrent y com­pris à des postes de res­pon­sa­bi­lité, puis ensuite dans les mesu­res prises en faveur du droit d’asile. À part cela, il ne faut pas oublier les mau­vais moments his­to­ri­ques (colo­nia­lisme et impéria­lisme français qu’on peut considérer comme des effets per­vers de la théorie ori­gi­nelle de la nation, de la même façon que le nazisme cons­ti­tuera un effet per­vers de la théorie objec­tive) et le fait qu’aujourd’hui la concep­tion sub­jec­tive ne soit plus défendue, en l’état, que par des républi­cains hors des partis, tel Finkielkraut, dont le patrio­tisme républi­cain n’est pas assi­mi­la­ble aux posi­tions natio­na­lis­tes fron­tis­tes ou sou­ve­rai­nis­tes (anti-européanisme, anti-américa­nisme, préférence natio­nale, etc.).


Cette liberté concrète, dont l’exi­gence est la plus inter­na­tio­na­lisée qui soit, prend néanmoins en France des expres­sions par­ti­culières parce qu’elle ravive les pas­sions anti-reli­gieu­ses de la Révolu­tion française. À l’époque du retour des com­mu­nau­ta­ris­mes reli­gieux et de leur para­dis des croyants en lieu et place de la com­mu­nauté humaine, elles remémorent ce qui était ins­crit sur des tombes des cimetières à l’époque de la Révolu­tion française : « la mort est un éternel som­meil ». Ce qu’assuré­ment la plu­part des morts de Charlie savaient. Mais ce caractère anti­re­li­gieux a été pro­gres­si­ve­ment gommé pour abou­tir, sous la IIIe Républi­que à la ver­sion la plus modérée des « Lumières » à tra­vers le concept de laïcité. Ce concept qui garda certes quel­ques vertus au temps des « hus­sards noirs de la républi­que » n’est plus guère qu’un chif­fon qu’on agite vai­ne­ment à l’époque des équi­va­len­ces généralisées (la laïcité est la croyance de la France).


Pour en reve­nir à la situa­tion présente, l’orches­tra­tion de la riposte aux assas­si­nats des 7 et 9 jan­vier 2015 de la part de l’État marque une étape de plus dans l’affir­ma­tion de ce que nous appe­lons la société capi­ta­lisée, une situa­tion dans laquelle la sépara­tion entre État et société relève de la fic­tion (la trop fameuse et mythi­que « société civile ») ou de l’illu­sion. La mani­fes­ta­tion offi­cielle du diman­che 11 jan­vier, la « marche citoyenne » bien mal nommée comme nous l’expli­quons plus haut, représente une synthèse de la co-exis­tence entre d’un côté un État-nation en crise et en restruc­tu­ra­tion dans une forme réseau, et de l’autre des mou­ve­ments d’indi­gna­tion fina­le­ment plus popu­lai­res que citoyens. Cela ren­force notre hypothèse de la forme essen­tiel­le­ment réseau de cet État, mais cela n’auto­rise pas à parler d’une ten­dance domi­nante vers une « demande à l’État » ou de plus d’État, comme s’il y avait consen­sus entre gou­ver­nants et gou­vernés quant à la ques­tion de la sécurité. D’ailleurs, de ce point de vue, les Indignés français crispés sur les références d’Hessel au pro­gramme du Conseil National de la Résis­tance, étaient en « retard his­to­ri­que » par rap­port aux Indignados espa­gnols ou aux Occupy américains ; un « retard » qui semble se réduire présen­te­ment avec le début d’une reconnais­sance offi­cielle (étati­que et cultu­relle) du rela­ti­visme, des par­ti­cu­la­ris­mes et de la dimen­sion iden­ti­taire qui n’entrait pas dans la tra­di­tion théorique française.


Le Tout majus­cule, comme les ins­ti­tu­tions de l’ancien État-nation, comme la Loi majus­cule, est devenu le mal parce qu’il est assi­milé au tota­li­ta­risme. Le tout, quand il est encore tolérable n’est plus qu’un tout minus­cule, une somme de par­ti­cu­liers (indi­vi­dua­lisme métho­do­lo­gi­que) ou plus moderne, une suite d’inte­rac­tions entre par­ti­cu­la­rités qui toutes récla­ment leurs droits, leurs lois et des règle­ments contrac­tua­lisés direc­te­ment entre les indi­vi­dus et grou­pes ou catégories socia­les. Les contrats indi­vi­dua­lisés rem­pla­cent le Contrat social.


Toutes les ten­dan­ces dites libérales/liber­tai­res en Europe ou liber­ta­rien­nes dans le monde anglo-saxon sem­blent confir­mer que la trian­gu­la­tion État-capi­tal-société se reconfi­gure dans un pro­ces­sus de tota­li­sa­tion que l’on a essayé de décrire au niveau plus général des rap­ports de pro­duc­tion et de la repro­duc­tion des rap­ports sociaux et ensuite de concep­tua­li­ser sous le terme de société capi­ta­lisée. Mais cette trian­gu­la­tion elle non plus ne dépasse rien. Elle n’est pas post-moderne car elle ne peut se débar­ras­ser de la ques­tion de la nation d’abord, de la reli­gion ensuite ni enfin de celle des rap­ports indi­vi­dus/com­mu­nauté, cette dernière ayant elle-même lien avec les deux premières.

L’impossible sujet-Charlie


À la vitesse de la lumière — celle de la com­mu­ni­ca­tion numérique — « je suis Charlie » est devenu le slogan exprimé par des mil­lions d’indi­vi­dus en France et dans le monde9. Affiché et diffusé par tous les médias, il a très lar­ge­ment dominé d’autres for­mu­la­tions dans « l’élan républi­cain » qui s’est mani­festé après la tuerie au siège du jour­nal sati­ri­que. D’autres slo­gans ont certes été exprimés sur la défense de la liberté d’expres­sion et de la laïcité, sur le res­pect de la vie humaine ou encore sur l’absence de peur ; mais c’est le « je suis Charlie » qui cons­ti­tue la référence majeure et cen­trale des mani­fes­tants ; celles et ceux qui étaient dans les rues mais aussi chez eux ou ailleurs.


S’agis­sant de mani­fes­ta­tions col­lec­ti­ves aussi impor­tan­tes en nombre d’indi­vi­dus que celles qui vien­nent de se dérouler, cer­tains pour­ront s’étonner que la for­mu­la­tion « nous sommes Charlie » soit restée, si ce n’est peu fréquente, en tout cas assez mino­ri­taire. En être sur­pris c’est méconnaître l’impor­tant degré d’indi­vi­dua­li­sa­tion atteint par la société capi­ta­lisée d’aujourd’hui. Et les quel­ques mani­fes­tants qui met­tent d’abord en avant leur appar­te­nance à une com­mu­nauté reli­gieuse, avec des pan­car­tes disant « je suis musul­man » ou bien « je suis juif » n’échap­pent pas eux non plus à la par­ti­cu­la­ri­sa­tion ; laquelle se trouve d’ailleurs redoublée lors­que cer­tains ajou­tent à leur référence com­mu­nau­taire première : « … et je suis aussi Charlie ».


Toujours située dans la même dimen­sion égocen­triste et par­ti­cu­la­riste, le slogan domi­nant a, bien sûr, aussitôt engendré son double, sa face anti­no­mi­que, sa réaction de contre-dépen­dance avec le « je ne suis pas Charlie ». Face sim­ple­ment et seu­le­ment anti­no­mi­que, car celle-ci reste dans le même regis­tre que la première en conju­guant le verbe être à la première per­sonne du présent de l’indi­ca­tif.


Dans les deux cas, de quel sujet s’agit-il, au juste ? Quel est le sujet de l’attri­but « Charlie » ? S’agit-il d’ailleurs d’un « sujet » ? Existe-t-il encore un sujet qui, aujourd’hui, puisse affir­mer sa sub­stance his­to­ri­que, au sens hégélien ? Ce « je » peut-il être entendu comme un « sujet social » ? Certainement pas. En résumé, disons pour­quoi.


Il y a main­te­nant vingt ans, à la revue Temps cri­ti­ques, nous nous sommes efforcés d’ana­ly­ser les effets du vaste pro­ces­sus d’indi­vi­dua­lisa­tion et de par­ti­cu­la­ri­sa­tion des rap­ports sociaux après les bou­le­ver­se­ments poli­ti­ques et anthro­po­lo­gi­ques de la fin des années 1960. Dans le trip­ty­que Individu/sujet/sub­jec­ti­vité nous avons mis en évidence le délite­ment de l’ancien sujet his­to­ri­que de la moder­nité : le bour­geois et sa classe sociale10 ainsi que l’épui­se­ment de la dia­lec­ti­que des clas­ses lequel a engendré un vaste pro­ces­sus d’indi­vi­dua­li­sa­tion ; une par­ti­cu­la­ri­sa­tion de l’ancien sujet his­to­ri­que en autant de sub­jec­ti­vités et d’inter­sub­jecti­vités mul­ti­ples. Le « je suis Charlie » échap­pe­rait-il, ne serait-ce qu’à la faveur d’une émotion col­lec­tive, à cette ten­dance domi­nante ? Pas si sûr.


Dans cette pers­pec­tive, le « je suis » qui n’impli­que aucun « nous sommes », s’énonce comme la voix meur­trie et chargée d’empa­thie d’un indi­vidu par­ti­cu­la­risé, seg­menté, sub­jec­ti­visé ; un indi­vidu certes social mais dont la com­mu­nauté de référence est très incer­taine, varia­ble, ambi­va­lente. De plus, ce « je » n’est pas non plus un « moi » (ego) puisqu’il ne contient ni défense nar­cis­si­que ni affir­ma­tion iden­ti­taire. C’est l’indi­vidu social qui dit sa présence dans l’événement ; un indi­vidu sans indi­vi­dua­lité à qui il est impos­si­ble de s’affir­mer comme sujet his­to­ri­que11. D’où notre titre : « l’impos­si­ble sujet Charlie ».


Si l’on s’en tient à considérer l’attri­but du sujet dans la phrase du slogan, le signifié « Charlie » se limite d’abord à un groupe de quel­ques jour­na­lis­tes liber­tai­res, eux aussi par­ti­cu­la­risés et atomisés que cer­tains vont vite nommer « Les Charlies ». On passe alors à un contenu social, à une représen­ta­tion d’un col­lec­tif en lutte, d’une com­mu­nauté d’engage­ments, d’une soli­da­rité, d’une proxi­mité intel­lec­tuelle ou affec­tive, etc. C’est l’indi­vidu-social-Charlie. En ce sens on peut avan­cer qu’il y a bien eu dans le moment-Charlie, une acti­va­tion de la ten­sion entre l’indi­vidu et la com­mu­nauté humaine. (cf. Chapitre sui­vant « La ten­dance vers la com­mu­nauté »)


Mais cette désigna­tion « Les Charlies » est-elle équi­va­lente à celle qui, à partir des années 1970 va nommer les col­lec­tifs ouvriers en luttes défen­si­ves contre les restruc­tu­ra­tions et les sup­pres­sions mas­si­ves de force de tra­vail ? On se sou­vient « des Lip », en 1973, au moment de la grève à ten­dance auto­ges­tion­naire des ouvriers de l’entre­prise d’hor­lo­ge­rie. Par la suite, c’est au sub­stan­tif plu­riel qu’on par­lera des col­lec­tifs ouvriers en luttes défen­si­ves contre leur licen­cie­ment (« Les Conti », « Les Michelin », etc.).


« Charlie » ne relève pas ici de cette référence à la com­mu­nauté de tra­vail ; mais il ne relève pas non plus de la com­mu­nauté citoyenne. Il s’agit davan­tage d’un rap­port indi­vi­duel à une mémoire, à une his­toire (française) de l’irrévérence, de l’imper­ti­nence, de la liberté d’expres­sion ; autant de « valeurs » supposées partagées par le plus grand nombre, car toutes issues de la Révolu­tion française. «


L’irréligio­sité fait aussi partie de ces valeurs, mais elle reste mino­ri­taire, comme elle l’a d’ailleurs tou­jours été, en France, depuis la révolu­tion. Car la cri­ti­que de la reli­gion que contien­nent aujourd’hui des cari­ca­tu­res de Charlie Hebdo n’a de portée que visuelle, gra­phi­que (un « visuel » comme on dit dans la com.) et non plus théorique ou ima­gi­naire. C’est une cari­ca­ture de la cri­ti­que de la reli­gion. On assiste à un affai­blis­se­ment de « l’emprise de l’ima­gi­naire » nous dit une cor­res­pon­dante.


Quelques rares com­men­ta­teurs de l’événement ont sou­ligné le décalage des cari­ca­tu­res irréligieu­ses de Charlie avec l’époque actuelle. Mais il n’y ont vu qu’une différence dans la répres­sion étati­que du délit d’opi­nion. Ce n’est pas le cas avec les cari­ca­tu­res de Charlie aujourd’hui. Nous préférons y voir l’épui­se­ment poli­ti­que des ancien­nes cri­ti­ques de la reli­gion dans la société bour­geoise qui ne trou­vent plus guère d’oppor­tu­nité pour se déclarer dans la société capi­ta­lisée. On a bien accusé récem­ment les catho­li­ques de vou­loir remet­tre en cause la loi sur l’avor­te­ment ou de se cacher derrière les mani­fes­tants de la « manif pour tous », mais c’est très abusif et réduc­teur. Là aussi l’ins­ti­tu­tion reli­gieuse — comme tant d’autres de l’État-nation et de l’ancienne société bour­geoise — a du plomb dans l’aile et la ten­dance au « conser­va­tisme des valeurs » est beau­coup plus large que chrétien puis­que, comme on le sait, il tra­verse lar­ge­ment la gauche laïque et républi­caine.


En effet, peut-on, au xxie siècle, après l’échec de tant de « révolu­tions » se référant au matéria­lisme, manier l’irréligio­sité comme le fai­saient les Libertins du XVIIIe siècle ou les anticléricaux du XIXe ; c’est-à-dire avec des formes deve­nues cadu­ques de la cri­ti­que de la reli­gion chrétienne lors­que celle-ci était la seule ins­ti­tu­tion reli­gieuse domi­nante et répres­sive ?


Dans la société bour­geoise, les reli­gions chrétien­nes, catho­li­ques et réformées, cons­ti­tuaient une média­tion cen­trale dans les contra­dic­tions socia­les et notam­ment dans la neu­tra­li­sa­tion des luttes de classe. D’abord et avant tout reli­gion des propriétaires, catho­li­cisme et pro­tes­tan­tisme — cha­cune avec leurs croyan­ces et leurs modes d’action sin­gu­liers — opéraient comme un puis­sant régula­teur social des « clas­ses dan­ge­reu­ses », phénomène encore plus accentué dans des pays comme l’Italie et l’Espagne. Ce n’est plus le cas aujourd’hui12 où l’islam tend à deve­nir l’opérateur de contrôle social et mental qui, pour les pou­voirs poli­ti­ques, serait le plus appro­prié à l’enca­dre­ment des milieux « sen­si­bles » et des popu­la­tions en déshérence ; ceci dans les pays où il n’est pas reli­gion d’État.


Dire ici que la tou­jours néces­saire cri­ti­que de la reli­gion ne doit pas se trom­per d’époque c’est tenir compte de ses échecs suc­ces­sifs et répétés, aussi bien dans le sta­li­nisme et les natio­na­lis­mes que dans le consumérisme social-libéral ou l’auto­no­misme gaucho-liber­taire.


Bien que n’ayant pas été absen­tes, loin s’en faut, de l’his­toire des luttes de classe, ce n’est pas avec des cari­ca­tu­res que le mou­ve­ment ouvrier révolu­tion­naire avait tenté de dis­sou­dre les reli­gions. Il le fit davan­tage en cher­chant à trans­for­mer les modes de vie et les rap­ports sociaux ; en essayant de réaliser sur terre la com­mu­nauté humaine puis­que, avec Marx, ils affir­maient : « l’être humain est la vérita­ble com­mu­nauté des hommes » (Gloses cri­ti­ques… 1844).


Cet archaïsme de Charlie expli­que en partie ses bais­ses de tirage et son peu d’ancrage dans les nou­vel­les générations. D’autant qu’il est redoublé par un autre archaïsme qui est celui de la cri­ti­que du « beauf », une cri­ti­que typi­que de l’époque des « libérations » des années 1960-70, mais qui porte peu désor­mais quand les clas­ses popu­lai­res pay­san­nes et ouvrières ont perdu toute iden­tité et ont été laminées poli­ti­que­ment et cultu­rel­le­ment par la révolu­tion du capi­tal. Ce sont les « branchés », les « bobos » et non plus les « beaufs » qui sont aujourd’hui majo­ri­tai­res ou du moins qui sont les plus visi­bles et même s’ils ont été très portés à mani­fes­ter leur répro­ba­tion puisqu’ils sont libéraux et ouverts, on peut penser qu’ils ne sont pas non plus très concernés par le combat des fon­da­teurs de Charlie13.


Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur les divers sens qui peu­vent être attribués au signi­fiant Charlie du slogan « je suis Charlie », mais bien peu l’ont été sur le « je suis ».


Bien sûr et avec raison, l’accent a d’abord été mis sur l’inten­sité du choc psy­chi­que reçu par les témoins des tue­ries et les habi­tants du voi­si­nage. Mais l’onde de choc s’est répandue dans tout le pays et même dans le monde. Les res­sen­tis à ce choc rem­plis­sent les conver­sa­tions. Le « je » de Charlie est d’abord un indi­vidu meur­tri qui parle de ses affects. Mettre des mots sur les émotions et les trau­ma­tis­mes fut le conseil donné par les psy­cho­lo­gues et les ser­vi­ces de secours. L’indi­vidu-Charlie est com­pa­tis­sant, il se démarque de ceux que lais­sent « indifférents » la mort d’un poli­cier ou de ceux qui se sen­tent « étran­gers » aux actes des jiha­dis­tes. Notre cor­res­pon­dante donne à la nomi­na­tion une portée qui va bien au-delà d’une fonc­tion thérapeu­ti­que. Elle voit dans cette déter­mi­na­tion à se nommer, à se ras­sem­bler, à se reconnaître, à défiler en por­tant le nom je suis Charlie « un soulèvement col­lec­tif imprévisi­ble d’auto-nomi­na­tion ». Ce nom col­lec­tif qui est le contraire d’un mot d’ordre puisqu’il n’a été préparé ni imposé par aucune auto­rité ou ins­ti­tu­tion. Elle le donne comme une « res­pi­ra­tion de liberté, défi à la mort — à la peur de la mort ». Même accom­pagné par le lyrisme de Hugo sur la force du mot, le « je suis Charlie » était-il impli­ci­te­ment por­teur d’aussi vastes espérances chez ceux qui le por­taient ? Peut-être cela fut-il fuga­ce­ment présent dans les ras­sem­ble­ments spon­tanés qui se déroulèrent le soir de la tragédie. Mais on peut en douter au regard de la « marche républi­caine » du diman­che 11 jan­vier.


Porter un nom nou­veau, autre, un nom choisi et le par­ta­ger avec d’autres dans un moment d’émotion col­lec­tive ne suffit pas à faire de ce ras­sem­ble­ment une com­mune d’indi­vi­dus libres, créatifs et se riant de la mort. Au-delà du sans lieu de l’utopie, du hors-temps de l’uchro­nie, les « Charlies » auraient-ils inventé une Cité-du-tout-nommer ? De plus, s’auto-nomi­ner nous laisse tou­jours dans l’enfer­me­ment de l’auto­référence et de l’égoges­tion.


Une fois les minu­tes de silence observées (ou inob­servées) dire l’indi­cible du meur­tre passe encore par des mots et des noms, mais l’élan ini­tial de la nomi­na­tion, de la parole imprévue — ce souf­fle pre­mier que cher­che la poésie — se brise vite sur les lita­nies du nomi­na­lisme et sur les fadai­ses de la prose du monde.

La tendance vers la communauté


Au pre­mier regard et si on parle en termes de sens vers la com­mu­nauté humaine (et non en terme de com­mu­nau­ta­risme) pour caractériser les réactions à l’événement, cela apparaît éton­nant et à contre-cou­rant puis­que notre époque voit resur­gir, au niveau extérieur, un retour des différents sou­ve­rai­nis­mes d’État, alors qu’on est en pleine affir­ma­tion de la glo­ba­li­sa­tion et de la crise conco­mi­tante de la forme État-nation au niveau intérieur. Rechercher le sens d’une com­mu­nauté humaine peut égale­ment sem­bler aller à contre-cou­rant puis­que les références com­mu­nau­tai­res (de type uni­ver­sa­lis­tes) qui par­ti­ci­paient de la sédimen­ta­tion his­to­ri­que, cultu­relle et poli­ti­que d’un pays se conver­tis­sent en une reven­di­ca­tion de sou­mis­sion aux com­mu­nautés de références14 et aux iden­tités.


Or, dans l’inten­sité de l’émotion du mer­credi soir et des jours qui sui­vi­rent, il y a bien eu cette dimen­sion com­mu­nau­taire, du moins une sen­sa­tion de ten­sion vers cette dimen­sion sans aucune inter­ven­tion de l’État dans un pre­mier temps. Un État qui cher­chait même à brouiller les pistes pour éviter que la pro­tes­ta­tion ne prenne de l’ampleur. Ainsi, fit-il son maxi­mum pour occulter la pos­si­bi­lité d’une coor­di­na­tion des atten­tats avant de se rendre à l’évidence. Pour les mani­fes­tants, il ne s’agis­sait donc pas d’affir­mer une com­mu­nauté déjà présente ou déjà référencée, natio­na­lisée et iden­tifiée, mais d’expri­mer une ten­sion des indi­vi­dus vers la com­mu­nauté humaine, vers le genre, mais le genre uni­ver­sel, le genre humain, pas le genre des théories du genre.


Cette ten­sion est fra­gile et ins­ta­ble car son auto­no­mie est très limitée tant qu’elle ne fait que mani­fes­ter une réaction et qu’elle s’expose soit à une reprise en main poli­ti­cienne comme la grande messe du diman­che 11 jan­vier nous en four­nit l’exem­ple, soit que son caractère spon­tané per­dure dans l’immédia­tisme d’une adhésion a-cri­ti­que et consen­suelle.


Que cette com­mu­nauté en général soit ici, à propos de Charlie, une com­mu­nauté non natio­nale et même inter­na­tio­nale ne signi­fie pas qu’elle soit déjà com­mu­nauté humaine. La ten­dance est limitée par de nom­breu­ses autres ten­dan­ces comme disait un de nos maîtres théori­ques. Ainsi, quand la mani­fes­ta­tion de diman­che se met à applau­dir la police qui passe alors que le cada­vre de Rémi Fraisse est encore chaud, un mini­mum de mise à dis­tance s’avère néces­saire.


Ce n’est plus l’unité autour des libertés et des prin­ci­pes, mais une unité pour l’unité, une unité fan­tasmée au-delà des anta­go­nis­mes sociaux et poli­ti­ques. De même, quand on cher­che un peu vai­ne­ment à aper­ce­voir une quel­conque preuve que la pro­tes­ta­tion ou la révolte a aussi touché les ban­lieues15 ou les quar­tiers périphériques. La ten­dance uni­ver­sa­liste rede­vient alors un peu plus abs­traite et vient rap­pe­ler nos défaites his­to­ri­ques dans les luttes de clas­ses et révoltes his­to­ri­ques précédentes.


Si une ten­sion indi­vidu/com­mu­nauté s’est bien mani­festée, reste qu’on a du mal à y per­ce­voir, pour parler en termes dia­lec­ti­ques, le non iden­ti­que, le négatif, l’élément cri­ti­que qui trans­for­me­rait la ten­sion en mou­ve­ment vers quel­que chose d’autre. L’élément cri­ti­que est en fait contenu dans une absence, à savoir que, le temps d’une mani­fes­ta­tion, on est quel­que peu sorti d’une situa­tion dans laquelle l’indi­vidu par­ti­cu­la­risé contem­po­rain ne peut plus comp­ter sur une appar­te­nance sociale liée à son être col­lec­tif. Et dans la ten­sion vers la com­mu­nauté qui s’est mani­festée il y a eu aussi comme une délivrance. Une thérapeu­ti­que a fonc­tionné, celle du ras­sem­ble­ment contre la peur et l’affir­ma­tion — sereine et par­fois joyeuse — de la satis­fac­tion d’être ensem­ble pour défendre une cause uni­ver­selle. Il y avait comme une joie de se libérer de cette quasi-obli­ga­tion aujourd’hui, qui fait que pour exis­ter socia­le­ment, l’indi­vidu doit annon­cer sa référence iden­ti­taire à telle ou telle par­ti­cu­la­rité eth­ni­que, cultu­relle, sexuelle, reli­gieuse, de clan, de réseau, de lobby, de secte, etc. puis­que la référence de classe n’est plus pos­si­ble ou en tout cas n’est plus cen­trale.


Les luttes reven­di­ca­ti­ves tra­di­tion­nel­les repo­sant sur le tra­vail n’étant plus com­pri­ses par le pou­voir, les médias et les indi­vi­dus-démocra­ti­ques de la société capi­ta­lisée, que comme des formes de cor­po­ra­tisme ou de com­bats archaïques pour ne pas dire réaction­nai­res, leurs deman­des comme leurs aspi­ra­tions ne sont sus­cep­ti­bles d’être enten­dues qu’à la condi­tion qu’elles affi­chent leurs références dans la com­bi­na­toire des « goûts », des « choix » et des « chan­ces » qui s’offri­raient désor­mais comme vie à tous les indi­vi­dus. Des vies « privées d’his­toire16 ». Peut-être peut-on alors lire — si on se veut opti­miste — les der­niers événements comme une ten­ta­tive de réappro­pria­tion d’un temps his­to­ri­que.


Dans cette délivrance, dans cette affir­ma­tion de la liberté d’expres­sion, s’exprime aussi un chan­ge­ment d’atti­tude vis-à-vis des reli­gions. Nous avons dit plus haut que l’ancienne cri­ti­que des reli­gions s’épui­sait, mais une nou­velle réaction s’amorce qui n’est pas seu­le­ment d’ordre cri­ti­que mais contient aussi des éléments émotion­nels et réaction­nels contre ce qui apparaît comme un débor­de­ment de la laïcité par la confu­sion de plus en plus grande qui est faite aujourd’hui entre public et privé. En cela d’ailleurs, ces reli­gions ne sont pas archaïques. Revisitées par les par­ti­cu­la­ris­mes, elles sont néo-moder­nes, car elles met­tent en pra­ti­que, dans leur domaine propre, le mot d’ordre « le privé est poli­ti­que ».


Mais il est évident que c’est l’Islam et sur­tout ses formes sala­fis­tes qui n’ont aucun mal à se glis­ser dans les nou­vel­les pra­ti­ques poli­ti­ques des iden­tités pour fina­le­ment s’affir­mer comme un pos­si­ble débouché poli­ti­que, mais qui s’expri­me­rait en dehors du jeu poli­ti­que démocra­ti­que. C’est d’ailleurs ce qui peut atti­rer des jeunes dégoûtés par la poli­ti­que poli­ti­carde ou qui sont, de fait ou de droit, mis hors-jeu de celle-ci. Les autres reli­gions sui­vent le mou­ve­ment, mais un mou­ve­ment qui ne leur est plus natu­rel puisqu’elles se sont précédem­ment moulées dans la moder­nité, se sont adaptées pro­gres­si­ve­ment et se sont au contraire pri­va­tisées. Elles sont donc obligées de forcer le ton pour ne pas rester à l’écart (remi­ses en cause des lois sur l’avor­te­ment comme en Espagne, réactions contre le mariage homo­sexuel).


Par exem­ple, l’Église catho­li­que, en dehors de tout fon­da­men­ta­lisme, cher­che à repren­dre pied si ce n’est par un retour de la foi, du moins par une par­ti­ci­pa­tion plus grande aux « débats de société ». Et force est de cons­ta­ter, à l’intérieur de cet aspect général d’évolu­tions des pra­ti­ques des reli­gions, une réaction par­ti­culière vis-à-vis de la reli­gion musul­mane parce que, dans sa variante sala­fiste, elle apparaît comme sor­tant du cadre privé d’exer­cice des pra­ti­ques reli­gieu­ses défini par les prin­ci­pes de laïcité et qu’en défen­dant une iden­tité poli­tico-reli­gieuse axée sur des reven­di­ca­tions cli­van­tes (tenue ves­ti­men­taire, nour­ri­ture halal, maria­ges intra-com­mu­nau­tai­res, obser­vance stricte des rituels, etc.) elle semble redou­bler, pour ne pas dire surenchérir, sur la ten­dance à la relégation dans les quar­tiers où se fait par­ti­culièrement sentir l’ines­sen­tia­li­sa­tion de la force de tra­vail, la domi­na­tion mas­cu­line et les dif­fi­cultés de repro­duc­tion des rap­ports sociaux capi­ta­lis­tes.


Toutes les poten­tia­lités d’une stig­ma­ti­sa­tion et d’une assi­gna­tion iden­ti­taire sont alors réunies avec comme conséquence pos­si­ble une sus­pi­cion à l’égard de l’islam et, conséquence de la conséquence, des réactions com­mu­nau­ta­ris­tes et pour ce qui nous préoccupe ici, l’assi­mi­la­tion de Charlie à un jour­nal « isla­mo­phobe », ce qu’il n’est certes pas, puis­que son objet, entre autres est la cri­ti­que de toutes les reli­gions.


Mais là encore cette ten­dance anticléricale dont Charlie hebdo res­tait un bon représen­tant n’est pas, loin s’en faut, una­nime ni partagée. La majo­rité des indi­vi­dus-démocra­ti­ques (l’opi­nion publi­que) et l’État, en accord d’ailleurs avec le prin­cipe de libre expres­sion, défen­dent plutôt la ligne selon laquelle toutes les reli­gions sont accep­ta­bles (y com­pris la laïque) à partir du moment où elles res­tent modérées et qu’elles peu­vent toutes être rap­portées à un prin­cipe de paix, en dehors donc de ce qu’elles ont été et de ce qu’elles ont fait au cours de l’Histoire.


La reli­gion chrétienne est ainsi lavée des guer­res de reli­gion, de l’inqui­si­tion, du colo­nia­lisme et l’Islam de la conquête et de l’esclava­gisme pour être présentée comme une reli­gion de paix. Le djihad devient un com­por­te­ment de foi indi­vi­duelle, le reste ne serait que du fana­tisme sans rap­port avec les textes sacrés. Il suf­fi­rait alors de séparer le bon grain de l’ivraie pour ouvrir vers une société vrai­ment mul­ti­cultu­relle et res­pec­tueuse de chacun… dans son iden­tité ! C’est ce à quoi s’essaient la plu­part des pou­voirs publics ou privés en défen­dant à la fois Charlie… et les intérêts des représen­tants des différentes Églises ce qui les amène à un cons­tant grand écart qui frise l’hypo­cri­sie et en même temps expli­que l’his­toire des différentes mesu­res prises contre Hara-Kiri puis Charlie. Il faut alors bien reconnaître que la posi­tion la plus cohérente, même si c’est la plus cho­quante pour nous, se trouve chez les médias anglo-saxons qui s’inter­di­sent de présenter la cou­ver­ture de la nou­velle édition de Charlie.


Quant aux islamo-gau­chis­tes, puisqu’il faut quand même bien les men­tion­ner, ils rajou­tent à la confu­sion en met­tant sur le même plan l’enlèvement et le viol de jeunes filles et de femmes par Boko Aram en Afrique et l’acti­visme des sectes pro­tes­tan­tes dans les pays du nou­veau monde ; en s’indi­gnant davan­tage pour des tags sur les mosquées ces der­niers jours, que des assas­si­nats de juifs parce que juifs dans l’hyper­ca­sher ; et cela en nous res­ser­vant le dis­cours sur les pau­vres et « l’Islam reli­gion des pau­vres » comme si toutes les per­son­nes de culture musul­mane17 étaient comme pro­grammées, à terme, à deve­nir dji­ha­dis­tes ou fous de Dieu, soit un déter­mi­nisme mécaniste idiot intel­lec­tuel­le­ment, bête poli­ti­que­ment et mépri­sant mora­le­ment.

Deux mots pour terminer :


Le pou­voir ne maîtrise pas tout… Il n’y a pas de « plan du capi­tal »…


Toutefois, rien n’est ins­crit dans le marbre comme on a pu le voir avec Valls recu­lant sur un Patriot act à la française après en avoir annoncé pour­tant l’urgence. Comme le rap­pel­lent les jour­naux, la sécurité est aujourd’hui régie juri­di­que­ment à Bruxelles et Paris a une marge de manœuvre étroite, la Commission européenne des libertés étant très vigi­lante, en bonne libérale/liber­taire qu’elle est quant aux ques­tions du main­tien de la libre cir­cu­la­tion même s’il existe des res­tric­tions au sein d’un espace Schengen. Plus générale­ment on peut dire qu’elle veut le main­tien de l’État de droit en Europe alors que cer­tains États ou frac­tions poli­ti­ques pen­chent pour un État d’excep­tion devant le ter­ro­risme. Cette inter­na­tio­na­li­sa­tion de la jus­tice et des poli­ces n’est d’ailleurs pas complète puis­que le sec­teur des Renseignements n’est pas encore inter­na­tio­na­lisé et reste de la compétence des États natio­naux.


D’une manière générale arrêtons de croire que le pou­voir maîtrise tout quand il passe son temps à enquêter sur les mili­tants de Tarnac d’un côté alors que de l’autre il aban­donne la trace d’indi­vi­dus déjà condamnés pour des actes considérés comme rele­vant du ter­ro­risme ; qu’il laisse prospérer, par faci­lité, le regrou­pe­ment com­mu­nau­taire et par contre­coup le recru­te­ment dji­ha­diste en prison ; ou quand il sacri­fie le budget de la DGSI au profit de celui de la DGSE. Faute d’ennemi vérita­ble­ment iden­ti­fia­ble comme à l’époque des guer­res clas­si­ques et des conflits de clas­ses, il est rela­ti­ve­ment désarmé devant les formes nou­vel­les que représen­tent pour lui les guer­res asymétri­ques et les réseaux dji­ha­dis­tes. Et comme il ne peut chas­ser tous les lièvres à la fois, l’État ne peut qu’opérer des choix arbi­trai­res et budgétaires. En fai­sant cela il ne procède pas autre­ment que dans tous les autres sec­teurs publics (cf. l’école et la réforme des zones prio­ri­tai­res) : il désha­bille Pierre pour habiller Paul au gré d’une ges­tion de l’État au coup par coup que nous avons noté depuis plus de dix ans dans le cadre du pas­sage de l’État-nation à la forme réseau. Nous le répétons à nou­veau : il n’y a pas de « plan du capi­tal » même s’il y a une poli­ti­que du capi­tal18.

 


Temps cri­ti­ques

Notes


1 – Cf. inter­ven­tion de D. Cohn-Bendit dans Libération du 8 jan­vier 2015.


2 – Pour une cri­ti­que sur ce point on pourra se repor­ter au texte d’Y. Coleman : « Camarades votre loi du talion ne sera jamais la mienne », dis­po­ni­ble ici : http://mon­dia­lisme.org/spip.php?arti­cle2228


3 – C’est-à-dire une poli­ti­que volon­ta­riste et raciale fondée par un théori­cien afri­ka­ner avec non seu­le­ment une sépara­tion abso­lue des races, mais aussi une surex­ploi­ta­tion éhontée de la main-d’œuvre noire. Or, si on trouve encore en France des tra­vailleurs sans-papiers d’immi­gra­tion récente, les générations précédentes deve­nues de natio­na­lité française pour un grand nombre, connais­sent un très fort taux de chômage ou pei­nent à entrer sur le marché du tra­vail sans pour cela cons­ti­tuer une armée indus­trielle de réserve qui vien­drait peser sur le niveau de salai­res. Elles sont seu­le­ment davan­tage vic­ti­mes d’une ines­sen­tia­li­sa­tion de la force de tra­vail qui touche l’ensem­ble des tra­vailleurs.


4 – Saint-Just conce­vait ce mou­ve­ment ins­ti­tuant de la nation sans la domi­na­tion d’un État comme suit : « Il y a trop de lois, trop peu d’ins­ti­tu­tions civi­les. Je crois que plus il y a d’ins­ti­tu­tions, plus le peuple est libre. Il faut peu de lois, là où il y en a tant, le peuple est esclave ». Chez Babeuf et les babou­vis­tes, l’ins­ti­tuant révolu­tion­naire c’est l’égalité de tous devant la propriété et d’abord devant la propriété foncière. Dans notre époque, cette concep­tion d’une com­mu­nauté humaine ins­ti­tuante et uni­ver­selle a été réactivée par des cou­rants issus de l’opéraïsme. C’est le cas, par exem­ple, chez Negri qui cher­che à fonder la « mul­ti­tude ». Mais cette notion reste chez lui d’abord inter­sub­jec­tive, trans­ver­sa­liste, en rhi­zome ; elle se détache mal des par­ti­cu­la­ris­mes et des réseaux. La « mul­ti­tude » negrienne peine à s’objec­ti­ver. Lorsqu’elle le fait, elle vise davan­tage les assemblées cons­ti­tuan­tes que les mou­ve­ments ins­ti­tuants (cf. T. Negri, Le pou­voir cons­ti­tuant : essai sur les alter­na­ti­ves de la moder­nité, PUF, 1997).


5 – Dont il a fait le titre de son livre paru au Seuil en 1975. En 1969, René Lourau a interprété l’insur­rec­tion de Mai 68 comme un puis­sant moment ins­ti­tuant opposé aux forces de l’ins­titué et com­bat­tant son ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion. Cf. R. Lourau, L’ins­ti­tuant contre l’ins­titué, Anthropos, 1969.


6 – Il n’était donc pas pos­si­ble de trou­ver un équi­va­lent au « Nous sommes tous des juifs alle­mands » de Mai 1968. C’est même plutôt le contraire. Aujourd’hui les juifs gênent parce que beau­coup les assi­mi­lent à la poli­ti­que d’Israël dans les ter­ri­toi­res occupés, parce que d’autres les assi­mi­lent à la banque juive et plus générale­ment à la finance (cf. 2008), parce que leur supposé pou­voir (dans les médias et la culture) par rap­port à leur poids démogra­phi­que réel est jugé dis­pro­por­tionné et donc anor­mal (cf. le succès de Dieudonné et la résur­gence récentes de pra­ti­ques dans la lignée de celles du « gang des bar­ba­res »). Toutes les condi­tions sont ainsi réunies pour en faire à nou­veau de par­faits boucs émis­sai­res.


7 – Une ten­dance uni­ver­sa­liste dont le pou­voir ne sait que faire, empêtré qu’il est dans ces ses conces­sions au mul­ti­cultu­ra­lisme qui l’amène à chaud à cette double injonc­tion simul­tanée et contra­dic­toire en direc­tion des musul­mans : réagis­sez en citoyens pour mon­trer que vous êtes français… et en membre de la com­mu­nauté musul­mane en dénonçant les crimes de musul­mans et en disant que ce n’est pas le vrai Islam qui… Cela peut aussi être ramené à ce que nous avons dit sur la théorie sub­jec­tive (dite « française ») de la nation. Cette théorie révolu­tion­naire de 1789 qui para­doxa­le­ment n’est plus sou­te­nue que par les partis de droite deux siècles après (res­tric­tion à la natio­na­lité auto­ma­ti­que des enfants nées en France dans les années chi­ra­quien­nes) a été réaffirmée par un être social col­lec­tif éphémère rejouant La Liberté (d’expres­sion) gui­dant le Peuple de Delacroix mais dans une concep­tion et des com­po­san­tes plus moder­nis­tes que popu­lis­tes. Cet être col­lec­tif fra­gile mais non illu­soire doit être dis­tingué de ce qui s’est passé en 1998 avec la vic­toire de l’équipe de France de foot­ball au cours de laquelle l’équi­li­bre entre idéologie natio­nale et idéologie mul­ti­cultu­ra­liste a été main­te­nue à tra­vers l’ima­ge­rie « blacks/blancs/beurs ». Un équi­li­bre aujourd’hui inte­na­ble (cf. l’affaire des « quotas » dans les clubs de foot­ball) dans un sport busi­ness mon­dia­lisé dans lequel les joueurs chan­gent de natio­na­lité au gré des oppor­tu­nités du marché.


8 – Par exem­ple la laïcité n’est pas vrai­ment une référence concrète puis­que son prin­cipe est mis à mal tous les jours et se trouve de moins en moins res­pecté. C’est d’ailleurs pour cela que ce qui reste de l’État-nation, à tra­vers les ins­ti­tu­tions tra­di­tion­nel­les de la républi­que, essaie de com­bler le manque par un surcroît de lois. Mais son concept fonc­tionne encore comme sédiment de l’his­toire générale des indi­vi­dus de ce pays, dans lequel les indi­vi­dus des différentes stra­tes d’immi­gra­tion suc­ces­si­ves sont venues s’ins­crire. Ces références au « pays des droits de l’homme » nous font peut-être mal parce que nous les enten­dons avec les oreilles de ceux qui cri­ti­quent ce qui est devenu une des idéolo­gies prin­ci­pa­les de l’Occident capi­ta­liste, mais pour beau­coup, c’est encore une recher­che de filia­tion avec le passé révolu­tion­naire quand le fil rouge des luttes de clas­ses a été rompu. Cette recher­che de filia­tion se retrouve de la place Tian’anmen, à la place Tahir en pas­sant par Taksim et plus récem­ment encore Hong-Kong.
Rappelons ici la dernière phrase de l’arti­cle « Sur le rap­port indi­vidu-com­mu­nauté, le temps des confu­sions », Temps cri­ti­ques, no 9 (1996) : « La dif­fi­culté réside dans le fait qu’aujourd’hui, la société du capi­tal a pro­duit un tel niveau d’indi­vi­dua­li­sa­tion et de par­ti­cu­la­ri­sa­tion des indi­vi­dus que les ten­sions vers la com­mu­nauté sont plus réacti­ves qu’acti­ves ». Même dans son aspect actuel le plus vivace, la référence à la com­mu­nauté en général – et c’est bien de cela dont il s’agit plus que de com­mu­nauté natio­nale depuis le mer­credi 7 jan­vier – semble s’être auto­no­misée pour sim­ple­ment figu­rer le « col­lec­tif » à l’intérieur de cette société du capi­tal qui se pose en com­mu­nauté désin­carnée. En note nous indi­quions que ce phénomène était déjà per­cep­ti­ble dans le sens du Tous ensem­ble de 1995.


9 – Sur Twitter, le hash­tag #je­Sui­sChar­lie dépasse tous les précédents records d’occur­rence depuis que ce réseau existe. Il fait la une des jour­naux et la cou­ver­ture des maga­zi­nes du monde entier. Des mots-vali­ses fleu­ris­sent (Charliberté, Chialercharlie), des rues, des places sont baptisées « je suis Charlie ». Des joueurs de foot­ball por­tent ces mots sur leurs maillots, des chan­sons et des poèmes expri­ment leur émotion devant l’événement. La com­mer­cia­li­sa­tion du slogan s’est immédia­te­ment développée et donne lieu à des conflits d’intérêt avec le gra­phiste désigné comme son inven­teur. Sollicité pour des dépôts de marque, l’Institut natio­nal de la propriété indus­trielle décide de ne par enre­gis­trer le slogan, au motif « qu’il ne peut pas être capté par un acteur écono­mi­que du fait de sa large uti­li­sa­tion par la col­lec­ti­vité ». L’ancien terme « d’émotion » employé pour désigner une émeute ou un soulèvement semble ici appro­prié pour rendre compte des mani­fes­ta­tions et des réactions qui ont suivi les atta­ques des ter­ro­ris­tes isla­mis­tes, à savoir la mise en mou­ve­ment d’un ensem­ble d’indi­vi­dus engendrée par un événement inat­tendu et heur­tant pro­fondément la sen­si­bi­lité humaine. Cf. M. Tournier, « Émotion popu­laire, petite note lexi­co­lo­gi­que », Mots. Les lan­ga­ges du poli­ti­que, ici : http://mots.revues.org/3483


10 – Texte dis­po­ni­ble en ligne ici http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle53


11 – Aveuglé par son gau­chisme borné et son anti­fas­cisme daté, A. Badiou, se dit irrité par les mani­fes­ta­tions « tri­co­lo­res » qui ont suivi les atten­tats « fas­cis­tes » perpétrés par trois jeunes français « embri­gadés fas­cis­tes ». Il en appelle à un ral­lie­ment massif des « prolétaires des ban­lieues » à la bannière rouge ; et il précise son credo : « avec le plus pos­si­ble de jeunes filles, voilées ou non, cela n’importe pas ». Cf. Le Monde, 28/01/15, p. 13. Comme naguère R. Garaudy, et plus récem­ment le ter­ro­riste Carlos, A. Badiou en vien­drait-il à donner l’islam comme l’utopie com­mu­nau­taire anti-capi­ta­liste seule à même de per­met­tre désor­mais à l’huma­nité de réaliser le com­mu­nisme ? Ces trois-là ont pour pre­mier point commun de saisir un échec de leur par­cours marxiste-léniniste et d’en attri­buer la faute à l’absence de la dimen­sion com­mu­nau­taire dans la révolu­tion prolétarienne ; comme second point commun, ils sai­sis­sent bien le sens littéral du concept de reli­gion, le fait qu’elle relie ce qui est essen­tiel dans une société contem­po­raine analysée comme vic­time de l’indi­vi­dua­li­sa­tion ; comme troisième point commun, leur marxisme vul­gaire leur fait chan­ger de sujet révolu­tion­naire : les prolétaires deve­nues introu­va­bles ou embour­geoisés cèdent la place à des pau­vres tou­jours plus nom­breux mais concentrés dans les ban­lieues occi­den­ta­les et les pays du Moyen Orient menacés par Israël représen­tant de l’impéria­lisme dans ces zones ; et enfin, quatrième point, le lien néces­saire entre les pau­vres et la dimen­sion com­mu­nau­taire que ne peut représenter le Parti, les amène à repor­ter leur espoir sur l’islam qu’ils don­nent comme la reli­gion concrète des pau­vres.


12 – Le concile Vatican II préparé dès la fin des années cin­quante du XXe siècle dont les effets se pour­sui­vent, sous diver­ses formes, jusqu’à nos jours, marque la fin de l’hégémonisme mon­dial de la reli­gion catho­li­que romaine. L’actuel dyna­misme du catho­li­cisme aux Philippines ne change pas la ten­dance générale puis­que cette reli­gion reste très mino­ri­taire dans les pays asia­ti­ques et qu’elle a aban­donné tout prosélytisme. Théolo­gi­que­ment le Dieu catho­li­que a perdu ses anciens attri­buts de puis­sance alors qu’Allah, le Dieu de l’islam, a gardé et même accru les siens. Quant aux églises et sectes pro­tes­tan­tes — dont la crois­sance reste varia­ble et inégale — en Amérique du Sud, en Asie et en Afrique, elles ne présen­tent pas les ten­dan­ces hégémonis­tes et triom­pha­lis­tes de l’islam ; leurs théolo­gies relèvent davan­tage d’un mes­sia­nisme qui cher­che à séparer la sphère indi­vi­duelle de la sphère poli­ti­que. Ces divers cou­rants évangélistes pro­tes­tants peu­vent cons­ti­tuer des lobbys, pren­nent par­fois des formes mafieu­ses ou mili­cien­nes, sont impliqués dans les affron­te­ments cla­ni­ques et reli­gieux mais ils n’ont pas de stratégie étati­que et moins encore des­po­ti­que.


13 – Le jour­nal paie aussi, depuis la direc­tion de Val, une option plus « engagée » que « bête et méchante » qui n’est pas sans risque quand la réflexion cri­ti­que se résume à des accu­sa­tions ou insul­tes peu avérées de part et d’autre (Val isla­mo­phobe et Siné antisémite par exem­ple au moment de la sépara­tion).


14 – Sur la différence entre com­mu­nauté de référence et références com­mu­nau­tai­res ren­voyons à l’arti­cle signé Phil Agri et Léon Milhoud, Temps cri­ti­ques, no 9, automne 1996 : « Sur les rap­ports indi­vi­dus-com­mu­nauté : le temps des confu­sions » ici : http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle216


15 – Il y a 10 ans, à propos des émeutes de l’automne 2005, nous par­lions certes de « révolte des ban­lieues » et de « jeunes en rébel­lion » mais en sou­li­gnant qu’il serait erroné d’y voir une quel­conque réalité « prolétarienne » à relier à d’autres luttes qui seraient sala­ria­les et ouvrières. Nous mon­trions com­bien les anciens modèles marxis­tes ou anar­chis­tes des insur­rec­tions révolu­tion­nai­res étaient inap­pro­priés pour rendre compte de ces événements. Au contraire, nous sou­li­gnions déjà le caractère ter­ri­to­ria­lisé et iden­ti­taire de ces révoltes, mais sans ou avec peu de caractère reli­gieux. En effet, les grou­pes de jeunes étaient encore très com­po­si­tes mélan­geant sou­vent jeunes « gau­lois » et jeunes immigrés (si on en croît les sta­tis­ti­ques sur les per­son­nes arrêtées) cou­pant court à l’époque à tout dis­cours sur une pos­si­ble ins­tru­men­ta­li­sa­tion par les isla­mis­tes, ces der­niers ayant même semblé jouer un rôle modérateur dans cer­tains quar­tiers. Par ailleurs nous met­tions en évidence les dif­fi­cultés de l’État pour par­ve­nir à repro­duire les rap­ports sociaux dans les ban­lieues. Cf. « La part du feu », Temps cri­ti­ques, no 14, ici : http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle137.
Mais aujourd’hui, si cette dernière dif­fi­culté reste non seu­le­ment présente mais s’est accrue, la révolte n’a pas grandi dans les mêmes pro­por­tions. On peut dire que c’est même le caractère de révolte ori­gi­naire qui a dis­paru. L’isla­misme radi­cal ne fabri­que pas des révoltés mais des sol­dats ; les jeunes recrutés en prison ne par­ti­ci­pent pas aux révoltes des pri­sons mais se font les plus dis­crets pos­si­bles pour échap­per aux repérages et ficha­ges ; les références au Coran ne fonc­tion­nent pas comme référence cultu­relle com­mune ou a for­tiori ouverte, mais comme appren­tis­sage d’une sou­mis­sion à un nouvel ordre qui doit s’impo­ser si ce n’est à tous du moins à tous les croyants. D’où là encore la force d’un sala­fisme qui veut que s’affi­chent les signes reli­gieux pour premièrement créer une « ambiance » dans cer­tains quar­tiers et deuxièmement pour repérer les récal­ci­trants et faire pres­sion impli­ci­te­ment ou expli­ci­te­ment sur eux.


16 – Cf. J. Guigou, partie 1 du no 4 d’Interventions, avril 2004 dans une ver­sion actua­lisée http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle201. Tout cela a aussi été développé, à l’époque, dans le livre de J. Wajnsztejn, Capitalisme et nou­vel­les mora­les de l’intérêt et du goût et nous avons connu depuis une exa­cer­ba­tion de ces ten­dan­ces iden­ti­tai­res et sur­tout leur légiti­ma­tion dans le dis­cours du capi­tal. cf. J. Wajnsztejn, Rapports à la nature, sexe, genre et capi­ta­lisme, Acratie, La Bussière, 2014. URI : http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?page=ouvrage&id_ouvrage=12).


17 – À ce propos il y en a assez que les médias nous ser­vent sans cesse du 6 mil­lions de musul­mans en France en confon­dant sciem­ment culture et reli­gion assi­gnant ainsi à une iden­tité reli­gieuse des dizai­nes de mil­liers d’athées.


18 – Cf. l’ensem­ble du no 17 de Temps cri­ti­ques. Ici :
http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?page=numero&id_numero=17

 

 


[Ain]Hauteville-Lompnes Bugey c’ trip Hiver 6ème édition

source; 

Le festival culturel et engagé est de retour les 20 et 21 février à la salle des fêtes d’Hauteville-Lompnes !
Nouveauté pour cette édition hivers 2015 du Bugey C Trip, on commence dès le vendredi !

Vendredi 20 février                                                                      
- dès 20h : Spectacle « revenons à nos moutons » par Bernard Villanueva

Samedi 21 février
- dès 15h « COMMENT ORGANISER LES RÉSISTANCES AUX IDÉES D’EXTRÊME ET NÉO-LIBÉRALES », Conférence de Maurice Rajsfus ( résistant et militant)
- Enquête de conscientisation organisé par les CRAASH,

-avec la participation du collectif VISA ( Vigilance Initiative Syndicales Antifasciste)

*animation enfant et ados

*pause poétique ,  Stand _table de presse

- 19h:Concert de reagget and the superstars (jazz manouch)

19h30 repas (salade d’endives, quenelle au comté/ riz , fondant au chocolat

- 19h30 : Repas/Spectacle : la compagnie Xanadoo présente   « lendemain difficiles » (spectacle politique)

Elza Davidson ( contorsion)

- 22h30 : Concert
- denge dinan (musique kurde revisitée)
- panic gastrik (ska-punk bugiste)
- irieginal breda (hip-hop, ragga, dencehall)
- kayass [king hifi] (dub digital)

 

 

 

[Ariége] émission de radio: Le sale air… de la peur

source de ce message d’une radio libre

Émission de radio diffusée par la Locale en Ariège. Réactions “à tiède” sur les attentats et leurs conséquences de Janvier 2015

C’est peu de dire que l’air du temps schlingue. Une émission des potos de La Locale tente de réfléchir un peu sur les suites du 11 septembre français, le totalitarisme républicain, l’islamophobie, le racisme d’Etat, et toutes ces joyeusetés dont la période nous abreuve jusqu’à la nausée.

Ca se podcaste là : Le sale air de la peur

source : http://blackmir.blogspot.fr/2015/01/le-sale-air-de-la-peur.html

Contre l’intoxication sécuritaire, semons la confusion dans les rangs des puissants.!

[RHÔNE.] Lyon : un détenu met fin à ses jours à l’UHSA du Vinatier

Un homme âgé de 32 ans s’est suicidé, vendredi matin à l’UHSA (Unité Hospitalière Spécialement Aménagée) de Lyon. Alors que des rondes du personnel soignant ont lieu tous les quart d’heure, il aurait profité de ce court instant pour mettre fin à ses jours, peut-être au moyen de la cordelette d’un pantalon et d’un drap.

Une autopsie aura lieu lundi pour déterminer avec précision les causes de la mort. Située dans l’enceinte du Vinatier, cette unité inaugurée en 2010 accueille uniquement des détenus. Seul le personnel soignant a accès à l’intérieur des locaux qui font l’objet d’une surveillance, à l’extérieur, par le personnel pénitentiaire.

L’homme avait été admis pour des soins il y a environ trois semaines à l’UHSA, alors qu’il se trouvait en détention provisoire à Corbas dans le cadre d’une affaire qui allait être bientôt jugée.

leur presse

lu sur le site rebellyon.info

LyonMag nous rappelle que pour le Vinatier, dont c’est le 3e suicide de détenu à l’UHSA depuis 2010, c’est un coup dur alors que le personnel se plaignait récemment des conditions de travail et de sécurité qui se dégradaient.

Un infirmier avait même été poignardé mercredi dernier, entraînant l’ouverture d’une enquête interne à la demande de la ministre de la Santé, Marisol Touraine.

On en profite pour conseiller la lecture de l’excellente revue Sans Remède journal de critique et de témoignages contre la psychiatrie !

contre tous les enfermements!!

Sans aucune retenue, journal de la forêt de Sivens, 2014

source

 complément l’information de la lutte contre le barrage du testet

Téléchargez la collection complète du journal au format PDF

Sans Aucune Retenue, Journal de la forêt de Sivens n°1/7

25 octobre 2014

Les zones humides, on n’en a rien à foutre

ou

Comment, après avoir dévasté la nature, la société industrielle et écologiste achève de la détruire en « l’aménageant »

 

« Les passionnés de la nature sont à l’avant-garde de sa destruction. »

Bernard Charbonneau, Le Jardin de Babylone

1. Ce bulletin, qui paraîtra quotidiennement pendant sept jours, tiendra sur le projet d’aménagement d’une retenue d’eau sur la rivière Tescou, dans la forêt de Sivens, des propos qui seront, justement, sans retenue et sans ménagement. Y seront posées certaines questions que le mouvement esquive : des tendances technocratiques de l’écologie à la question de la violence comme méthode de lutte.

2. Les arbres tombent, les opposants restent. À la fin du déboisement, la résistance au barrage du Testet a pris un nouveau cours. Pourtant, elle parle toujours le même langage : celui du moratoire et de la contre-expertise, tenu par les écologistes légalistes du collectif « Sauvegarde du Testet ». Ce collectif a vu disparaître, avec la zone humide, son argument principal de protection et de conservation de la nature. Pourtant, la lutte continue : et au-delà de l’écologie, sur quoi se fonde t-elle ?

3. Il ne s’agit pas de trouver étonnant que de l’argent public se convertisse aussi miraculeusement en intérêts privés. En termes d’argent comme en d’autres, la distinction entre public et privé a depuis longtemps cessé d’être opérante, sinon pour égrener la banale liste des malversations qui s’effectuent sous ce binôme. Il ne s’agit même pas de juger curieux qu’un État tellement soucieux d’écologie projette « l’aménagement d’un territoire » qui détruira aussi radicalement une « zone humide » soi-disant protégée. Le calque des stratégies écologiques sur les stratégies économiques a efficacement donné sa mesure : et il existe aujourd’hui deux types d’enclosures, celles qui aménagent un territoire parce qu’il est insupportable qu’un lieu sauvage le demeure, et celles qui aménagent un territoire parce qu’il est insupportable qu’un lieu sauvage ne le soit plus assez. Les uns construisent des barrages, des zones industrielles et des décharges ; les autres délimitent des parcs naturels, des zones humides et des conservatoires. Dans les deux cas, l’espèce humaine est priée de devenir spectatrice d’une nature distante, qu’elle soit instrumentalisée ou protégée ; de commander des granulés chez SEBSO (Société chargée du déboisement à Sivens) pour remplir son poêle au lieu d’aller ramasser du bois dans la forêt, et de taper sur Google « lézard des murailles » si d’aventure il lui venait le désir saugrenu de connaître l’allure d’un pareil animal.

4. Ces foutaises ne nous amusent plus. Les beaux jours de l’écologie, l’autorité apparente dont jouissent ses arguments, reflète le développement d’un« sentiment de la nature » issu justement de la fêlure de plus en plus profonde qui sépare la nature de l’homme. Il n’y a pas plus amoureux de la nature que l’urbain désespéré qui n’y vivrait pour rien au monde. Depuis les débuts de l’écologie, cette ambiguïté a fait l’objet de critiques virulentes de la part de ceux qui, par leur vie et leurs pratiques, mettaient le plus vigoureusement en œuvre ses principes. Elle a rapidement été décelée par ceux qui en furent les précurseurs, Bernard Charbonneau par exemple, comme « le futur du capitalisme, et en tout cas une utilisation assez merveilleuse de l’angoisse » (Guedj et Meuret, membre de la revue Survivre… et vivre !, pionnière en écologie politique) L’engloutissement de la pensée dans le savoir technicien a disqualifié nos expériences les plus simples, et d’abord par le langage dont elle use. L’expression « zone humide », tant entendue à Sivens, en est l’irritant exemple. L’argument écologique à son commencement, parce qu’il donnait la possibilité de penser dans le langage de tout le monde des faits extrêmement concrets, permettait d’entrevoir une sortie du vocabulaire idéologique dont se nourrissait jusqu’alors la gauche radicale, et c’est en cela qu’il était révolutionnaire. Rattrapée par une époque qui rend aux hommes toujours plus difficile de reconnaître et de nommer leur propre misère, l’écologie n’a pas tardé à saborder des dispositions aussi dangereuses pour le pouvoir en place : et désormais, « faute d’une enquête sévère, à tout instant poursuivie, sur les mots dont nous usons, nous risquons extrêmement d’être dupes de ces mots […] et réduits à penser notre langage pour n’avoir pas exigé de parler notre pensée. » (Jean Paulhan). Le langage crée une réalité. Les marécages, les tourbières, les ruisseaux et les bouilles existent, et toutes les plantes et les bestioles qui y vivent. Une zone humide n’existe pas.

5. Nous dirons des choses simples : le refus de voir soustrait un lieu à ses habitants et à leurs usages, la colère face aux projets imposés sous couvert d’enquêtes d’utilité publique parodiquement démocratiques, la lassitude à l’égard de la perversion économique qui ne supporte plus qu’un lieu demeure sans emploi et l’attachement à la liberté vernaculaire qui se goûte dans ces lieux inexploités.

6. Comme l’écrivait Venant Brisset dans des circonstances semblables (cf. Du côté de la Ramade, documents relatifs à une précédente bataille contre le saccage d’un territoire), la prolifération des nuisances et des écologistes dans la société industrielle va de pair. Ici, comme il y a encore très peu de nuisances, il n’y aucune raison pour qu’il y ait des écologistes. Nous n’en sommes pas. Nous serions plutôt comme ces agrions de Mercure qui volent dans la forêt de Sivens. Nous habitons ici. Nous voulons vivre libres et heureux, et c’est dans ce but déraisonnable que nous avons décidé de continuer ou de commencer à vivre ici. Dans ce monde de territoires sans pouvoir, soumis à un pouvoir sans territoire, nous cherchons à y recréer la possibilité de l’autonomie ; non pas pour mais avec et dans la nature.

Victoria Xardel

 

 


 

Sans Aucune Retenue, Journal de la forêt de Sivens n°3/7

27 octobre 2014

 

Après les arbres, ils abattent les hommes

Rémi F., 21 ans, a été tué par la police

 

Depuis quelques semaines, le projet du barrage de Sivens est dans une position délicate.

Le vent tourne. Les conflits d’intérêt qui y président ont successivement été démasqués dans les médias nationaux. Le modèle d’agriculture pesticide qu’il impose est abondamment critiqué par l’opinion. Plus aucun motif ne semble valable pour continuer les travaux, menés sous la houlette de centaines de policiers et de militaires. Il ne reste aux porteurs du projet qu’un seul argument : la soi-disant violence de l’opposition, qui démontrerait à elle seule le bien-fondé de l’obstination de notre État de droit.

Notre camarade est tombé sous les tirs de cet État de droit.

En forêt de Sivens vendredi, en amont de la manifestation nationale du samedi 25 octobre qui a réuni 7000 personnes, les machines de chantier qui travaillent la semaine à la construction de la digue du barrage avaient été déplacées. Il ne restait dans le petit camp retranché aménagé par les forces de l’ordre que chiotte et compresseur, jolis symboles du monde qu’on nous prépare. Agacés par leur incongruité, les habitants de la forêt se débarrassèrent de ces objets inutiles. Impossible pourtant de se débarrasser des 250 CRS et gendarmes mobiles qui depuis vendredi soir, alors qu’il n’y avait sur place aucune machine, aucun ouvrier à « protéger », semblaient vouloir en découdre.

L’unique raison pour justifier la présence démesurée des forces de l’ordre armées samedi à Sivens était la volonté des autorités de susciter des tensions pendant les deux jours de manifestation.

Ils y sont si bien parvenus qu’ils ont tué un homme.

 

Un barrage contre le pacifisme

Dialogue (Première partie)

 

 

Un soir dans la forêt de Sivens, une femme diaphane fait son entrée À la Maison des druides. Le jeune homme qui s’y repose sursaute. C’est en ces termes qu’elle s’adresse à lui.

― Je ne te veux pas de mal. Il y a soixante-dix ans, il y avait ici un maquis. J’ai tardé avant de le rejoindre, je ne supportais plus de rester passive – car rester passif, c’est collaborer, c’est faire le jeu des autorités qui ont la force de leur côté. Finalement, je me suis lancée dans la Résistance, et je suis tombée ici – les arbres m’ont accueillie parmi eux.

― Sois la bienvenue. Moi aussi, j’ai fait le choix de la résistance. Je combats un système qui menace la vie et donc la possibilité, pour nous et les générations futures, de vivre une vie non mutilée. Ici, ils déracinent des arbres pour faire un barrage.

― Oui, j’ai vu des arbres que je fréquente depuis des années être abattus par les machines de mort, j’ai vu les gens y grimper à l’aube pour les protéger, j’ai vu les tentatives de ralentir les robocops avec des barricades et des cocktails Molotov – quelle naïveté, vu comment ils sont équipés.

― Tu penses que nous ne sommes pas assez « équipés » ? Moi, je suis pour la résistance active, mais sans moyens violents. Je suis pacifiste.

― Pourquoi te sens-tu obligé de me dire cela, et d’un ton si supérieur ? Aurais-tu du mépris pour celles et ceux qui, comme moi, ne se définissent pas comme « pacifistes » ?

― Non, aucun mépris, excuse-moi. Je pense même qu’il s’agit d’une composante indispensable de la lutte. Tu me confonds peut-être avec d’autres gens, ceux qui se disent « légalistes », cherchent à négocier avec les autorités et se démarquent des « occupants » et des « violents ». En ce qui me concerne, je n’hésite pas à violer la loi pour défendre mes idées. Mais si je combats la violence de ce système, c’est parce que je m’oppose à toute forme de violence. Je suis donc pacifiste.

― Je trouve bizarre la manière dont tu te définis et dont tu parles des autres composantes de ta lutte. Nous, dans la Résistance, nous ne nous divisions pas en légalistes, pacifistes et violents. Il y avait les maquisards qui vivaient armés dans la clandestinité, la population qui nous soutenait matériellement et les gens qui, au sein de l’administration, faisaient les faux papiers et transmettaient certaines informations – c’est grâce à l’union de ces trois composantes qu’il y a eu de la résistance en France, et il aurait été désastreux de se dissocier de l’une. Votre distinction – car tu n’est pas le seul à parler en ces termes – a forcément pour effet de stigmatiser ce qu’il faudrait soutenir en priorité : celles et ceux qui prennent le risque de menacer le bon déroulement du programme de destruction concocté par les autorités.

― Soit, mais nos situations n’ont rien à voir – et il faut s’y adapter. On ne peut comparer le nazisme et ce que je combats : Carcenac est un escroc, mais ce n’est pas un Hitler qui assassine à tour de bras. Les gendarmes mobiles commettent des exactions, mais ils ne tirent pas à balles réelles.

― C’est vrai, mais tu m’as dit toi-même que les logiques économiques et politiques qui poussent à faire ce barrage, elles menacent la vie et donc l’humanité. Et tu vois bien que ce barrage, il est fait contre vous. Contre votre monde, vos idéaux et vos pratiques pacifistes. Si vous n’arrêtez pas le chantier, vous allez sortir de cette lutte affaiblis, collectivement et individuellement. Il faut donc résister, tous ensemble. A chacun de faire ce qu’il peut en fonction de ce qu’il sait et se sent capable. Pour gagner un combat, de toute façon il faut de tout et ne pas reculer devant l’épreuve de force. L’essentiel, c’est de ne pas se dissocier des autres – çà, c’est faire le boulot du pouvoir : « diviser pour mieux régner ».

― Il faut de tout, certes, mais tout n’est pas toujours possible ensemble – quand des gens lancent de loin des cailloux sur les flics qui encerclent les militants pacifistes enterrés, c’est stupide et dangereux. De toute façon, je ne pense pas qu’il soit possible de battre l’État sur son propre terrain. Je ne pense même pas qu’il soit souhaitable d’entrer dans ce jeu-là, nous n’avons rien à y gagner.

― Vu le rapport de force, tu as peut-être raison. Mais je crois tu ne m’as pas bien comprise : pour moi, le problème n’est pas de savoir si on est prêt ou pas à recourir à la violence – ça, c’est une question personnelle, qui dépend de notre histoire, de l’Histoire aussi, des circonstances, etc. Mon propos n’a jamais été de dire que seuls les maquisards avaient fait le bon choix. Le problème à mes yeux, c’est que tu te définisses d’une manière qui donne le mauvais rôle à certains de tes camarades ; c’est que les adjectifs définissant les différentes branches de la lutte sont des catégories policières qui aboutissent, en te posant comme innocent, à montrer implicitement du doigt les autres comme criminels. Là, tu fais le jeu du pouvoir, qui cherche toujours à discréditer ses opposants comme « violents », voire « terroristes ».

― Dis moi seulement, d’où vient cette question de la « violence » ?

 

 


 

Sans Aucune Retenue, Journal de la forêt de Sivens n°4/7

28 octobre 2014

 

Un barrage contre le pacifisme

Dialogue (Deuxième partie)

 

 

― Dis moi seulement, d’où vient cette question de la « violence » ?

― Cette question, les journalistes nous la posent toujours d’une manière telle qu’on comprend vite qu’on n’a pas le choix de la réponse : dans les interviews, on est sans cesse sommé de se dire non violent, pour rester crédible. Elle est aussi au cœur du discours des autorités qui martèlent que le mouvement est « violent » pour le stigmatiser et le discréditer aux yeux des gens. D’où l’importance de prendre le contre-pied de ce discours et de rappeler que, dans ce mouvement, nous sommes en immense majorité pacifistes dans l’âme, nous préférons le dialogue qui nous est refusé à la violence qui nous est imposée.

― Mais dire cela, ce n’est pas prendre le contre-pied des autorités, c’est faire leur jeu. La question des moyens posée indépendamment de la situation qui vous est faite – on vous fait quand même la guerre, à vous et à la nature – est un piège que vous tendent vos ennemis. Ils font ça afin que vous ne puissiez même pas avoir l’idée de constituer un « rapport de force ». Ils font ça pour vous cantonner à un rôle inoffensif de négociation, qui vous oblige à déléguer le pouvoir à un représentant – et la farce de la représentation peut recommencer. Ne jamais oublier : il ne peut y avoir de négociation réelle qu’entre puissances de force (à peu près) égale. Toute autre « négociation » ne peut être qu’une mascarade, ne peut être que la doléance que présente le sujet faible au souverain tout-puissant – à moins que ce que votre porte-parole négocie, ce soit moins la fin des travaux que le début de sa carrière politique. Pour négocier, il faut d’abord constituer une force, une force politique. Plus vous vous direz pacifistes, plus cela vous sera difficile. En plus, vous préparez le terrain au prochain coup des autorités : diviser le mouvement en « bons citoyens pacifistes » et en « méchants occupants violents », ce qui tuera la lutte.

― Peut-être as-tu raison, mais il y a une donnée nouvelle que tu ne connais pas. Aujourd’hui, les gens sont extrêmement sensibles à la violence. Elle a pris une place centrale dans l’imaginaire, elle fascine et terrifie, c’est le sacré de notre génération. Plein de militants cèdent à son charme, et moi aussi, quelque part, je rêve de voir ces machines brûler. Mais compte tenu de cette hypersensibilité à la violence, ce serait désastreux pour notre image dans l’opinion publique.

― Mais tu confonds tout ! La violence, ça s’exerce contre des personnes ou des êtres sensibles, pas contre des machines. Détruire des machines, ce n’est pas de la violence, c’est du sabotage pour mettre les forces de destruction hors d’état de nuire. Oui à toutes les offensives, qu’elles soient, dans le langage de la police, « violentes » ou « non violentes ». Car ce n’est pas de cette manière qu’il faut se définir, et il ne faut pas se laisser définir ainsi. Cette question est un piège pour diviser et paralyser. Ce qui compte, c’est de se définir d’abord comme résistant, se définir par les fins que l’on vise et l’analyse de la situation que l’on fait, plus que par les moyens qu’on est prêt à utiliser. Quant à celles et ceux qui soulignent être « légalistes », tu as raison de te méfier : ils risquent fort de se révéler vite être des « passifistes », des partisans de la passivité (ce qui se combine très bien avec une intense agitation dans la négociation). Ou des opportunistes qui préparent leur dissociation, leur passage à l’ennemi. En tout cas, insister sans cesse là-dessus quand tous les recours sont épuisés et que toutes les négociations politiques ont été vaines, c’est se préparer à assister passivement au désastre.

― Tu as raison, mais il me faut souligner une dernière chose : moi aussi, je suis pour l’offensive et l’audace – c’est ce qui nous manque le plus. Mais je ne pense pas qu’on ait besoin d’être « violent ». Celles et ceux qui ont le plus ralenti les travaux et la police, ce sont les enterrés et les grimpeurs, pas les barricadiers, même s’ils ont un rôle à jouer. Tu as raison de nous mettre en garde sur un mot qui, aujourd’hui, met finalement tous les illégalismes dans un même sac, pour les condamner en bloc, sans plus distinguer entre le bris de machine et la violence sur personne. Mais tu me sembles céder, comme tant de jeunes d’une époque nourrie aux scènes de bataille, à la fascination pour la violence. N’oublie pas : on peut être offensif sans être agressif, on peut arrêter les machines sans s’attaquer aux personnes, on peut renverser le pouvoir sans le prendre – et c’est ce dont je rêve.

― Laisse-moi clore ce débat en te parlant d’une autre lutte encore, qui m’a semblé exemplaire. J’ai rencontré une Italienne la semaine dernière. Elle venait d’une vallée qui s’oppose depuis des années à un projet de ligne TGV, le Val de Suze. Là-bas, la lutte s’enracine notamment parce que, face à la violence de l’État, tout le monde est conscient qu’il faut revenir au droit de légitime défense et au devoir de résistance à l’oppression. Toutes les composantes de la lutte participent à des actions offensives communes, chacune avec ses moyens. Et tous les inculpés y jouissent d’un soutien inconditionnel.

― Un spectre hante la forêt de Sivens, c’est le spectre de la résistance.

Aurélien Berlan

 

Un pacifiste contre le barrage ?

 

 

Dans ce dialogue, écrit avant la nuit où Rémi a été abattu par la police, notre voulions remettre en question un discours « pacifiste » qui prenait de plus en plus de place dans le mouvement d’opposition au barrage. Lors du concert à Matens, organisé en soutien aux inculpés de la lutte, le terme était dans toutes les bouches, sans que son incongruité, dans de pareilles circonstances, ne frappe quiconque.

Pour autant, il ne s’agissait pas de faire un éloge des « violents ». Nous ne nous reconnaissons ni dans l’une ni dans l’autre de ces catégories. Nous pensons que cette distinction est factice, comme le suggère le fait qu’il est bien délicat de nommer son pôle « obscur » ; les « violents », les « radicaux », les « cagoulés » ou, dans le dialogue que vous venez de lire, les « résistants » : autant de catégories inadéquates. On peut être pacifiste et radical, résistant et non violent. Ce sont des étiquettes répulsives qui ne disent rien sur les gens ainsi qualifiés, mais beaucoup sur ce dont ont peur ceux qui les stigmatisent de cette manière.

« Quiconque prend l’épée périra par l’épée. Et quiconque ne prend pas l’épée périra sur la croix. »

Simone Weil

Cette opposition artificielle ne fait que figer en « identités » des gestes, des comportements, des stratégies. Mais nous savons que la réalité est tout autre. Notre perception de la « violence » est éminemment subjective, et fille de son époque. Il fut un temps pas si lointain où la violence ne désignait que les actes visant des personnes de chair ; on parlait alors de sabotage pour qualifier les actes visant les choses, comme par exemple la destruction de machines. Aujourd’hui, la femme d’un conseiller général pro-barrage peut dénoncer comme « extrêmement violent » le fait qu’on ait jeté dans son beau jardin des cartouches [vides] de gaz lacrymogène.

Notre rapport à la violence est mouvant : que l’on soit prêt ou non à se masquer le visage et à jeter trois cailloux dépend de notre tempérament et de notre humeur, des circonstances, de l’attitude des forces de l’ordre, des chances ou non de succès d’un assaut physique. Il n’y a pas les « pacifistes » d’un côté et les « violents » de l’autre. Il y a des hommes et des femmes, qui passent d’un geste et d’une tactique à l’autre. Dans notre mouvement, nous ne connaissons d’ailleurs pas d’authentiques « pacifistes », comme Lanza Del Vasto qui paradoxalement se définissait comme un vrai « guerrier », rappelant ainsi que le vrai guerrier n’est pas belliqueux. Il y a par contre beaucoup de « pacifiques » qui, face à la conflictualité et aux rapports de force inhérents à la sphère politique, dissimulent sous ce vocable leurs propres peurs. La victime de la police est l’exemple même de cette réalité mouvante : comme nous tous, il était enragé de voir la forêt dévastée, tenaillé par la colère devant les provocations des argousins. C’est lui qui est mort ; ç’aurait pu être toi, qui lit ce texte.

Depuis les soulèvements populaires des années 1970 et leur mise en déroute, les moyens de résistance qui se sont progressivement imposés et qui sont aujourd’hui les plus pratiqués sont liés à l’image et au symbole. A Sivens on s’enterre, on « prend racine » pour barrer le chemin aux machines ; on replante, dans la forêt changée en lit de copeaux, de jeunes arbrisseaux. Ces pratiques pacifistes portent en leur sein le souci de donner aux médias qui la relaient une « bonne image » de la lutte, mélangé de considération morale quant à l’usage de la violence. Nous vivons dans une société en état de paix ; c’est à dire où la violence emprunte des voies tellement détournées qu’elle parvient à ne plus être identifiée sous ce nom, et que l’emploi de sa forme la plus brute et matérielle – caillou & flash-ball – nous terrifie. Cet effet de répulsif moral que suscite tout emploi de la violence directe, matérielle n’est qu’un exemple de la prédominance, là comme partout, de la représentation sur la réalité. Mais qu’on se le dise : qui se bat par les images aura de l’influence dans un monde d’images, et contribuera à renforcer ce monde, contre lequel par ailleurs nous luttons.

L’influence par le symbole est peut-être nécessaire, aussi, à la lutte ; mais lorsqu’elle demeure si négligeable et si parallèle qu’elle échoue à enrayer une destruction bien réelle, il n’est plus possible de s’en tenir là. Alors se repose la vieille question des moyens et des fins.

Toute l’équivoque vient de ce que nous souhaitons obtenir des conséquences pratiques par des moyens symboliques : faire cesser le travail des machines en infléchissant à notre égard l’opinion publique, qui ainsi gagnée à la cause infléchira elle-même le gouvernement, qui par crainte de la « mauvais presse » qui découlerait de leur obstination ordonnera aux différents acteurs économiques et politiques du projet de cesser les travaux. Nous voulons être indirectement efficaces. Mais il y a là une contradiction dans les termes. Est efficace ce qui va au but par les moyens les plus directs. Notre but est de faire cesser les travaux du barrage. La réprobation morale de la violence doit laisser place à une stratégie d’ensemble. Tous les fronts de tous les mondes doivent être occupés. Celui des images, éminemment contemporain, en est un. Beaucoup plus désuet, comme tout ce qui s’exerce sans médiation, le sabotage en est un autre.

On ne mesure pas la force et la justesse d’une lutte aux moyens employés, qu’ils soient violents ou non. Il faut laisser l’image de la résistance pacifiste populaire contre la violence d’État comme modèle de la lutte aux journalistes amateurs de clivages simples. On considérera peut-être les chances de réussite d’une lutte à sa capacité à ne jamais se laisser réduire à un principe – à une image –, mais à occuper tous les principes et toutes les images – et donc à les subvertir. Cessons de nous enfermer dans des identités figées et pensons plutôt à comment agir de conserve, divergentes méthodes pour un objectif identique : l’abandon immédiat et définitif du projet de barrage, l’expropriation du Conseil Général et la réappropriation de la forêt de Sivens.

Victoria Xardel, Aurélien Berlan

 

 


 

Sans Aucune Retenue, Journal de la forêt de Sivens n°5/7

29 octobre 2014

 

 

Tremble carcasse, si tu savais où je te mène !

Thierry Carcenac s’interroge sur les futurs investissements :
« Si tous les chantiers qui déplaisent doivent être protégés ainsi, où va-t-on ? »

La Dépêche du Midi, 27 octobre 2014.

Il faut un mort pour que le déménageur en chef du territoire dans le Tarn se pose une grande question existentielle : où va-t-on, en effet, si on ne peu plus bétonner tranquillement ? s’il faut à chaque fois passer sur les cadavres des opposants ?

Cette engeance, toujours aussi imbue de son pouvoir, se demande en réalité : « où va-t-on si les gens se mêlent de leurs affaires et que je ne peux plus m’en occuper à leur place (et m’en mettre plein les poches avec mes petits copains) ? »

La même pourriture, suite à la publication du rapport d’expert qui confirmait en tous points l’analyse critique du projet de barrage par les opposants, concédait qu’en effet il s’était quelque peu trompé, mais que de toute façon, les sommes engagées pour les études et les travaux étaient déjà trop considérables pour gâcher en pure perte tout ce bon argent public en faisant machine arrière : « bien sûr, je fais n’importe quoi, mais je le ferais jusqu’au bout ! »Cette pathologie dans l’argumentation, cette logique de la déraison a déjà été bien analysée :

« On connaît cette histoire de l’homme qui a prêté un chaudron à un ami et qui se plaint, après avoir récupéré son bien, d’y découvrir un trou. Pour sa défense, l’emprunteur déclare qu’il a rendu le chaudron intact, que par ailleurs le chaudron était déjà percé quand il l’a emprunté, et que de toute façon il n’a jamais emprunté de chaudron. Chacune de ces justifications, prise isolément, serait logiquement recevable. Mais leur empilement, destiné à mieux convaincre, devient incohérent. Or c’est précisément à un semblable empilement d’arguments que se trouve régulièrement confronté quiconque s’interroge sur l’opportunité d’une diffusion massive de telle ou telle innovation technique.

Dans un premier temps, pour nous convaincre de donner une adhésion pleine et entière à la technique en question, ses promoteurs nous expliquent à quel point celle-ci va enchanter nos vies. Malgré une présentation aussi avantageuse, des inquiétudes se font jour : des bouleversements aussi considérables que ceux annoncés ne peuvent être entièrement positifs, il y a certainement des effets néfastes à prendre en compte. La stratégie change alors de visage : au lieu de mettre en avant la radicale nouveauté de la technique concernée on s’applique à nous montrer, au contraire, qu’elle s’inscrit dans l’absolue continuité de ce que l’homme, et même la nature, font depuis la nuit des temps. Les objections n’appellent donc même pas de réponses, elles sont sans objet. Enfin, pour les opposants qui n’auraient pas encore déposé les armes, on finit par sortir le troisième type d’argument : inutile de discuter, de toute façon cette évolution est inéluctable. Ce schéma ne cesse d’être reproduit. »

Olivier Rey, Nouveau dispositif dans la fabrique du dernier homme, revue Conférence, juin 2012.

Au Testet comme ailleurs, tous les Carcenac nous font le même coup du chantage à la démesure : « la machine est lancée et elle est trop grosse pour qu’on puisse l’arrêter. » Ce qui en dit long sur leur condition d’esclave des dispositifs économiques et techniques qu’ils manigancent et surtout sur l’ambition grandiose qu’ils ont de nous rendre tous semblables à eux-mêmes, à nous faire vivre dans leur monde où la nature et les hommes marchent au pas cadencé de l’économie et de la machine

Face à d’aussi répugnantes perspectives, face à ce « monopole de la violence légitime » qu’exerce quotidiennement l’État de droit et l’économie de Marché en vue du développement infini de la société industrielle, la violence des « virulents », des « radicaux », des « casseurs » ou des « black blocks » (rayez les mentions inutiles) paraît bien dérisoire et n’est qu’un juste retour des choses.

Cette atteinte quotidienne à notre liberté et autonomie, qui crève les yeux à travers les déclarations des politiciens, nous ne la voyons pas tellement elle est mise à distance par la démesure de la Mégamachine. D’abord en tant qu’ « utilisateurs finaux » de ses produits, nous ne voyons plus la violence qu’elle exerce au loin– voire même juste à côté de chez nous – pour fonctionner, tant elle est cloisonnée. Derrière la commande passée sur Internet, qui voit les intérimaires sous-payés courir dans les entrepôts géants et les camionneurs s’épuiser sur les autoroutes, par exemple ? Cette brutalité est également intériorisée dans les rapports sociaux, d’abord à travers la soumission qu’implique le salariat et sa hiérarchie indiscutable. Mais de plus en plus aussi à travers les habitudes que nous contractons du fait de l’usage d’un nombre grandissant de machines dans notre vie quotidienne, d’un fonctionnement régulier, prévisible, fluide et sans heurts du cours de l’activité sociale. L’organisation générale de la société, d’une ramification et d’une complexité incommensurable, nous a habitué à une existence bien réglée, à un fonctionnement de la vie bien policé, à une activité qui roule et qui roule d’ailleurs d’autant et toujours plus vite qu’elle est toujours mieux réglée, policée et interconnectée.

Est maintenant perçue comme « violence » toute interruption de la machinerie, toute irruption de l’inattendu, de l’imprévu, du hors-cadre et du hors-norme. Ce qui dérange l’organisation et le programme ; crée des tensions et des heurts dans le fonctionnement. Que la surprise de la vie se manifeste et c’est le scandale. Et pour que cette « violence » cesse, il faut étendre toujours plus avant la rationalisation de nos existences, de nos activités et mettre en coupe réglée leur contexte.

La violence de l’organisation, qui tranquillement contraint, canalise, embrigade, oppresse, exploite et aliène le mouvement autonome de la vie, de notre vie et ses conditions, est maintenant perçue comme la normalité, l’ordre des choses, le calme cours de la vie, la paix. La machine est le modèle, la vie doit s’y conformer, jusqu’à la raideur de l’automate.

« Je lance un appel au calme » nous dit pour conclure le pyromane-pompier Carcenac.

Nous sommes calmes depuis longtemps : nous sommes calmement en colère contre cette vie corsetée et sérieusement déterminés à faire barrage à tous les agités du bétonnage du territoire et des « Zones d’Aménagement Différés », les excités de l’innovation et du progrès, les compulsifs de la vitesse à haut débit et de la circulation en flux tendus, les hystériques de la croissance infinie et du « redressement productif », les fanatiques de l’aliénation à la société capitaliste et industrielle.

Occupons et habitons la vallée du Tescou, reconstruisons là et partout ailleurs notre vie, et faisons nôtre ce pays.

Bertrand Louart, menuisier-ébéniste

 

 


 

Sans Aucune Retenue, Journal de la forêt de Sivens n°6/7

30 octobre 2014

 

 

« Aménager mais protéger »

Publi-communiqué du Conseil Général du Tarn publié dans la Dépêche du Midi du 1er novembre 2014.

Pour comprendre comment ils aménagent, il suffit de voir comment ils protègent. Au moment de sa parution, le titre de ce publi-communiqué révélait bien que «  l’aménagement du territoire » détruit. Depuis le 25 octobre, on sait désormais ce que signifie protéger. Détruire mais tuer : voilà la propagande du Conseil Général du Tarn.

Protéger la croissance

Recréer la nature

Le publi-communiqué du conseil général du Tarn paru le premier octobre dernier dans le torchon de La Dépêche du Midi est un bijou d’arrogance. Il inverse totalement les choses en présentant les saccageurs comme des écologistes et les opposants comme des saccageurs. Mais il a toutefois un grand mérite. Non pas de mettre en évidence les copinages entre notables (les élus et la presse), le cynisme et les mensonges des dominants (nous connaissons déjà tout cela), mais plutôt de nous montrer avec quelle facilité les communiquants du conseil général retournent la situation en utilisant le même langage technique et scientifique que les environnementalistes. Derrière chaque langue, il y a une vision du monde. Ce langage qui se veut neutre et objectif est celui de ceux qui gèrent ce monde. Il décrit et analyse les paysages, la nature, les activités humaines, les relations humaines de telle sorte que tout aille dans le sens du développement économique et du progrès scientifique et industriel.

En agriculture, par exemple, la campagne est désormais mesurée et chiffrée dans ses moindres détails. Depuis quelques années, l’ensemble des terres agricoles (champ cultivé, prairie, bois, causse, estives, etc.) est photographié par vue aérienne. Ces photos sont numérisées et chaque agriculteur doit déclarer tous les ans ce qu’il fait sur ses terrains (quelle culture ? quelles bêtes ? combien ?). Ces déclarations sont enregistrées dans des bases de données de l’administration. Un pré devient alors un « îlot », un arbre devient un « élément paysager », et un troupeau qui pâture devient un « chargement » qu’il convient de maîtriser dans un « plan de gestion pastorale ». Il n’y a plus un bout de paysage auquel on n’attribue pas une valeur, une réalité augmentée, quelque part dans l’ordinateur d’un bureaucrate : un potentiel agronomique, un atout touristique ou une biodiversité remarquable. Cette façon de simplifier et d’appauvrir la réalité, de tout transformer en chose, permet de comparer n’importe quel endroit avec n’importe quel autre et d’en faire ce que l’on veut. On peut ainsi échanger tel endroit contre tel autre, on peut même détruire telle « zone humide » pour la « recréer » artificiellement ailleurs.

Cet univers technocratique, c’est la violence normale du monde moderne. Quelle que soit la taille d’un projet d’aménagement, que la destruction à laquelle on assiste soit petite ou grande, tout ce que l’on peut dire, si l’on n’utilise pas le langage des gestionnaires, est considéré comme irrationnel, subjectif, emprunt de sentiments intempestifs. On ne décide plus de nos conditions de vie (là où on habite, comment on travaille, comment on vit avec nos voisins, etc.). Les décisions qui ont le plus de conséquences sur nos vies dépendent d’experts et de programmes nationaux ou européens. Ainsi, le mode de vie moderne exige de ne pas trop s’attacher à ce qui nous entoure et de s’adapter sans cesse aux évolutions de ce monde et aux exigences de la relance de l’économie.

Pour continuer à lutter contre ce monde, contre cette vision scientifique et économique de la vie, on peut peut-être s’appuyer plus sur ce qu’a pu produire l’ancienne culture rurale, sur ce qu’elle avait d’universel dans ses modes de vie sans éluder ses mauvais aspects, sans idéaliser.

Il ne s’agit pas de se conformer à un ancien modèle, ni d’opposer les gens nés ici à ceux qui viennent d’ailleurs ou les ruraux aux citadins. Il ne s’agit pas non plus de mettre sur un piédestal le monde agricole actuel. Il n’est pas l’héritier de cette culture rurale mais plutôt son fossoyeur (certains agriculteurs le regrettent, d’autres pas du tout).

Il s’agirait plutôt de voir si notre hostilité à la société industrielle ne pourrait pas se nourrir en partie d’une culture qui lui a toujours été réfractaire. Si l’on veut rompre avec la vie hors-sol et administrée d’aujourd’hui, il y a sûrement des enseignements à tirer d’une culture qui a vécu plusieurs milliers d’années sous diverses formes avant de s’auto-dissoudre dans la société de consommation.

Un berger qui a transhumé au Testet

 

 


 

Sans Aucune Retenue, Journal de la forêt de Sivens n°7/7

31 octobre 2014

 

 

De l’abattoir au laboratoire

Place à la gestion de l’ « affaire Sivens »

 

L’affaire du barrage de Sivens, parce qu’il s’agit d’un projet modeste d’aménagement du territoire comme il s’en réalise tous les mois dans les campagnes de France, a cela d’exemplaire que selon son issue, elle pourrait constituer un paradigme pour les autres résistances à ce nouveau genre de destruction massive qui dévaste nos pays. Destruction aujourd’hui protégée par les différents dispositifs de récupération verte (cf. « Aménager mais protéger et recréer », publi-communiqué du Conseil général du Tarn publié dans La Dépêche du Midi du 1eroctobre 2014) et les parodies ordinaires de démocratie. Avec Sivens, ces pantomimes ont volé en éclat, et le véritable enjeu de la contestation, qui va bien au-delà de la réalisation ou non de ce barrage, peut enfin se formuler : comment voulons-nous vivre ? Dans les temps qui viennent, le gouvernement s’apprête à poser la question aux citoyens français : que voulez-vous ? Aujourd’hui la vie est simple : les décideurs décident, les citoyens consomment. Voilà la démocratie. Cela ne vous plaît plus ? Regardez-les, ces zadistes, qui cultivent leurs légumes et vivent dans leurs cabanes, est-ce vraiment ainsi que vous voulez vivre ?

Au milieu des années 1980, la contestation suscitée par le grand projet de nucléarisation de l’Hexagone a pris au dépourvu les décideurs, habitués à ce que toutes les horreurs sortant de leur imagination mortifère aient été réalisées après guerre dans un grand consensus communo-gaulliste en faveur du « progrès ». Embarrassé, le ministère de l’environnement a demandé l’aide de la science sociologique pour endiguer l’opposition grandissante : comment donner un vernis démocratique aux projets mûrement imposés par les décideurs ? La réponse, on la connaît : il faut faire de la « concertation », organiser des « forums hybrides » associant les représentants de l’État aux délégués des associations et autres organisations para-gouvernementales, afin que la « société civile » puisse discuter et par là même valider démocratiquement les décisions déjà prises par la technocratie. Il faut créer de toutes pièces des associations afin que, lors de ces débats, il y ait des acteurs de la « société civile » favorables aux projets des élites et que les journalistes puissent dire qu’« en bas » aussi, il y a du débat, que les choses sont complexes, très complexes, et qu’il vaut mieux laisser l’État savant s’en charger. Et c’est ainsi qu’un polytechnicien a fondé « l’Association des écologistes pour le nucléaire »… Très vite, il est devenu clair que toutes ces associations commençaient leur carrière comme les syndicats ouvriers l’avait achevée : comme des organes de gestion de la contestation. Certains mouvements d’opposition conséquents ont commencé à refuser de participer à ces parodies de débat public. La grande concertation lancée par la Commission Nationale du Débat Public (« CNPD, participer, c’est accepter ») à propos des nanotechnologies a ainsi été rigoureusement sabotée, de même que celle relative à l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure : les premières mises en scène de débat public furent tant perturbées que les autorités durent renoncer à tenir les suivantes.

Carcenac, dont l’asthénie mentale est sans doute due aux 35 années de magouilles réussies au Conseil général, n’imaginait pas que sa baronnie puisse être contestée. Ce que les mafias nucléaires et scientifico-industrielles quémandent depuis des années, l’association locale de contre-expertise écologiste l’offrait sur un plateau : un « débat public » qui aurait permis de dire que la « société civile » avait été entendue. Mais il a craché dans cette main tendue. L’État national est moins stupide : il va faire appel à sa spécialiste de la « démocratie participative », Ségolène Royal. Le scénario est ficelé d’avance : il y aura une « concertation » avec « toutes les composantes » du mouvement, sauf bien sûr celles qui « refusent le dialogue » et seront qualifiées, dans ce « Grenelle de Sivens », de « minorité d’extrémistes hostiles à la démocratie ». Il en résultera à coup sûr qu’il faut quand même faire le barrage, mais en plus petit  – cette fois sera saisie la seconde perche tendue par le collectif Testet, que la passion de la contre-expertise a conduit à dénoncer un projet non pas inacceptable mais surdimensionné. Et la vallée du Tescou sera démocratiquement aménagée.

Il en va ici comme partout ailleurs. La radioactivité, même à faible dose, n’en est pas moins mortelle pour le genre humain ; tout comme pour les abeilles on sait aujourd’hui que les infimes traces de pesticides sont plus dangereuses que les intoxications massives. Depuis le 26 octobre, on sait aussi que les armes à « létalité réduite » tuent – mais qu’au fond, personne n’en est responsable. Le renard accuse le piège, il ne s’accuse pas lui-même. Nous voulons rappeler cette banalité oubliée : Mesdames et Messieurs les ministres, potentats locaux, policiers, négociateurs en tout genre, l’État c’est vous.

Et puis y a tous ces écolos (bis)

Qui veulent un monde réglo (bis)

La fausse concertation, on connaît la chanson

La belle dépossession, à bas les normes, à bas les normes

La belle dépossession, à bas les normes et la gestion

                        (Sur l’air de La Carmagnole)

Matthieu Amiech, Aurélien Berlan, Caroline Bernard,
Michela Di Carlo, Michel Gomez,
Marie-Christine Le Borgne, Victoria Xardel

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Sans Aucune Retenue

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vidéo conférence:« Le refuge dans l’illusion de la protection est-il salutaire? ou le paradigme du cheval et du carrosse »

ça fait du bien de le dire:

nous souhaitons de communiquer l ‘enregistrement  de cécileAsanuma-Brice,car contre notre volonté l’émission de radio labo a été  éjecté de l’antenne d’une radio libre de Valence( qui a choisi politiquement d’ évincer  des propos contre le nucléaire et son monde et  de diffuserune parole cogestionaire à une heure de bonne écoute  l’émission du réseau sortir du nucléaire 26 07) , Dans le cas contraire radio canut  a choisi à un très grand nombre d’auditeur la babrique de l’oubli. Mais nous on a choisi d’écouter collectivement avec une possibilté de débattre après la diffision dans le local du laboratoire anarchiste

Il nous reste plus que de diffuser ces paroles qui mettent en question  le nucléaire et son monde par nos propres moyens

soit au laboratoire pour un nombre restreint d’auditeur ( prochaine écoute de la fabrique de l’oubli le 11 j février à partir de  17h30)

soit sur le blog du laboratoire pour un nombremalheueusement restreint de lecteur et de lectrices.

bonne écoute ( voir le lien

Le refuge dans l’illusion de la protection est-il salutaire? ou le paradigme du cheval et du carrosse »/ Cécile Asanuma-Brice

http://echoechanges-echoechanges.blogspot.fr/2014/12/intervention-de-cecile-asanuma-brise.html?updated-min=2014-01-01T00:00:00-08:00&updated-max=2015-01-01T00:00:00-08:00&max-results=50

et à la prochaine dans les locaux du laboratoire ou dans les rues pour en discuter et peut être au cours d’ue assemblée de lutte

 

Anarchisme, postanarchisme

trouvé,   lu et recopié ce texte et des revues « réfractions » et le livre de thomas IBANEZ*

Anarchisme en mouvement : anarchisme, néoanarchisme et postanarchisme
Nada, 2014.

En 2008, la revue anarchiste Réfractions publiait un certain nombre de textes sur l’actualité de l’anarchisme et son renouvellement théorique1. Tomas Ibanez y défendait un anarchisme nourri de french theory, et notamment des idées de Michel Foucault. Six ans plus tard, les éditions Nada lui offrent l’occasion de développer son point de vue dans un livre court, instructif quoique parfois rude, intitulé Anarchisme en mouvement : anarchisme, néoanarchisme et postanarchisme.

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Tomas Ibanez pose trois constats. Le premier est le renouveau de la praxis anarchiste ou anarchisante depuis une quinzaine d’années, renouveau qui a accompagné/vivifié le mouvement altermondialiste avec ses demandes de démocratie directe, de fonctionnement horizontal, mais aussi son acceptation du rapport de force physique (cf. les Black blocs). Le second est que le monde a changé profondément depuis le vaste mouvement de prolétarisation qui caractérise la société occidentale au 19e siècle, et la révolution néolibérale et néoconservatrice des années 1980 : fin du bloc soviétique, effondrement des utopies politiques et sociales et du mythe du Grand Soir salvateur, érosion de la figure du prolétaire comme incarnation du sujet révolutionnaire, consumérisme effréné… Le troisième constat est que le mouvement libertaire organisé (avec ses organisations, ses rituels, sa culture…) « n’est plus l’unique dépositaire, le seul détenteur, de principes anti-hiérarchiques » et des façons d’agir dont il fut longtemps le principal propagandiste ; plus même, le mouvement libertaire organisé semble de plus en plus moribond, recroquevillé sur ses certitudes, voire dogmatique, incapable de se lancer dans un vaste chantier d’auto-critique et d’intégrer à son logiciel vieux d’un siècle et demi ce que les sciences sociales ont pu produire de fécond depuis les cinquante dernières années. Plane ainsi sur le mouvement libertaire l’ombre des « postmodernes »2 et notamment celle de Michel Foucault et de ses analyses du pouvoir et de l’Etat.

Comme tout intellectuel renommé, Michel Foucault n’a jamais fait l’unanimité, certains historiens lui reprochant de manquer de rigueur dans ses travaux dits historiques, de n’utiliser en fait que ce qui l’arrangeait pour ses démonstrations3. Cependant, aujourd’hui, les idées de Foucault irriguent aussi bien les travaux d’historiens (Michelle Perrot), de sociologues (Eric Fassin) que de politologues (Jean-François Bayard4 et plus largement les africanistes réunis autour de la revue Politique africaine), et quoi qu’on en pense, elles ont obligé les sciences sociales à se repenser et à modifier leurs approches des faits politiques et sociaux.

Il est évidemment difficile de synthétiser la pensée (évolutive) de Michel Foucault en quelques phrases5. Disons, pour aller vite, que Foucault considère qu’il n’y a pas de Pouvoir mais seulement des rapports de pouvoir : « Le pouvoir n’est pas localisé dans l’appareil d’État et que rien ne sera changé dans la société si les mécanismes de pouvoir fonctionnent en dehors des appareils d’État, au-dessous d’eux, à côté d’eux, à un niveau beaucoup plus infime, quotidien, ne sont pas modifiés. » Il considère que l’État moderne, rationnel et technicien, n’est pas seulement un outil de domination/répression mais une machine à normaliser les conduites individuelles. En d’autres termes, le propre de l’Etat n’est pas d’être une instance autoritaire (selon le modèle classique du Léviathan) mais un appareil producteur de normes (la « santé », le « mérite »…). Il critique la conception du sujet défendue par la tradition humaniste classique : le sujet n’est pas cette instance souveraine déterminant intérieurement son rapport théorique et pratique au monde. Il considère donc que le « sujet », c’est-à-dire l’individu doué de raison, acteur de sa propre vie (conviction sur laquelle se fonde l’humanisme) est une fiction, une construction sociale ; que le « sujet » ne peut être libéré ou, pour le dire avec les mots d’Ibanez, « lutter pour libérer notre essence de ce qui l’opprime revient à vouloir libérer une entité qui, en fait, est déjà l’oeuvre du pouvoir » puisque « le sujet, loin d’être une entité universelle, transhistorique et fondatrice, n’est qu’un produit historiquement variable, tout aussi variable que l’expérience elle-même. »6

Tomas Ibanez appelle néoanarchisme et postanarchisme cet anarchisme qui a troqué la promesse de la Révolution contre la création d’espaces autonomes7, d’îlots réfractaires à l’ordre du monde capitaliste (mais ne fonctionnant pas comme des ghettos), dans lesquels s’épanouissent des « modes de vie qui soient en eux-mêmes des modes de lutte » ; ce que certains appellent l’anarchisme lifestyle ou activism lifestyle (anarchisme mode de vie). Un néoanarchisme nourri de situationnisme,8 de foucaldisme, de post-structuralisme et très influencé par les idées développées par des universitaires anglo-saxons dont très peu ont été édités en français9. Il apprécie « l’extraordinaire importance de l’imaginaire et son rôle dans la mobilisation des affects, dans la création d’un sentiment de communauté, et sa capacité à attiser le désir de lutter et à déclencher éventuellement des mouvements de révolte », car « c’est bien dans leur vie quotidienne que les individus doivent vivre la révolution ». Il plaide ainsi pour un anarchisme ouvert et inventif, utopique et conscient de l’être, répondant ainsi d’une certaine façon à Camillo Berneri qui, en 1922, défendait déjà « un anarchisme critique qui ne se contente pas des vérités acquises, des formules simplistes, un anarchisme qui soit à la fois idéaliste et en même temps réaliste, bref un anarchisme qui greffe des vérités nouvelles sur le tronc des vérités fondamentales, tout en sachant tailler ses vieilles branches ». Mais chez Berneri, les classes sociales et les lieux d’exploitation existaient, la liberté et l’égalité sociale cheminaient ensemble, étaient indissociables l’une de l’autre.

Je ne suis pas philosophe et avoue humblement suivre de très loin les polémiques féroces qui secouent ce landerneau-là, y compris dans les milieux radicaux où, of course, on a un sens inné de la mesure10. Je ne vous dirai donc pas si Bourdieu, Lyotard, Derrida, Deleuze, Guattari, Foucault et les autres sont des « génies à idôlatrer », des « mandarins », des « imposteurs » ou tout humblement des intellectuels dont certains concepts et certaines approches peuvent nous aider à mieux comprendre le monde tel qu’il va.11

Ma lecture d’Ibanez et de certains écrits influencés par le « postmodernisme » (Graeber, James C. Scott, Holloway…) ne sera pas celle d’un philosophe mais d’un militant qui s’est forgé lui-même sa boîte à outils ; un militant qui regarde avec beaucoup d’intérêt la façon dont s’organisent aujourd’hui les luttes sociétales dites radicales12, qui n’est en rien nostalgique des formes plus traditionnelles et institutionnelles qui prirent celles de « sa » génération13, qui trouve même très positif le fait que pour beaucoup de « jeunes » d’aujourd’hui, militance et vie quotidienne ne doivent faire qu’un14.

Mais il y a principalement une chose qui me chiffonne. En lisant Ibanez et d’autres auteurs qui, d’une façon ou d’une autre, ont partie liée avec le néo- ou le postanarchisme, on constate que la question sociale a été reléguée au second plan, qu’il n’y a plus d’exploités et d’exploiteurs mais seulement des monades15 aliénées. Graeber souligne avec satisfaction le soutien que la classe ouvrière américaine a apporté au mouvement Occupy Wall street, mais il n’en fait pas un enjeu pour le mouvement lui-même. Il ne s’agit pas là de mythifier « la » classe ouvrière, une classe ouvrière qui a toujours été fragmentée puisque sa construction était dépendante de la façon dont le capitalisme industriel s’accaparait l’espace16, mais de pointer du doigt ce que j’appellerais l’occidentalocentrisme de ces théories. Si je peux trouver parfois pertinente la façon dont les auteurs « postmodernes » décrivent les bipèdes que nous sommes devenus dans les pays capitalistes avancés ou dans le « capitalisme postmoderne »17, quid du vaste monde ?

Certains auteurs postmodernes insistent ainsi beaucoup sur la fin des « grands récits » : des grands récits qui légitimaient les institutions et donnaient du sens à l’action collective, des grands récits auxquels plus grand nombre ne croiraient depuis l’effondrement des idéologies, des religions, le recul du politique, l’atomisation des individus, le désenchantement du monde etc. Or que voit-on partout sur le globe ? Des millions de gens qui se mobilisent au nom d’un idéal transcendant (bien souvent religieux), au nom de valeurs « modernes » (nation, état de droit, état-nation) ou « archaïques » (clanisme et tribalisme) ; des millions de gens qui ne sont pas des monades mais des membres à part entière de communautés spécifiques et dont les comportements sociaux sont encore très largement tributaires de cet enchâssement-là ; des millions de gens qui sont embarqués dans un vaste processus de prolétarisation (Chine, sous-continent indien, maquiladoras d’Amérique centrale), découvrent « la lutte des classes » et ne rêvent légitimement que d’une chose : gagner suffisamment d’argent pour sortir de la misère ; des millions de gens qui ne subissent pas la « modernité » mais l’incorporent et la retravaillent sans se renier18 ; des millions de gens qui n’ont pas (encore !) affaire à un Etat rationnel-bureaucratique (Max Weber) ou à la biopolitique (Foucault), mais à des Etats aux politiques sociales absentes ou fragmentaires, et à un capitalisme encore à sa phase disciplinaire ; des millions de gens qui grattent la terre pour en tirer un revenu. Même à l’heure de l’internet et du « village mondial », de la globalisation, le monde n’a pas encore été unifié/uniformisé par le capitalisme, et le « capitalisme postmoderne » n’a soumis à sa logique et à son esprit qu’une partie minoritaire du globe et quelques enclaves. Des enclaves que l’on aimerait imaginer en incarnations du « pays réel » : mais malheureusement, Tunis l’occidentale n’est pas la Tunisie, la place Tahrir n’est pas l’Egypte, le parc Gezi n’est pas l’Anatolie ; les enfants des classes moyennes et supérieures, éduqués/connectés/ « 2.0 » ne sont pas la « nation », et les élections (et les coups d’État…) sont là pour nous le rappeler. Si Tomas Ibanez a raison de pointer du doigt « l’indéniable eurocentrisme » de l’anarchisme, je crois que sa lecture « postmoderne » du monde n’y échappe pas plus.

Je pense que l’« anarchisme en mouvement » n’a rien à gagner à déserter le terrain de la lutte des classes (et donc les lieux d’exploitation) à l’heure où le capitalisme s’ensauvageonne et martyrise les corps et les esprits comme jamais, pour lui préférer les « enclaves autonomes » et ses risques d’enfermement dans un entre-soi radical sans perspectives. Il a tout intérêt à diffuser ses idées, son éthique et ses façons de lutter dans les milieux du travail parce qu’un changement économique et social radical, s’il doit advenir, ne pourra s’effectuer sans que n’entrent en mouvement les classes subalternes. Car je m’efforce de croire encore et toujours à la « possibilité humaine de changer le monde »19, persuadé que c’est de la praxis que peuvent jaillir les désirs de révolutions.

Notes
1. De Mai 68 au débat sur la postmodernité (n°20).
2. La pensée postmoderne se caractérise par sa critique radicale des concepts de la métaphysique classique : l’humanisme, la subjectivité, la rationalité, l’histoire, le progrès,… autant de valeurs qu’il faut repenser. L’humanité n’est pas une essence transculturelle, qui se réaliserait dans l’histoire, laquelle serait douée d’un sens : le progrès par le développement de la raison et la maîtrise du monde. Au contraire il n’ y a pas de sens de l’histoire, l’humanité est une figure fragile et mouvante et la rationalité peut être criminelle et barbare. Le sujet n’est pas cette instance capable de s’autodéterminer (la liberté est autodétermination de soi par soi) mais une production sociale et culturelle et la liberté suppose d’abord un désillusionnement. D’où l’apport essentiel, pour la philosophie, des sciences sociales.
3. On aurait tort de n’y voir là qu’un réflexe corporatiste, une façon de défendre l’Histoire (ou la sociologie) face à la Philosophie et à sa prétention à être la seule habilitée à dire le vrai sur le monde (cf. la haine d’un Finkielkraut à l’égard d’un Pierre Bourdieu par exemple). Certains historiens, tout en louant le travail de Foucault, lui reprochait de jouer un peu trop avec la chronologie ou de dédaigner les phénomènes socio-économiques. Je vous renvoie à la contribution de Xavier Landrin, « Notes sur les réceptions en histoire du travail de Michel Foucault » in Meyet/Naves/Ribemont, Travailler avec Foucault – Retours sur le politique, L’Harmattan, 2005).
4. Celui-ci a déclaré à l’occasion d’un colloque international tenu en 2014 : « Foucault demeure d’un secours précieux trente ans après sa mort, en dehors de tout effet de révérence ou de tout fétichisme théorique, et ce en dépit de l’agacement que peut susciter sa béatification académique dans une certaine tradition de l’étude des « aires culturelles », en particulier d’inspiration postmoderne. Non qu’il soit plus « grand », ou si différent des autres figures tutélaires de la sociologie historique et comparée du politique. Mais précisément parce qu’il les rejoint à bien des égards, incite à les relire autrement, quand bien même il ne les cite guère, et remet sur le métier leurs acquis. »
5. Pour une présentation des thèses de Foucault, lire Judith Revel, Expériences de la pensée : Michel Foucault, Bordas, 2005.
6. Ce qui signifie en d’autres termes qu’il n’y a pas de « nature humaine ». Souvenez-vous du célèbre débat en 1971 entre Noam Chomsky et Michel Foucault à ce sujet (Sur la nature humaine – Comprendre le pouvoir, Aden, 2006).
7. Les fameuses TAZ promues par Peter Lamborn Wilson (alias Hakim Bey) que l’on peut retrouver sur les ZAD aujourd’hui, et qui rappellent les milieux libres d’avant 1914.
8. Ibanez ne me semble pas y faire référence mais il me semble que certaines idées fortes du situationnisme (rôle de la dérive et du spectacle) irriguent fortement le mouvement actuel. cf. Patrick Marcolini, Le mouvement situationniste – Une histoire intellectuelle, L’Echappée, 2013.
9. Hormis Hakim Bey et John Zerzan, je ne crois pas que les textes de Todd May, Saul Newman, Lewis Call ou Jason Adams soient disponibles en français. Pour une critique de ce courant, je renvoie au livre de Vivien Garcia, L’anarchisme aujourd’hui, L’Harmattan, 2007.
10. Les petits « Vychinski » fleurissent aussi en acratie !
11. Bourdieu, Derrida, et dans une moindre mesure Foucault ont contribué à repenser les concepts de la tradition classique et à renouveler certaines questions.
12. Je pense évidemment aux différentes ZAD.
13. J’étais étudiant en 1986 et ai participé activement au mouvement étudiant d’alors à l’université de Nantes. Nous étions à cette époque encore très révérencieux à l’égard des syndicats étudiants puisque malgré leur nullité évidente, nous prenions de notre temps pour les critiquer. Quelques années plus tard, les diants-diants influencés par un esprit libertaire et « post-situ » développèrent des façons de lutter beaucoup plus audacieuses et cessèrent de perdre leur temps à vilipender ces pseudo-syndicats.
14. Le mouvement actuel est une façon contemporaine de renouer avec les stratégies et les postures d’une partie des militants des seventies : idéal communautaire, « établissement ». Ce sont des choix individuels forts, exigeants, humainement risqués et je ne sais si j’aurais eu le courage de faire ce type de choix-là dans les années 1980.
15. Je reprends le mot de… Engels : « La décomposition de l’humanité en monades, dont chacune a un principe de vie à part et un but à part, le monde des atomes, cela est ici poussé à son plus haut point. » (1845)
16. Qu’avaient en commun les ouvriers des villes et des villages, ceux qui s’échinaient dans les bagnes industriels ou les mines, et ceux qui s’échinaient dans les « petites boîtes », ceux qui n’avaient que leur salaire pour vivre et ceux qui étaient ouvriers-paysans, ceux qui avaient été recrutés via la paroisse et les autres ? Une même place dans les rapports de production, certes, mais mille façons de se penser (ou pas) prolétaire. Cette fragmentation du groupe ouvrier s’est renforcée depuis trente ans par la multiplication des statuts salariaux.
17. Et encore, je trouve que « nous » résistons plutôt bien au processus de transformation des individus que nous sommes en homo oeconomicus soucieux de leur seul bien-être.
18. Lire à ce sujet Jean-François Bayart, L’illusion identitaire, Fayard, 1996 ; mais aussi sur la modernité du zapatisme, Jérôme Baschet, Adieux au capitalisme – Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, La Découverte, 2014.
19. Pour parler comme Eduardo Colombo in « L’anarchisme et la querelle de la postmodernité » (Réfractions n°28, 2008).

* a na pas confondre avec thomas IBANEZ avec le citoyeniste Daniel Ibanez pour son livre Trafics en tous sur la construction de la liaison ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin (TAV)

[Le Tarn ] Nouvelle de la lutte Contre le barrage à SIVENS.

 https://tantquilyauradesbouilles.files.wordpress.com/2014/10/p1040520.jpg

source des informations

Pour les événements du jour, voir l’article [Dimanche 1er février 2015] Des miliciens bloquent les entrées à la Zad !!

À lire, le récit des procès du 29 janvier, merci la légal-team. Les peines et les sursis pleuvent pour des broutilles inventées. De plus, y’a un autre copain qui demande à ce qu’on lui écrive à la prison de Seysses.

10h : Des pro-barrages chez Escande, un 4×4 sur la route de la maison de la forêt, 4 fourgons de GMs à Barat. Une poignée d’individus menaçant en bande organisée prend en otage la quiétude des lieux et des riverains. Attention à vous, pensez à vous munir de téléphones, de caméras, ne restez pas seuls, donnez-vous des rendez-vous. Avertissez la ZAD quand vous arrivez ou que voyez quelque chose. La réunion de coordination à 10h est compromise.

Voici la lettre qui fait un tabac aujourd’hui dans les sondages auprès des énervés-capricieux-qui-n-ont-pas-eu-leur-barrage-a-Noël, le sommet de la calomnie est atteint, la lettre de Marilyne LHERM à Manuel Valls (source publique : Sivens : Maryline Lherm écrit à Manuel Valls pour lui demander « un entretien rapide »). On y apprend de si belles choses que, même si on avait voulu les inventer, on aurait pas pu ! Les occupants sont riverains de la zone, madame le Maire ne l’a toujours pas compris, et la légitimité de leur action contre le projet de barrage a été maintes fois prouvée. Aujourd’hui encore, le projet de barrage n’est toujours pas abandonné, il y a tout lieu de continuer à occuper, contrairement à ce que l’on essaye de faire croire dans les médias de masse !

 

 

Des nouvelles à voir et le programme à venir pour la quizaine qui vient à l’Amassada. Et la ZAD d’Agen aussi est vivante, et la ZAD de Roybon (et là aussi sans le « je suis zadiste ») aussi, et celle d’Échillais aussi, et celle de Notre-Dame-Des-Landes aussi. Et plus on est vivant, plus on les emmerde !

Ce dimanche 1er février. Journée mondiale des zones humides au Testet. Le programme est ici (dispo en a5 également). L’affiche est ci-dessous (et en pdf ici) :

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  • Samedi 7/02 12h Parution du recueil de textes Sivens sans retenue. Grosse soupe et chacun apporte un peu à manger/boire ! Voici l’avis de parution !
  • APPEL à covoiturage le mardi 3 février : Lausanne 6h du mat’ ; Genève ; Lyon ; Valence ; Nîmes ; Narbonne ; Toulouse et enfin Gaillac (y’a trois places da,ns la voiture) mise en relation par le mail des bouilles.
  • 21 février 2015 à Toulouse, à Nantes manifestations : 21fevrier2015.noblogs.org
  • Sur la page Legal, vous verrez les adresses de 3 copains incarcérés à qui on peut écrire et la liste des procès de la semaine.

[samedi 31 janvier]

  • Tribunal d’instance le lundi 2 à14h30 pour la Métairie et au tribunal de grande instance le mardi 3 à 10h30. En théorie, la ZAD peut être expulsable dès le 4 au matin…

LES HELICOS par Seb T (30-01-2015)

[vendredi 30 janvier]

  • 6h ce matin au parc Lévi à Marseille, un huissier se présente, avis d’expulsion immédiate. 10h, il revient avec les soldats, comme il n’y avait plus personne dans les arbres et qu’il n’y avait pas grand monde pour faire face, ça a été facile pour eux de permettre aux machines d’abattre en public les derniers grands enracinés. Ils parlent d’entrave au travail, ils mettent en disant qu’un tractopelle a été abîmé. Aucune arrestation. Communiqué des occupants et page FaceBouc. Pour les courageux zadistes et autres soutiens, bravo pour ce que vous avez fait.

[jeudi 29 janvier]

[Mercredi 28 janvier]

[Mardi 27 janvier]

[Lundi 26 janvier]

[Lyon] La présidence de Lyon 2 fait exclure deux syndicalistes de lutte de l’université !

lu sur le site sous la cendre

L’Ord(u)re règne à Lyon 2.

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Jeudi 18 décembre 2014, la commission disciplinaire de l’Université Lyon 2 a prononcé l’exclusion de 2 militant-e-s de Solidaires Étudiant-e-s Lyon – Syndicat de lutte (ex-FSE).
Nos camarades étaient convoqué-e-s formellement pour « trouble à l’ordre et entrave au fonctionnement de l’établissement » suite à l’envahissement d’un conseil de la présidence le 21 novembre 2013 par une centaine de personnes dans le cadre de la mobilisation des étudiant-e-s et du personnel contre la loi Fioraso et les restrictions budgétaires.Le président avait alors donné, pour seule réponse aux revendications des étudiant-e-s et personnel mobilisé-e-s ce jour, l’intervention des forces de l’ordre à l’intérieur même du campus afin de faire évacuer les bâtiments. Sur la centaine de manifestant-e-s 6 étudiant-e-s, dont 4 syndicalistes seront interpellé-e-s et placé-e-s en garde à vue.3 militant-e-s de Solidaires Étudiant-e-s sont finalement passé-e-s en procès en juin 2013, dont deux qui se sont fait condamner : la secrétaire de section syndicale et l’élu au Conseil d’Administration de l’université, condamné-e-s respectivement à 3 et 6 mois de prison avec sursis et plus de 5000 euros de dommages et intérêts et frais de justice.Le jeudi 18, il/elle ont été condamné-e-s à une exclusion immédiate de l’université de 2 ans dont 18 mois avec sursis !
Cette condamnation est une menace par toutes celles et ceux qui n’entendent plus se résigner à accepter la dégradation de nos conditions d’études, de travail et de vie qui nous est chaque jour un peu plus imposée.Mais insuffisamment content de la gravité de la peine infligée à nos camarades, Jean-Luc Mayaud, président de l’université, fait désormais appel de cette décision devant le CNESER et réclame 5 ans d’exclusion ferme de l’université (!)

Retour sur le déroulement de la commission

Le déroulement de cette commission de jugement nous aura confirmé qu’il n’était nullement question de l’envahissement du conseil. Il s’agit là d’une volonté politique cherchant n’importe quel prétexte afin de nous exclure. Ainsi, lors de ce simulacre de jugement, peu importait que la présidence soit incapable de présenter un début de preuve ou même de témoignage à charge provenant d’autres personnes que les accusateurs eux-mêmes pour étayer sa thèse des « violences ». Peu importaient les nombreux témoignages -bel et bien existant ceux-là d’étudiant-e-s, de profs, d’agents administratifs présent-e-s au moment des faits qui attestent tous de l’absence de coups volontaires portés aux agents ce jour-là. Peu importait encore le contenu même des certificats médicaux fournis par les agents, qui attestent que les blessures de ces derniers résultent de la poussée collective pour rentrer dans l’amphi et non de coups volontaires ; blessures qui s’expliquent toutes par la résistance des agents devant l’entrée des étudiant-e-s alors que, selon la version officielle de la présidence, ceux-ci « avaient pour ordre de s’effacer et ne pas susciter de violences ». Au vu des déclarations contradictoires des agents et de leur attitude le jour du conseil extraordinaire (en liaison téléphonique constante avec leurs supérieurs) il apparaît clairement que la présidence avait donné pour consigne aux agents (transformés en garde présidentielle personnelle pour l’occasion) de ne laisser rentrer aucun étudiant (qu’il/elle soit ou non élu-e). Seul leur importait, derrière le motif vague de notre convocation pour  » trouble à l’ordre » de trouver une responsabilité pouvant nous être imputée. Ceci fut bien illustré, que ce soit lors de l’instruction ou du jugement, lorsque M. Landon (par ailleurs Vice-Président, ayant à l’époque porté plainte à notre encontre, se retrouvant ainsi partie, instructeur, et juge !) et M.Gaillard présidents respectifs de chacune des commissions, n’hésitaient pas à modifier les motifs de notre comparution. Ainsi, lorsque nous démontrions notre innocence vis-à-vis des soi-disant « coups » portés aux agents fut démontrée, ils invoquaient finalement l’annulation du Congrès.Mais dès lors, sous ce motif, pourquoi ne poursuivaient-ils pas les plusieurs dizaines d’étudiant-e-s ayant participé à l’envahissement ? Ils trouvèrent la parade…
Dans la notification d’exclusion envoyée à nos camarades, la présidence justifie sa décision par le fait qu’il et elle avaient osé parler au mégaphone et qu »il est avéré qu’il/elle étaient les meneurs d’un mouvement visant à perturber le déroulement du Congrès ».Ainsi se conçoit la « liberté d’expression » de la présidence, elle qui est pourtant si prompte à l’afficher fièrement… Une liberté où les syndicalistes qui refusent d’adhérer doivent dégager, où les étudiant-e-s qui se mobilisent sont brutalement expulsé-e-s du campus par les forces armées.En réalité, c’est sa propre lâcheté que tente de faire oublier aujourd’hui le président, en faisant preuve d’une fermeté sans précédent à notre égard. Lui qui, le jour du congrès, abandonnait pourtant ses agents de sécurité incendie, les laissant pour seul interlocuteur face aux personnes mobilisées, à qui il donnait ainsi pour mission d’assumer seuls les conséquences de la politique qu’il mène. Ce qu’ils appellent violence. Le président, prompt à user des moyens de communication dont il dispose (et abuse), avait alors qualifié l’envahissement de « violent ». Rappelons par ailleurs qu’après la fuite du président devant les étudiant-e-s et personnels mobilisé-e-s, les étudiant-e-s qui occupaient le bâtiment de la présidence réclamaient de pouvoir envoyer un mail à l’ensemble des étudiant-e-s et personnels afin d’expliquer leur mouvement, la nécessité de s’organiser et de se mobiliser pour ne pas se laisser écraser. Finalement, ce n’est pas un mail qui sera envoyé, mais une quarantaine de CRS et agents de la BAC à l’intérieur du bâtiment pour nous en faire dégager. Ainsi, on peut le voir, la « liberté d’expression » à Lyon II, l’envoi massif de leur propagande (parfois mensongère et diffamatoire à notre encontre) ou plus justement la censure et la propagande ne se maintiennent pas sans la force.
Mais dès lors, si l’on s’en tient à ce strict événement -finalement illustration euphémisée de la violence sociale et symbolique quotidienne grâce à laquelle s’impose l’ordre dominant inégalitaire- comment qualifier les matraquages policiers au tonfa et à la télescopique, l’enfermement abusif de plusieurs personnes (garde-à-vue), la menace de l’enfermement carcéral (peine de prison avec sursis), les milliers d’euros d’amende pour des étudiant-e-s boursier-e-s salarié-e-s, l’interdiction de poursuivre ses études universitaires et, désormais, l’interdiction manu militari de pénétrer sur le campus ? N’est-ce pas par l’usage de la force et de la violence que s’impose leur point de vue, c’est-à-dire leurs intérêts, leur conception de la démocratie et de la « liberté d’expression » ? Par cet acharnement, nous constatons que ce qui insupportait la présidence était la force du mouvement étudiant de l’année dernière, menace pour une présidence vacillante et en perte d’influence (Jean-Luc Mayaud était alors contesté par sa propre majorité et largement déstabilisé par les démissions successives de plusieurs vice-présidents). Au sein même du cercle restreint des « représentant-e-s » dans les instances officielles, dont la composition est pourtant très loin d’avoir une quelconque proximité avec la notion de représentativité dont ils se réclament (pour ne prendre qu’un exemple, les personnels enseignants-vacataires qui entament une grève à partir de ce lundi 26 janvier 2015, ne disposent d’aucun siège au Conseil d’Administration alors même qu’ils assurent parfois jusqu’à 80 % des TD), l’obtention d’une majorité leur devient difficile. Ainsi, l’illustre le Conseil d’Administration de décembre dernier où la présidence n’est parvenue à obtenir une majorité qu’à 13 voix pour un budget d’austérité grâce aux7 personnalités extérieures [!]), contre 12, budget dont les conséquences se paient au quotidien pour les personnels qui voient leurs primes gelées, l’intensité de leur travail augmentée, la précarité toujours plus s’installer ; et par les étudiant-e-s, qui voient les conditions d’études toujours plus se dégrader.Mais dans cette période difficile pour la majorité, le président lui ne s’empêche pas de se verser une prime (à laquelle légalement il n’a pourtant pas droit) de plusieurs milliers d’euros, représentant le salaire annuel d’un agent d’entretien à temps partiel…
Nous devons par ailleurs dénoncer la collaboration de l’organisation étudiante GAELIS (FAGE) qui a participé par leurs votes à l’exclusion de nos camarades. Loin de l’apolitisme bienveillant dont ils/elles se revendiquent lors des diverses échéances électorales pour quémander les voix étudiantes, la FAGE participe de la répression des syndicalistes qui se battent au quotidien pour la gratuité des études, pour l’inscription de toutes et tous à l’université, avec ou sans papiers.L’acharnement de la présidence et de la classe dominante en général pour faire taire celles et ceux qui luttent ne traduit que la peur de voir se développer la contestation sociale face aux ravages -à l’université comme dans le reste de la société- d’un système capitaliste raciste et patriarcal.Loin de nous faire plier, ils ne font que renforcer notre détermination à combattre et vaincre cet ordre asservissant, qu’ils essaient de maintenir, nous le voyons encore aujourd’hui, par tous les moyens. ————————————-

Fédération Syndicale Étudiante Lyon

Membre de la fédération :

Solidaires Etudiant-e-s / Syndicats de Lutte.